PROTHÈSE
Exercice exclusif en implantologie et
reconstruction osseuse pré-implantaire,
Strasbourg
CES de parodontologie, Faculté de
chirurgie dentaire, Strasbourg
DU d’implantologie orale,
faculté de médecine, Lille
DU de biomatériaux et tissu osseux,
Faculté de médecine, Angers
DU d’odontologie légale et DU d’expertise et d’évaluation du dommage
corporel,
Faculté de chirurgie dentaire,
Montpellier
La gestion des restaurations implantaires totales pose des questions majeures. Sur le plan technique, si le patient est déjà édenté, comment retrouver les références ? S’il est en voie d’édentement (parodontite terminale, caries…), comment définir le plan de traitement avec ses étapes ? Sur le plan psychosocial, comment annoncer la perte des dents ? Quel est le profil du patient ? Va-t-il accepter la lourdeur de certaines interventions et l’inconfort de la temporisation ? Va-t-il assumer financièrement le traitement ? Sur le plan médical, l’état général du patient est-il compatible avec la chirurgie de confort ? Il est ainsi fondamental d’établir au préalable un projet prothétique qui tiendra compte de tous ces paramètres et de lister toutes les étapes nécessaires pour y parvenir. Ces éléments permettront l’organisation de l’équipe soignante ainsi que le respect du devoir d’information.
Les restaurations implantaires totales s’adressent à trois types de situations cliniques :
• les édentements totaux ;
• les édentements subtotaux (persistance de 2 ou 3 dents) ;
• les patients en voie d’édentement total (parodontopathie terminale, infiltrations carieuses irréversibles…).
Les deux premières catégories s’adressent à des porteurs de prothèses amovibles avec souvent des pertes de repères (notamment la dimension verticale d’occlusion, la relation d’intercuspidie maximale) qui nécessiteront des corrections empiriques propres à la gestion de la prothèse totale.
En revanche, les dents encore présentes des patients en voie d’édentement fournissent des informations précieuse même si elles ne sont pas ou plus en bonne position. La chronologie des différentes étapes d’une restauration implantaire totale bimaxillaire sera illustrée à l’aide d’un cas clinique.
À la mi-janvier 2012, un patient de 51 ans nous est adressé par son chirurgien-dentiste pour avis et éventuellement traitement. Le patient se plaint de douleurs et de « mauvaises odeurs dans la bouche ». Il s’est fait poser une prothèse conjointe globale maxillaire 6 ans auparavant et a été traité et suivi par un parodontiste depuis 2 ans. Celui-ci a, entre autres, réalisé une restauration implantaire partielle mandibulaire.
La demande du patient est sans ambiguïté : il est mécontent du résultat eu égard aux nombreuses séances parfois pénibles au fauteuil durant plusieurs années et à l’investissement financier que ce traitement a nécessité. Il nous demande « une solution rapide pour remettre ses dents en état et être tranquille définitivement ». Son état général est excellent et il ne fume pas. L’examen clinique montre déjà que le couloir prothétique et la dimension verticale d’occlusion sont adéquats et peuvent être conservés pour une future restauration. La ligne du sourire est basse [1], ce qui conditionne l’option prothétique [2] (fig. 1).
L’examen plus détaillé montre des infiltrations carieuses multiples, très peu d’inflammation gingivale, mais le scoring révèle des pertes d’attache très importantes sur presque toutes les dents, ce qui les condamne. Dans notre pratique, nous utilisons la classification d’Armitage pour analyser la situation sur le plan parodontal et pour prendre la décision d’extraction ou de conservation des dents [3].
La radiographie panoramique visualise les pertes osseuses généralisées et la péri-implantite irréversible sur les 3 implants mandibulaires (fig. 2 et 3).
L’imagerie 3D (cone beam) confirme les défauts osseux et montre une anatomie particulière de la mandibule « en sablier », c’est-à-dire que l’os alvéolaire s’amincit considérablement en direction apicale (fig. 4 et 5).
Le traitement qui a semblé le plus compatible avec les attentes du patient était une restauration fixée implanto-portée bimaxillaire :
• au maxillaire, quand c’est possible, notre préférence va vers la technique d’extraction-implantation mise en charge immédiate avec de très bons résultats [4, 5]. Ici, la situation dégradée la contre-indique ;
• à la mandibule, notre intention première partait sur un All-on-4(r) avec mise en charge immédiate [6], mais la topographie particulière ne permettra pas de poser d’implants en l’état.
Le patient est reçu en entretien afin de lui expliquer la situation actuelle, le pronostic et les impératifs inhérents à la solution choisie. Il doit comprendre que le traitement sera long (plus d’un an), la temporisation inconfortable (prothèse amovible totale) et qu’il y aura des exigences de notre part (non-port de la prothèse la nuit et durant certaines périodes de cicatrisation). Il doit accepter l’investissement financier. Il est informé sur toutes les étapes de la réalisation : reconstruction osseuse au maxillaire et à la mandibule, nombre d’implants, risques d’échecs, impératifs d’hygiène et de maintenance, risque de gêne phonétique….
À l’issue de cet entretien, on pourra savoir s’il remplit les critères pour bénéficier du traitement. Le patient a adhéré à la proposition qui lui a été faite à condition de commencer par l’arcade supérieure avant de traiter l’arcade inférieure ceci afin de « reprendre confiance ».
Toutes les dents maxillaires, les incisives mandibulaires et la 38 sont extraites, les implants sont déposés et une prothèse amovible transitoire maxillaire immédiate est livrée ; elle servira de projet prothétique selon la technique de Romano [7]. À la mandibule, une prothèse amovible partielle immédiate avec des crochets coulés munis de taquets occlusaux pour en limiter l’enfoncement est livrée (fig. 6 et 7).
Après une période de cicatrisation de 3 mois, les examens cliniques et tomographiques montrent une insuffisance osseuse au maxillaire, qui était prévisible (fig. 8 et 9). Les deux sinus maxillaires sont de type S4 dans la classification de Misch [8] et ne permettent pas la pose simultanée des implants. Les crêtes osseuses sont également insuffisantes en épaisseur si bien qu’une reconstruction globale du maxillaire sera nécessaire.
L’intervention consistera, sous anesthésie locale, à réaliser une élévation de sinus bilatérale en comblant avec de l’allogreffe (particules cortico-spongieuses BIOBank) et en ostéosynthésant des blocs cortico-spongieux de BIOBank (fig. 10 et 11). Le patient est placé sous couverture antibiotique (amoxicilline + acide clavulanique 1 g 2 fois par jour pendant 10 jours), sous cure courte de corticoïde (Solupred(r)) et sous antalgique (paracétamol). Les manœuvres d’hygiène orale se font avec une brosse 7/100 imbibée de bain de bouche à la chlorhexidine dilué. Le port de la prothèse maxillaire est interdit pendant 10 jours et sa frange vestibulaire est totalement meulée pour éviter toute compression sur les zones greffées.
Le délai de cicatrisation sera de 5 mois (fig. 12).
Le cone beam montre les gains osseux (fig. 13 et 14) et permet de confectionner un guide chirurgical. L’exposition des sites montre la revascularisation des blocs avec une résorption modérée (fig. 15 et 16). Huit implants (NobelSpeedy, Nobel Biocare) seront posés en technique enfouie (fig. 17 et 18). La prothèse sera évidée pour décharger ces zones. Le délai de cicatrisation sera de 3 mois.
Les implants sont mis au jour, des Multi-Units Abutments (Nobel Biocare) sont posés et un bridge provisoire vissé est installé 7 jours plus tard (fig. 19). Le bridge sera porté pendant au moins 4 mois pour valider l’intégration de tous les implants et pour faire d’éventuelles corrections (occlusion, esthétique…). En tout état de cause, il demeurera en place pendant la durée de la restauration mandibulaire.
Pour réaliser un All-on-4(r), il sera nécessaire d’épaissir la crête mandibulaire dans les zones prémolaires.
Ce sera effectué avec de l’os alvéolaire prélevé dans la zone antérieure mandibulaire en tête de crête, au niveau de l’os qui doit de toute façon être réséqué par ostéoplastie (fig. 20).
Après 5 mois de cicatrisation, les dents mandibulaires résiduels sont extraites et 4 implants sont posés en technique All-on-4(r) avec mise en charge immédiate [6] (fig. 21).
Après 4 mois de cicatrisation (fig. 22), la fabrication des prothèses d’usage maxillaire et mandibulaire peut être commencée. Le patient a validé l’esthétique, la fonction et la phonétique avec les provisoires fixes. Il s’agira de bridges vissés avec dents en résine sur armature en titane usinée (Procera) (fig. 23 à 25). Le réglage de l’occlusion est fondamental du fait de la disparition de toute proprioception.
Ce cas appelle plusieurs remarques :
• l’analyse des paramètres psychosociaux et du passé dentaire du patient a poussé le praticien à accepter de différer le traitement mandibulaire, le temps que le patient reprenne confiance. Ceci a bien évidemment rallongé la durée du traitement ;
• les allogreffes constituant une alternative aux autogreffes osseuses lorsque les besoins de reconstruction sont importants.
Une dizaine d’années auparavant, le maxillaire aurait nécessité des prélèvements extra-buccaux (pariétaux ou iliaques) avec pour conséquences une hospitalisation, une anesthésie générale et des risques de morbidité.
La gestion de cas complexes comme les restaurations implantaires totales bimaxillaires nécessitent une bonne communication avec le patient. Ensuite, il est fondamental de définir un projet prothétique qui guidera le cheminement chirurgical tout au long du traitement. Enfin, les étapes doivent être en cohérence avec la situation clinique : si l’on peut avoir recours à la mise en charge immédiate, ce sera un avantage, mais si les conditions ne le permettent pas, la temporisation devra intégrer des délais plus longs.
Cet article est publié en relation avec la conférence des Dr C. Authelain et P. Margossian organisée par l’ADFOC des Savoie, le jeudi 23 mars 2017, sur le thème "La prothèse totale implanto-portée". Renseignements et inscriptions : www.maisondentaire74.fr