Clinic n° 04 du 01/04/2017

 

Frédéric BIZARD Économiste, spécialiste de la protection sociale et de la santé*

ENQUÊTE

M. Luginsland  

Parmi les thèmes de campagne se référant à la santé, l’abaissement du reste à charge apparaît comme l’un des dénominateurs communs à la plupart des candidats.

Cela me semble être un mauvais choix stratégique. La France est déjà le champion mondial non seulement du taux de couverture santé (obligatoire et complémentaire) mais aussi du taux de prise en charge des dépenses de santé. Rappelons que 8 % seulement des dépenses de santé sont à la charge directe des...


Parmi les thèmes de campagne se référant à la santé, l’abaissement du reste à charge apparaît comme l’un des dénominateurs communs à la plupart des candidats.

Cela me semble être un mauvais choix stratégique. La France est déjà le champion mondial non seulement du taux de couverture santé (obligatoire et complémentaire) mais aussi du taux de prise en charge des dépenses de santé. Rappelons que 8 % seulement des dépenses de santé sont à la charge directe des assurés contre 19 % en moyenne dans les pays de l’OCDE.

Ce reste à charge reste donc très faible mais il est vrai que la distribution est hétérogène. Ainsi, le reste à charge pour les soins prothétiques est de l’ordre de 50 %, soit 350 euros pour une couronne céramo-métallique, ce qui est trop. Cela démontre avant tout la défaillance des couvertures assurantielles ainsi que le dysfonctionnement interne à ce marché et le problème structurel d’un système à deux étages, source d’inefficience.

Pour autant, la proposition d’une prise en charge à 100 % par une montée en puissance des complémentaires, est émise dans la campagne

C’est ridicule de fixer une prise en charge à 100 % comme objectif, à moins d’en faire un argument électoral purement démagogique. Car on se trompe d’objectif et on risque d’aboutir à une mauvaise politique de santé. Faut-il un remboursement intégral de soins de mauvaise qualité pour tous ou un accès pour tous à des soins de qualité ?

Pour rendre des soins de qualité optimale accessibles à tous, le reste à charge doit être certes modéré mais il doit persister dans un système qui a été conçu sur ce principe. Le système solidaire qui est le nôtre ne fonctionne que s’il y a une liberté mais aussi une responsabilisation des assurés.

Garantir une prise en charge des soins à 100 %, c’est prendre le risque d’une surconsommation, mais c’est aussi retirer des ressources à l’innovation et aux soins chers. Or, la responsabilisation financière doit fonctionner, selon moi, uniquement pour les soins courants, peu chers mais de probabilité élevée, alors que les soins chers de probabilité faible, comme les affections de longue durée (cancer, accident vasculaire cérébral, etc) doivent être remboursés à 100 %.

Pensez-vous, à l’instar des candidats, qu’une amélioration de la prise en charge des soins n’entraînera pas obligatoirement une hausse des cotisations des complémentaires santé ?

Je pense effectivement qu’une restructuration du marché de l’assurance santé privée permettrait de régler le problème de couverture du risque, pour les soins prothétiques notamment. Il faut une affiliation uniquement individuelle pour l’ensemble de la population (fin des contrats collectifs), la mise en place d’un contrat homogène privé permettant une comparaison facile entre les opérateurs et une vraie régulation du marché.

Actuellement, les cotisations augmentent chaque année d’environ 1 milliard d’euros sans améliorer la couverture des soins. Il n’est pas normal que, sur les 35 milliards d’euros de cotisations perçus, 7 milliards soient consacrés aux frais de gestion et au marketing, tels que le sponsoring de bateaux et le matraquage publicitaire !

Sur quelle prise en charge les assurances complémentaires devraient-elles donc se réorienter ?

Il apparaît essentiel que les assureurs complémentaires intensifient leur prise en charge du vrai risque.

Ils remboursent aujourd’hui 15 milliards de tickets modérateurs de ville, ce qui est totalement inutile, mais en revanche sont très mauvais sur la couverture des tarifs libres (au-delà du tarif de la Sécurité sociale), qui représentent le vrai risque pour l’assuré.

A contrario, certains candidats évoquent la possibilité, pour les assurances complémentaires, d’établir des conventions avec des professionnels de santé afin de mieux en contrôler les tarifs.

C’est l’américanisation de notre système de santé qui ne fera que creuser les inégalités et conduire à un système à plusieurs vitesses. Les réseaux dentaires et, avec eux, les machines à industrialiser les soins prothétiques dans des centres low cost en sont de parfaits exemples. Les dentistes libéraux ont été dupés par les premières conventions signées avec la MGEN, entre autres, dont les premières conditions leur semblaient raisonnables. Une fois le nombre de dentistes suffisant dans ces réseaux, la vis se resserre irrémédiablement avec des pressions sur les prix récurrents. Le dentiste perd son indépendance professionnelle et est condamné à baisser sa qualité pour survivre. Je plaide pour la suppression du remboursement différencié, qui porte le pouvoir de ces réseaux, et pour que les professionnels de santé libéraux soient responsabilisés au travers de leurs instances ordinales et sociétés savantes, pour repenser une régulation par la qualité à partir de tarifs suffisants pour financer l’innovation.

Soigner tout le monde selon de hauts standards de qualité est une exigence pour disposer d’une patientèle suffisante en exercice libéral et une exigence déontologique. Pour un accès pour tous à des soins de qualité, les professionnels de santé participent à la gouvernance, en renforçant la politique conventionnelle notamment, clé de voûte pour garantir l’égalité de l’accès aux soins.

*Auteur de Protection sociale : pour un nouveau modèle. Malakoff, Dunod, 2017 ; 352 p., 24 euros.

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