Clinic n° 03 du 01/03/2017

 

Hôpital de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP)

REPORTAGE

Anne-Chantal De Divonne  

Les patients qui se présentent aux urgences souffrent de problèmes variés. Entre urgence réelle et urgence relative, il est nécessaire de faire le tri. L’équipe de nuit de l’Hôpital de La Pitié-Salpêtrière (AP-HP) soigne, soulage, explique, tente d’aider les patients à « se prendre en main ». Ce dimanche soir…

18 h 30

Le Dr Anne-Laure Bonnet prend son service. Un dialogue de quelques minutes s’instaure avec l’équipe de jour qui se prépare à quitter les lieux. Ce soir, il y a du monde dans la salle d’attente. La dentiste enfile sa blouse mais attend l’interne et l’externe qui feront équipe avec elle pour la nuit, avant de recevoir son premier patient. L’externe en 6e année, Cyril Perez, et l’interne, Naïma Dendon, s’installent dans les deux box à droite et à gauche de celui d’Anne-Laure Bonnet.

Alice, 12 ans, se présente. Sa mère, inquiète, raconte la chute vers 16 heures et « la dent cassée ». Lors du dernier rendez-vous de dentiste il y a 4 mois, « Alice avait de bonnes dents, juste un brossage trop rapide… » « Y a-t-il des problèmes de santé, des allergies, prend-elle des médicaments ? », demande Anne-Laure tout en réalisant l’examen clinique.

Ces questions reviendront systématiquement pour tous les patients avant chaque intervention. Puis la praticienne prévient : « On va pouvoir recoller le fragment. Mais la dent restera fragile. Il faudra contrôler fréquemment car elle peut se nécroser. Dans le futur, il y aura sans doute besoin d’une couronne, aujourd’hui on temporise. Dès demain il faut appeler votre dentiste pour programmer le suivi, faire les radiographies de contrôle… »

Dans le box à côté, Marie, 3 ans, a une dent temporaire luxée. La dent est peu mobile et sa nouvelle position ne l’empêche pas d’être en occlusion. Il faudra donc aussi qu’elle retourne chez son dentiste pour contrôler.

C’est le tour d’un jeune champion de France de kendo de combat adressé par l’hôpital de Coulommiers pour une cellulite d’origine dentaire. Un problème qui a sans doute pour origine un traumatisme avec dent cassée 4 ans plus tôt. « Avec le choc, la dent s’est nécrosée et les bactéries ont pu proliférer ; et un jour, ça gonfle », explique Anne-Laure qui prescrit des antibiotiques et du paracétamol puis donne l’adresse d’une pharmacie ouverte. Elle rédige ensuite un compte rendu pour l’hôpital. « Si le médecin de l’hôpital m’avait téléphoné pour expliquer la situation, j’aurais pu lui dire ce qu’il fallait faire et le déplacement aurait sans doute été évité ! »

20 h 30

Tandis que les consultations se succèdent, à l’accueil on fait le point : 7 personnes attendent d’être enregistrées avec leur ticket d’entrée et 21 patientent dans la salle d’attente. Depuis 8 heures ce matin, 147 personnes se sont inscrites pour une urgence.

Le n° 132 (132e patient de la journée) est un jeune homme accompagné de son père. Sa joue est gonflée depuis le matin. Les urgences de Coulommiers l’envoient avec une radiographie des sinus et une radiographie panoramique. Il est alors classé dans les priorités. Puis, c’est un homme d’une trentaine d’années qui vient de subir un traumatisme lors d’une agression dans un centre de lavage automobile…

« On ne peut jamais prévoir l’activité. Mais les vendredis, les samedis et les jours de vacances sont souvent les plus chargés. On se déplace de toute l’Île-de-France et même parfois de plus loin », raconte l’une des deux aides-soignantes de garde.

Un homme arrive furieux à l’accueil. « J’ai un abcès. Cela fait 3 heures que j’attends », gronde-t-il. « Un abcès n’est pas une priorité » lui est-il répondu. Le ton monte. « Mais une autre personne est passée devant moi », s’insurge-t-il. « Lui, c’était une priorité, une cellulite. » L’homme excédé retourne cependant dans la salle d’attente.

« L’impatience des gens est parfois difficile à gérer. C’est l’attente qui énerve. Ils pensent souvent que les urgences signifient que les soins seront rapidement faits ! Il y a des tensions. Ils ne comprennent pas qu’on ne soigne pas les caries, surtout quand ils ont attendu pendant parfois 5 heures. » À côté du bureau d’accueil, un vigile surveille l’entrée et les allées et venues.

21 h 30

L’interne fait une pause pour se restaurer. Dans les deux autres box, les consultations s’enchaînent.

L’homme qui a reçu des coups dans un centre de lavage automobile s’installe. Il a besoin de beaucoup d’encouragements pour ouvrir enfin la bouche. « Je mets un fil pour empêcher les dents de bouger mais il faudra retourner chez votre dentiste. »

Dans le box à côté, le ton monte. Une femme parlant difficilement le français est furieuse parce qu’on n’extrait pas sa dent cassée. Elle ne comprend pas que les antibiotiques soient nécessaires pour éliminer l’infection. L’extraction de la dent sera faite pendant le service de jour.

Dans le troisième box, l’externe répète à son patient que les urgences dentaires ne peuvent pas remplacer un dentiste, il faut qu’il se fasse prendre en charge à l’hôpital ou en ville. En attendant, il lui prescrit du paracétamol et l’oriente vers une pharmacie de garde. Cet étudiant de 6e année travaille aux urgences de jour deux demi-journées par semaine. « J’aime bien les urgences. C’est difficile car on ne s’arrête jamais ! Mais je trouve que c’est formateur. On apprend des gestes, une ergonomie pour être rapide. On est obligé d’être efficace. On est souvent déçus par les patients qui ne suivent pas nos conseils et ne vont pas faire les soins chez le dentiste. Ils reviennent un mois plus tard avec un abcès apical, voire une cellulite. Ils rentrent dans un cercle vicieux jusqu’à ce que la dent soit trop cariée pour être conservée. Et il faut extraire ! »

22 h 00

La dentiste et l’externe s’installent dans une kitchenette pour prendre leur repas.

À leur retour, se présente un enfant de 8 ans qui a glissé à côté de la piscine à Toulouse à midi et s’est cassé les deux dents de devant. Les parents ont récupéré un des morceaux. Aucun dentiste ne pouvant les recevoir dans la Ville rose, la famille a repris comme prévu le train pour Paris avec le bout de la dent immergé dans du sérum physiologique. Il est recollé mais « il faudra contrôler et installer un suivi ».

Une femme, la cinquantaine, s’assied dans le fauteuil. Elle souffre d’une parodontite apicale aiguë. L’interne prescrit un antibiotique et explique qu’il faudra réaliser un traitement endodontique par la suite. L’infection reviendra si la patiente ne se soigne pas.

Les consultations se poursuivent dans les trois box.

Minuit

Il ne reste plus qu’une personne dans la salle d’attente.

L’externe achève sa vacation et l’interne va prendre 4 heures de repos.

Une famille avec deux enfants dont une petite fille qui a fait une chute en trottinette se présente. Anne-Laure contrôle la dent, prescrit du paracétamol et rédige un certificat médical descriptif. Un médecin des urgences générales de Melun téléphone. « Il faut nous l’envoyer » répond Anne-Laure. « Voilà un médecin prévenant. Il m’envoie un patient qui comprend mal le français, pour un traumatisme dentaire à la suite d’une chute. »

Une femme enceinte qui présente une dent nécrosée avec un abcès s’installe au fauteuil. « Pourquoi ne venez-vous que ce soir ? » interroge la praticienne après un examen clinique. « C’est le ramadan, je ne pouvais pas avant », répond-elle en demandant de l’Ixprim(r). « Ce n’est pas conseillé en première intention pour une femme enceinte », explique la praticienne.

Le patient suivant demande qu’on soigne ses caries et voudrait un plombage. « Je suis là pour soulager la douleur, vous irez chez le dentiste dans la journée pour les soins », répond la praticienne. « Je ne peux pas car je jeûne, si ça saigne… », explique le jeune homme.

« Il y a parfois des soirées à thèmes ; hier c’était les traumas, d’autres jours ce sont les cellulites… », remarque avec humour une aide-soignante !

2 h 00

Le patient annoncé par l’hôpital de Melun arrive. Il s’agit d’une chute à vélo survenue la veille dans la matinée. Le nez et les poignets de l’homme sont tuméfiés. Une de ses dents est fracturée au niveau de la racine. « Je mets un fil de contention. Il faut le laisser au moins 1 mois pour lui donner une chance de se resolidariser. Mais il faut aller voir votre dentiste pour surveiller », explique Anne-Laure en prescrivant du paracétamol et des antibiotiques et en rédigeant le certificat médical.

Suit un homme d’une trentaine d’années qui présente des douleurs sur une dent traitée en urgence il y a quelques mois. Il n’a pas revu de dentiste depuis, car « il n’a pas d’argent et il ne peut pas payer ». La praticienne lui rappelle la nécessité du suivi et lui donne « une liste des services d’odontologie pouvant le prendre en charge » ainsi que la dose d’antibiotique et de paracétamol nécessaire pour la nuit. Pour éviter d’avoir à rechercher une pharmacie de garde la nuit, les patients repartent fréquemment avec les médicaments nécessaires pour la première prise.

2 h 45

La salle d’attente est vide. Mais les urgences restent ouvertes toute la nuit.

Ce fut un dimanche soir « très tranquille ».

Trois questions au Dr Anne-Laure Bonnet, assistante hospitalo-universitaire à temps complet

Venez-vous fréquemment vous occuper des urgences de nuit ?

Cette permanence est obligatoire pour tous les assistants, les maîtres de conférences des Universités et les praticiens hospitaliers nommés à Paris. Comme nous sommes nombreux, elle ne se reproduit qu’une fois tous les six mois. Je suis aux urgences deux fois par mois car je remplace certains collègues, mais c’est un choix de ma part.

Finalement, les urgences, c’est beaucoup de prescriptions d’antibiotiques et d’antalgiques ?

Nous ne pouvons pas remplacer un dentiste de ville. Les gestes à réaliser en urgence sont les soins chez la femme enceinte et les patients à risque (hospitalisés par exemple), drainer les cellulites, arrêter les hémorragies, soigner les traumatismes… Pour les caries, nous temporisons et nous orientons les patients. Nous les incitons à se faire prendre en charge, à l’hôpital si besoin. Alors oui, nous prescrivons souvent des antibiotiques et des antalgiques car les patients viennent la plupart du temps pour des infections provoquant de fortes douleurs.

On entend des praticiens libéraux dire que les urgences de La Pitié ne font rien. Nous faisons au mieux. Il y a beaucoup de passage et nous devons faire des choix et classer les urgences. Il y a les urgences qui peuvent être différées et celles qui ne peuvent pas. Le praticien de ville joue alors effectivement un grand rôle et revoit tous les patients que nous avons réorientés. Mais il ne faut pas oublier tous ceux que nous avons pris en charge et qu’il ne voit pas : les hémorragies, les traumatismes, les patients hospitalisés, les cellulites…

Comment gérez-vous les patients énervés ?

Il faut être humain. Je n’ai pas souvent de problèmes avec les patients. Quand on explique, en règle générale, le dialogue s’installe. Les patients s’énervent quand ils sentent qu’on ne s’intéresse pas vraiment à eux, quand on ne prend pas en compte leur douleur ou quand on est un peu agressif pour x raisons. Tout à l’heure, l’homme qui a perdu son plombage aurait pu s’énerver quand je lui ai dit que je ne le soignerais pas. Il aurait suffi d’un regard un peu exaspéré pour que le ton monte. Ce sont ces situations qui sont les plus difficiles à gérer.