Clinic n° 03 du 01/03/2017

 

RÈGLEMENT ARBITRAL

ACTU

ANNE-CHANTAL DE DIVONNE  

Après quatre mois de négociations et trois propositions d’avenant à la convention dentaire refusées par les trois syndicats représentatifs, un règlement arbitral est en préparation. Face à ce que certains n’hésitent pas à appeler un « 49.3 » déguisé, toute une profession et ses étudiants en colère font bloc. Les syndicats préparent leur riposte sur un plan juridique et appellent, avec les étudiants, à une manifestation unitaire le 3 mars prochain.

L’espoir suscité par l’ouverture des négociations le 22 septembre, avec la perspective d’une réforme qui réoriente délibérément la pratique vers les soins conservateurs et la prévention, a été déçu. Le vote d’un amendement du gouvernement au PLFSS*, qui permet à la ministre de la Santé d’imposer aux partenaires conventionnels un règlement arbitral en cas d’échec au 31 janvier, a mis les négociateurs sous pression dès le mois d’octobre. Les trois propositions d’accord finalement adressées par l’Uncam* le 14 décembre 2016 et les 6 et 19 janvier 2017 ont été rejetées par les trois syndicats représentatifs. La dernière portait des revalorisations et la prise en charge de nouveaux actes à hauteur de 807 millions d’euros en 4 ans, soit 65 millions de plus que la première proposition, et un échelonnement sur une année supplémentaire. Les plafonnements des prothèses restaient inchangés avec un montant maximum de 550 € pour une céramo-métallique.

« Le compte n’y est pas »

C’est un « réinvestissement très fort qui n’a pas de précédent », commentait Nicolas Revel, le directeur de l’Uncam, calculant un « gain net » pour les chirurgiens-dentistes de 341 millions d’euros contre 272 millions dans la première proposition. La réévaluation représente « plus de 8 000 euros nets de revenu par an » pour les trois quarts des chirurgiens-dentistes, affirmait de son côté Marisol Touraine, ministre de la Santé. Mais, pour les trois syndicats, la rallonge était bien insuffisante et la proposition « inacceptable » au regard du plafonnement imposé.

Le texte plafonne 82 % de l’activité prothétique pour ne revaloriser que 34 % des actes de soins conservateurs, « enfermant toute l’activité dentaire dans un carcan sans perspectives d’évolution future » faisait-on surtout remarquer à la CNSD*.

Patrick Solera, président de la FSDL*, estimait que les propositions de l’Uncam « confirment l’entêtement et le refus de toute politique ambitieuse tournée vers l’avenir ». Il dénonçait le manque de « volonté » de négocier de l’Uncam et des complémentaires santé depuis 4 mois. Et regrettait que soit « imposée » à la profession « seule la feuille de route démagogique et électoraliste de notre ministre de tutelle ».

Le conseil d’administration extraordinaire de la CNSD votait à 99,8 % contre la signature du texte le 26 janvier. Cette quasi-unanimité est « une première » pour le syndicat « traditionnellement conventionniste », remarquait Catherine Mojaïsky, présidente de la CNSD. « Ce score jamais atteint dans un syndicat démocratique est significatif de la révolte dans toute notre profession. ». La proposition, qui a même été rejetée par les confrères pour lesquels elle était favorable, « montre l’inquiétude face au devenir du plafonnement » soulignait la responsable syndicale.

Le conseil d’administration de l’Union dentaire votait aussi, le 26 janvier, contre la proposition d’avenant.

La solution juridique…

Mais, le projet d’avenant à la convention rejeté, le règlement arbitral semble inévitable, tant Marisol Touraine a montré toute sa détermination sur ce dossier. Pour empêcher son application, les syndicats explorent les voies juridiques. L’UD* milite en faveur de la résiliation de la convention de 2006 en vigueur. Le Code de la santé publique donne en effet la possibilité aux partenaires conventionnels de dénoncer une convention dans le cas où des modifications législatives ou réglementaires affectent les rapports entre les organismes d’assurance maladie et la profession. Le règlement arbitral, une procédure exceptionnelle dans le cas d’un avenant, imposé alors même que les négociations avaient commencé semble entrer dans ce cadre. Mais pour que la démarche aboutisse, les deux syndicats signataires de la convention – la CNSD et l’UD – doivent demander cette résiliation.

Or, la CNSD a choisi une autre option. « Juridiquement, la résiliation de la convention dentaire n’empêchera pas Marisol Touraine d’aller jusqu’au bout de son projet de règlement arbitral », explique Catherine Mojaïsky. La CNSD considère en revanche qu’elle peut avoir des chances d’empêcher l’application du règlement arbitral en l’attaquant devant le Conseil d’État dès sa publication et en soulevant une QPC (question prioritaire de constitutionnalité). À travers cette procédure, le Conseil constitutionnel examinera la constitutionnalité de l’article 75 de la LFSS* et de l’arbitrage qui en découle. La FSDL, qui aboutit à la même conclusion que la CNSD, a aussi prévu de concentrer son action en justice sur la mise en place de cet arrêté ministériel.

… et une manifestation unitaire le 3 mars

En parallèle, les trois syndicats, les étudiants et les internes appellent à une forte mobilisation sur le terrain contre ce règlement. Après la manifestation du 27 janvier à l’appel des étudiants et de la FSDL, les trois syndicats représentatifs, l’UNECD* et le SNIO* appellent à une grande mobilisation le 3 mars contre le projet de règlement arbitral. Un projet jugé « délétère et mortifère » pour les praticiens, les patients mais aussi pour toute la filière dentaire, préviennent les représentants de la profession et des étudiants. Les patients « auront toujours plus de difficulté d’accès à des soins de qualité », les assistantes dentaires « seront inévitablement sous la menace des licenciements économiques », les prothésistes dentaires « verront leur activité chuter par l’incitation à chercher des prothèses moins chères hors de nos frontières » et les industriels « verront leurs carnets de commandes revus à la baisse par manque d’investissement ».

* CNSD : Confédération nationale des syndicats dentaires. FSDL : Fédération des syndicats dentaires libéraux. LFSS : loi de financement de la Sécurité sociale. PFLSS : projet de loi de financement de la Sécurité sociale. SNIO : Syndicat national des internes en odontologie. UD : Union dentaire. UFAD : Union fédérale des assistantes dentaires. Uncam : Union nationale des caisses d’assurance maladie. UNECD : Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire. UNPPD : Union nationale patronale des prothésistes dentaires. Unocam : Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire.

Quel est le contenu et la durée du règlement arbitral ?

Le champ du règlement arbitral est restreint aux tarifs plafond et aux revalorisations des actes de soins. Les autres mesures négociées concernant, par exemple, de nouveaux actes, la prévention, les retraites ou encore la démographie ne sont pas prises en compte dans ce règlement. Bertrand Fragonard, le haut fonctionnaire désigné comme arbitre, dispose de 1 mois pour auditionner les représentants de l’Uncam, de l’Unocam* et des syndicats, avant de remettre un projet de règlement à la ministre de la Santé. Il s’appuiera sur les propositions formulées. Mais Marisol Touraine a laissé entendre que l’arbitrage sera moins favorable qu’un accord négocié. Ce règlement sera arrêté pour une durée de 5 ans. Mais dans les 2 ans au plus tard qui suivront son entrée en vigueur, les partenaires devront engager des négociations en vue d’un nouvel accord.

Cnepo : « une grave régression des pratiques de santé »

Le plafonnement des honoraires « risque de faire perdre en qualité, de desservir la santé de nos patients et de mettre en péril l’industrie prothétique de qualité française, ainsi que de nombreux cabinets dentaires, avec perte d’emplois », prévient Bernard Giumelli, président du Collège national des enseignants en prothèses odontologiques (Cnepo) dans un courrier adressé à la ministre de la Santé. Ce plafonnement risque aussi de conduire à « une grave régression des pratiques de santé » puisque les praticiens ne pourront plus utiliser les améliorations thérapeutiques issues de la recherche fondamentale et clinique.

HENRI ROCHET, PRÉSIDENT DU COMIDENT, « TRÈS ATTENTIF ET INQUIET »

« Nous sommes très attentifs et nous partageons l’inquiétude des chirurgiens-dentistes car nous craignons que ce règlement ne tire la dentisterie française vers le bas », explique Henri Rochet, président du Comident qui rassemble les fabricants et distributeurs de matériels, matériaux et équipements dentaires. Pour les entreprises du secteur, les praticiens risquent d’être poussés à utiliser des produits bas de gamme. « Le low-cost a ses limites, on les connaît », remarque ce responsable. C’est pourquoi le Comident souhaite que les mesures « ne soient pas conduites uniquement par des considérations économiques, au risque de freiner l’innovation du secteur dentaire développée ces dernières années au bénéfice des patients ».

DOMINIQUE MUNOZ, PRÉSIDENTE DE L’UFAD* : « CE N’EST PAS NOTRE GUERRE À NOUS »

« Je ne suis pas favorable au plafonnement parce que cela enlève le choix au patient. Des praticiens se fournissent en Chine, d’autres chez des prothésistes français. Il faut que chacun puisse vivre avec son vrai coût de revient. » Des assistantes viendront manifester « en soutien » à leur praticien, mais « ce n’est pas notre guerre à nous », remarque Dominique Munoz, la présidente de l’UFAD. « Je ne crois pas au fait que les praticiens ne pourront plus avoir d’assistantes. On calcule qu’un praticien sans assistante, c’est 4 ou 5 patients en moins par jour. »

Les doyens et les enseignants soutiennent les étudiants

Dans une motion adoptée le 17 janvier, la Conférence des doyens rappelle que la mission des UFR est de « dispenser des enseignements conformes aux données acquises de la science intégrant les technologies actuelles ». Les doyens préviennent que si les nouvelles tarifications ne tiennent pas compte de la réalité économique du coût des soins, étudiants et futurs diplômés « se trouveront en défaut vis-à-vis des Codes de la santé publique et de la Sécurité sociale » qui imposent de délivrer « des soins conformes aux recommandations de bonnes pratiques ».

LES PROTHÉSISTES « EN GRAND DANGER »

Les prothésistes dentaires se joindront à la manifestation des chirurgiens-dentistes.

« La profession est en grand danger ; on imagine mal que les chirurgiens-dentistes puissent continuer à travailler avec des laboratoires français », s’inquiète Thomas Masiewicz, prothésiste à Paris, qui ne manquera pas le rendez-vous du 3 mars. « Pour maintenir leur compétitivité, continuer d’investir dans leur cabinet, maintenir leur personnel, il faudra trouver des moyens de réduire leurs coûts… » Et de s’élever contre la grille tarifaire qui a servi pour fixer les plafonds : « C’est une grille de prothésiste turque, évidemment imbattable ! »

L’UNPPD* manifestera contre le plafonnement parce que « nous considérons que les chirurgiens-dentistes seront tentés d’aller vers la prothèse low-cost et abandonneront leur prothésiste français », explique Laurent Munerot (photo de droite), le président de l’organisation patronale. Celui qui défend la dissociation de l’acte précise toutefois que son combat n’est « pas tout à fait le même » que celui des chirurgiens-dentistes.

Mais d’autres voix se font entendre dans la profession. Lionel Marsien (photo de gauche), prothésiste dans le Vaucluse, président fondateur de la toute nouvelle Fédération des prothésistes artisans du dentaire (FPAD), entend se démarquer de l’union patronale. « Ce n’est pas dans la confrontation avec les chirurgiens-dentistes, qui dure depuis 30 ans, que l’on trouvera une solution, mais dans une collaboration étroite », affirme le fondateur qui sera aussi présent, parce que, « avec ce plafonnement, nous allons vers une prothèse économique pour tout le monde. La FPAD se bat pour que le patient puisse avoir le choix de la qualité. Il n’est pas normal que l’on ne puisse pas vendre un produit haute couture sans avoir le même remboursement qu’un produit fabriqué en Chine ou industriellement en France ! »

Étudiants, grève et actions depuis 1 mois…

Le mouvement de grève, lancé par l’UNECD depuis le 13 janvier dans les centres de soins et reconduit chaque semaine, a un fort impact sur l’organisation des soins. À Nantes, où la grève est suivie à 100 %, l’impact est « extrêmement important », rapporte Yves Amouriq, doyen de la faculté. Seuls 15 fauteuils sur les 75 disponibles sont occupés par des internes ou des praticiens hospitaliers qui gèrent les urgences et prennent quelques patients. Les étudiants mènent aussi de nombreuses actions « coup de poing » pour sensibiliser l’opinion : opérations dans différentes villes, sit-in devant ou dans les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), construction d’un mur devant l’entrée de la CPAM de Nancy, opérations de prévention, blocage de cortèges officiels, de rues, de routes et même de périphériques à Paris et à Nantes.

L’imagination ne manque pas. On se souviendra aussi des empreintes de plâtre qui ont fusé devant la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) à Paris, lors de la manifestation du 27 janvier. Sans oublier de la diffusion sur les réseaux sociaux de nombreuses vidéos qui expliquent et alertent sur les conséquences de l’application d’un règlement arbitral.