DE BOUCHE À OREILLE
Dans l’ancien temps, le dentiste était un notable respecté. Lorsqu’il était travailleur et compétent, il gagnait bien sa vie d’une manière naturelle, ce que peu de gens cherchaient à lui reprocher. Il menait une existence confortable, sans se poser de questions et, lorsqu’il avait la sagesse d’ajuster ses ambitions à ses moyens, les finances de son cabinet n’étaient jamais un problème. Il pouvait donc prendre le temps de rassurer ses patients, de cajoler les enfants en...
Dans l’ancien temps, le dentiste était un notable respecté. Lorsqu’il était travailleur et compétent, il gagnait bien sa vie d’une manière naturelle, ce que peu de gens cherchaient à lui reprocher. Il menait une existence confortable, sans se poser de questions et, lorsqu’il avait la sagesse d’ajuster ses ambitions à ses moyens, les finances de son cabinet n’étaient jamais un problème. Il pouvait donc prendre le temps de rassurer ses patients, de cajoler les enfants en leur montrant patiemment l’utilité de chaque instrument, de discuter loisirs avec les fidèles, de passer beaucoup de temps sur une endo compliquée, d’ajuster ses prix à la situation financière de ses patients. La situation a commencé à se dégrader en 1988 lorsque l’Urssaf fut déplafonnée. Depuis, la situation n’a cessé de se détériorer, avec des ponctions toujours plus importantes sur ces « cochons de dentistes », toujours assimilés à des CSP++ dans l’esprit public, coupables en plus de faire de l’argent sur le malheur des autres.
En 1999 est arrivée la CMU. Une idée sociale, lancée par des politiciens désireux de s’acheter des voix. Mais comment rémunérer les dentistes ? Déjà le niveau de prix des prothèses était jugé scandaleux par tous les jaloux de France et de Navarre. Il fut alors décidé de fixer des prix non pas en fonction d’un certain nombre d’éléments objectifs qui influent sur nos coûts – amortissement du plateau technique, frais de prothèses et de fournitures, salaires des employés mais… – de ce que l’État pouvait se payer. Qui ne se rappelle Martine Aubry déclarant, à la télévision : « La céramique leur sera payée 2 000 F [300 €] quand même ! » Il y a, depuis, trois types de réactions : ceux qui ne veulent pas soigner de CMU, ceux qui en soignent (peu !) sans se soucier de leur prix de revient et ceux qui en reçoivent beaucoup. Pour ces derniers, un important effort de restructuration a dû être fait, ainsi qu’un changement total dans l’approche du patient : il n’est plus regardé qu’en fonction de ce qu’il va rapporter au cabinet. Une évaluation rapide de sa « valeur » est réalisée, puis le praticien s’organise pour le soigner le plus rapidement possible (nous vendons du temps) et au moindre coût. Le tout, naturellement, dans un contexte d’abondance, en refusant de recevoir les patients qui peuvent retarder les soins. Cela implique de limiter son personnel, de choisir des locaux abordables, d’acheter des fauteuils d’occasion, de faire faire la prothèse à l’étranger, de limiter le nombre des instruments. Mais aussi de simplifier ses procédures, d’extraire des dents plutôt que de les dévitaliser, de travailler vite, de limiter les échanges avec les patients, de faire sans cesse la chasse aux coûts dans le cabinet et de réduire les stocks. Ceux qui ont entamé cette démarche, cynique et pesante mais incontournable, sont prêts pour affronter l’arbitrage à venir. Les autres devront s’y mettre vite, pour survivre. Alors, pour ce qu’elle nous a permis de nous préparer au coup de massue à venir, je le redis : merci la CMU !