Clinic n° 02 du 01/02/2017

 

ENDODONTIE

Loïc MOURLAN*   Jihed BEN AMMAR**   Cédric BUORO***   Marie GEORGELIN-GURGEL****   Franck DIEMER*****  


*AHU
Faculté de chirurgie dentaire et CHU
de Toulouse
**AHU
Faculté de médecine dentaire de Monastir
et CHU de Tunis
***AHU
Faculté de chirurgie dentaire et CHU
de Toulouse
****MCU-PH
Faculté de chirurgie dentaire et CHU
de Toulouse
*****PU-PH
Faculté de chirurgie dentaire et CHU
de Toulouse

L’endodontie est une discipline complexe. Toute inattention ou précipitation peut entraîner des erreurs ou des difficultés supplémentaires. Cet article fait la synthèse des points-clés qui permettent d’éviter les accidents endodontiques ou de les surmonter…

Le but du traitement endodontique est d’éliminer du système canalaire l’ensemble des bactéries et de leurs toxines, ainsi que la totalité des débris pulpaires susceptibles de servir de support et de nutriments à la prolifération bactérienne. C’est l’action mécanique des instruments de rotation continue (et/ou des limes manuelles) associée à l’action chimique des solutions d’irrigation (hypochlorite de sodium, chlorhexidine, EDTA…) qui permettent de réaliser un nettoyage du contenu canalaire optimal. L’obturation endodontique réalise alors un comblement tridimensionnel du système canalaire par la gutta-percha associée à un ciment de scellement endocanalaire, ce qui permet de prévenir ou d’éliminer une infection [1].

Il est important de respecter l’un des préceptes médicaux fondamentaux : primum non nocere (d’abord ne pas nuire). Cependant, même un praticien expérimenté n’est pas à l’abri d’un geste iatrogène au cours du traitement endodontique en raison de la multitude de difficultés cliniques rencontrées dans cette discipline. Un geste iatrogène est défini comme une erreur réalisée au cours d’un traitement et pouvant entraîner l’apparition d’une pathologie. La prévention du risque iatrogène passe par une réflexion attentive préopératoire et peropératoire.

Cet article a pour but de détailler l’ensemble des complications pouvant survenir lors du traitement endodontique, leur diagnostic et, enfin, leur prise en charge, afin que le praticien puisse appréhender ces difficultés du mieux possible.

Erreurs d’asepsie

La pose d’une digue étanche est un préalable indispensable à tout acte endodontique afin de prévenir l’infection ou la surinfection de l’endodonte, tout comme l’obturation de la voie d’accès en fin d’intervention. La mise en place du champ opératoire étanche va prévenir l’inhalation ou l’ingestion d’instruments endodontiques et de solution d’irrigation par le patient.

Lorsque cela est nécessaire, l’étanchéité peut être améliorée à l’aide de digue liquide photopolymérisable (LC Dam®, Voco ; Kool Dam®, Pulpdent ; Opal Dam®, Bisico) afin d’éviter la fuite de solution d’irrigation dans la bouche du patient et la remontée de salive dans l’endodonte (fig. 1).

Accidents de mise en forme

Butées et fausses routes

• Diagnostic, définition, conséquences

Une butée est la conséquence de la déviation instrumentale de l’axe canalaire initial. En s’accentuant, elle aboutit à un faux canal dans lequel l’instrument vient se bloquer et empêcher d’atteindre la limite apicale de préparation. La désinfection chimiomécanique de l’endodonte devient alors incomplète, tout comme l’obturation canalaire, ce qui va compromettre le pronostic de la dent.

Certains facteurs vont augmenter le risque de survenue d’une butée :

• mauvaise estimation de la longueur de travail ;

• absence de cathétérisme manuel ;

• mauvaise utilisation des instruments de mise en forme (pression excessive, absence de précourbure des limes manuelles, non-respect des séquences instrumentales, insertion trop longue – en durée – et statique d’un instrument rotatif dans un canal… ) ;

• anatomie canalaire complexe (canaux minéralisés, crochets apicaux, courbures, diverticules…) ;

• retraitement ou tentative de retrait de fragment instrumental.

• Prévention : évaluation des difficultés

L’analyse de la radiographie préopératoire est un élément fondamental. Elle va permettre d’identifier les difficultés anatomiques liées au traitement endodontique. L’aménagement des voies d’accès et la pénétration initiale devront alors tenir compte de cette analyse afin de diminuer le risque de survenue de butée :

• élimination des contraintes coronaires (surplombs, interférences, éperons dentinaires) lors de l’élaboration de la cavité d’accès ;

• cathétérisme initial manuel (éventuellement à l’aide de limes rotatives de cathétérisme du type PathFile®, ScoutRace®, One G®, très utiles dans le cas de canaux très minéralisés) afin de sécuriser un passage central dans le canal, de déterminer la longueur de travail et de connaître précisément l’anatomie canalaire (courbures, crochets, minéralisation) ;

• précourbure des limes manuelles en fonction de l’anatomie, afin de respecter la trajectoire canalaire ;

• irrigation abondante à l’hypochlorite de sodium afin d’éliminer le plus possible de débris pulpaires et dentinaires.

Perforations

• Diagnostic, conséquences

Une perforation entraîne une perte de chance importante pour la dent (jusqu’à 50 %). C’est une communication d’origine iatrogène entre l’endodonte et les tissus parodontaux. La mise en place d’un matériau étanche et biocompatible doit supprimer cette communication afin de permettre, d’une part, la cicatrisation des tissus parodontaux et, d’autre part, le maintien de l’étanchéité du traitement endodontique.

Lorsque le praticien est confronté à une perforation, il doit prendre en compte plusieurs critères afin d’évaluer le pronostic de la dent à traiter :

• ancienneté de la perforation. Plus celle-ci est récente, meilleur est le pronostic. La perte osseuse et l’inflammation parodontale liées à la contamination bactérienne du site vont augmenter le risque d’échec de l’obturation. Le pronostic est également défavorable si la perforation est en contact direct avec la cavité buccale [2] ;

• taille de la perforation. Une taille importante va réduire la possibilité de réaliser un scellement étanche et, donc, dégrader le pronostic. Elle peut également compromettre la résistance mécanique de la dent ;

• localisation de la perforation :

– dans le tiers coronaire (plancher pulpaire et parois camérales). La perforation est généralement liée à une erreur de l’opérateur lors de l’aménagement des voies d’accès (fig. 2),

– dans le tiers moyen. La préparation d’un logement canalaire non contrôlée aboutit souvent à une perforation de ce type, ainsi qu’une mauvaise utilisation des premiers instruments de mise en forme (forets à pointe active du type Torpan ou Beutelrock, forets de Gates, inserts ultrasonores…),

– dans le tiers apical. La perforation est la conséquence d’une déviation de l’axe canalaire le plus souvent lors de la mise en forme par les instruments manuels en acier et parfois par les instruments rotatifs, créant tout d’abord une fausse route. La mise en forme de la fausse route peut entraîner la création d’une perforation si le praticien ne se rend pas compte de son erreur ou s’il travaille avec un instrument dont la pointe s’est fracturée.

Les perforations du tiers moyen et du tiers apical sont la plupart du temps des complications de butée ou de fausses routes. Ces accidents, dus à la mauvaise utilisation des instruments de mise en forme, doivent être corrigés par le praticien afin de terminer le traitement endodontique dans de bonnes conditions.

• Prise en charge

Le but du traitement va être d’obturer de manière étanche et permanente la communication qui existe entre le parodonte et l’endodonte.

Actuellement, le MTA (mineral trioxide aggregate), qui est un dérivé du ciment de Portland, est le plus indiqué. Sa biocompatibilité, sa légère expansion de prise ainsi que sa capacité à réaliser un scellement étanche en milieu humide en font un matériau de choix pour le traitement à long terme des perforations [3]. Son inconvénient est constitué par son temps de prise assez long (de 3 à 4 heures) qui empêche de réaliser sa pose et la reconstitution coronaire dans la même séance.

La Biodentine™ (Septodont) est un substitut dentinaire présentant des propriétés biologiques proches de celles du MTA mais avec un temps de prise beaucoup plus court (12 minutes). Ses difficultés de manipulation et sa faible radio-opacité restreignent son utilisation aux réparations des perforations hautes. Il faut toutefois noter que ce biomatériau présenterait une force d’adhésion plus importante que celle du MTA après exposition aux solutions d’irrigation endodontique [4].

• Prévention

Lors de l’aménagement des voies d’accès

Avant la réalisation de la cavité d’accès, le praticien doit impérativement analyser la dent à traiter : des bases solides en anatomie dentaire associées à l’examen rigoureux des clichés radiographiques préopératoires vont permettre de limiter ces erreurs de mise en forme.

Un plateau technique adapté aux différentes étapes de l’aménagement des voies d’accès sera également indispensable au bon déroulement de cette phase clinique. Il devra comprendre :

• une fraise boule diamantée 0,12 ou 0,14 montée sur turbine pour préfigurer la forme de la cavité d’accès (cavité guide) ;

• une fraise boule en carbure de tungstène à long col montée sur contre-angle, ou une fraise boule diamantée 0,12 montée sur turbine pour les praticiens les plus expérimentés, pour effectuer la trépanation. La corne pulpaire la plus volumineuse doit être ciblée lors de la trépanation ;

• une fraise Endo-Z® ou Zekria Endo® afin de réaliser l’élargissement de la voie d’accès. La pointe non travaillante de ces fraises permet d’éviter de léser le plancher caméral ;

• des inserts ultrasonores afin d’améliorer l’état de surface de la cavité d’accès et de dégager les entrées canalaires (kit Endo Success®, inserts ETBD, ET20 et ET18D d’Acteon) ;

• des aides optiques (loupes ou microscope opératoire) avec lumière.

Lors de la mise en forme

La détermination de la longueur de travail devra être réalisée à l’aide d’une lime manuelle K10 ou K15. Cette lime peut être précourbée afin de s’adapter à l’anatomie canalaire de la dent à traiter. Il ne faut pas insérer d’instrument de rotation continue dans l’endodonte avant cette étape sinon le risque de butée est augmenté.

Les canaux très minéralisés ou courbés peuvent être élargis par des instruments de rotation continue en nickel-titane de faible conicité, de 2 à 3 % (PathFile® ou ProGlyder®, Dentsply ; ScoutRace®, FKG ; One G®, Micro Mega) dont la flexibilité permet d’éviter la création de butée qui pourrait se compliquer plus tard en perforation.

Des aides optiques (loupes ou microscope opératoire) sont indispensables.

Enfin, un cliché radiographique peropératoire aidera le praticien à contrôler sa progression et diminuera le risque de déviation de l’axe lors de l’aménagement des voies d’accès ou de la progression canalaire de cas complexes.

Fracture instrumentale

De temps en temps, pendant le traitement endodontique, un instrument peut se fracturer dans le système canalaire, bloquant l’accès au tiers apical. Contrairement à ce que l’on peut penser, le risque de fracture est aussi important avec des limes en acier inoxydable qu’avec des instruments rotatifs en nickel-titane. Ce sont les causes qui vont varier en fonction des instruments : mauvaise utilisation (surutilisation, application de pression importante, canal sec…), limitations dans les propriétés physiques, accès insuffisant, anatomie canalaire (courbure aiguë) et éventuellement défauts de fabrication [5].

Lorsque la fracture de l’instrument se produit, une radiographie doit être prise immédiatement (fig. 3) : non seulement elle confirmera la fracture mais elle donnera aussi les informations nécessaires au clinicien pour éliminer l’instrument (emplacement du fragment, taille, possibilité de retrait en fonction de l’anatomie canalaire). Le patient doit être informé de l’incident et de son effet sur le pronostic, et les caractéristiques de l’instrument cassé devront être reportées dans son dossier.

Il faut distinguer deux types de fractures :

• les fractures par torsion :

– un instrument sur lequel est appliqué une torsion se déforme tout d’abord de façon élastique (réversible, il reprend sa forme initiale lors de la suppression de la contrainte) puis de façon permanente si la torsion est maintenue. C’est alors que la fracture peut survenir. L’augmentation du diamètre et de la conicité de l’instrument ainsi que celle de la masse centrale vont permettre d’accroître la résistance de l’instrument à la fracture,

– lorsque l’instrument est inséré en force dans le canal ou avec un gel lubrifiant composé d’EDTA et de peroxyde d’urée, les débris issus de la préparation mécanique n’ont pas le temps d’être expulsés des spires et restent bloqués dans celles-ci. La surface de contact de l’instrument avec les parois canalaires est donc augmentée, ce qui accentue les contraintes appliquées sur celui-ci : la fracture par torsion peut survenir,

– si les contraintes appliquées sur la pointe de l’instrument sont trop importantes, cette pointe va se bloquer dans le canal et se fracturer par torsion, car l’instrument continue sa rotation (sauf avec les systèmes possédant la fonction auto-stop ou auto-reverse). Le praticien évitera ce blocage en explorant au préalable le réseau canalaire à l’aide de limes manuelles et en opérant la mise en sécurité du passage de la pointe instrumentale par l’utilisation d’instruments de diamètre suffisant (de 15 à 20/100 mm) ;

• les fractures par fatigue cyclique des instruments. Il s’agit d’un paramètre auquel sont confrontés les concepteurs d’instruments en nickel-titane. Ce type de fracture est provoqué par l’utilisation répétée des instruments qui crée un stress dans leur masse, pouvant aller jusqu’à la fracture. L’accumulation de ce stress est difficile à évaluer car elle est multifactorielle. En effet, le stress peut être augmenté par des contraintes importantes, par une vitesse de rotation élevée, par l’usure des lames de l’instrument, par la fragilisation de l’instrument utilisé dans l’hypochlorite et, enfin, par les cycles répétés de stérilisation. Le concept de l’instrument unique s’appuie sur ce constat en proposant de supprimer la fatigue cyclique puisqu’il est jeté après chaque utilisation.

• Prévention

De nombreuses recommandations ont été faites pour prévenir la fracture instrumentale. La plupart d’entre elles sont liées à l’opérateur.

Les fractures par torsion peuvent être évitées par l’examen minutieux des instruments, avant et après utilisation, afin de s’assurer qu’ils n’ont pas subi de déformation lors de la mise en forme (pas d’ouverture des spires ou de zone brillante irrégulière).

Les fractures par fatigue cyclique sont impossibles à prévenir de manière visuelle car elles ne sont pas précédées par une déformation visible. C’est pourquoi il est important que le praticien respecte les recommandations d’utilisation du fabricant, en comptant le nombre d’utilisations. Il ne devra pas hésiter à mettre de côté un instrument qui a subi des contraintes importantes lors d’un traitement endodontique (forte courbure, canaux calcifiés…), même si le nombre maximal d’utilisations de celui-là n’a pas été atteint. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les économies générées par la réutilisation instrumentale sont moindres que les frais engendrés par une complication de fracture instrumentale (fig. 4).

L’instrumentation mécanique, qu’elle soit manuelle ou rotative, ne doit pas être effectuée dans un canal sec car cela augmente le risque de fracture : la solution d’irrigation va jouer le rôle de lubrifiant [5].

Certains auteurs préconisent l’utilisation d’un gel chélatant (Glyde File Prep®, MM-Cream®) afin de faciliter la progression des instruments [1]. Cependant, il semblerait que le pouvoir lubrifiant de ces gels est moins important que celui des solutions chélatantes liquides [6]. Il faut également noter que leur utilisation augmenterait l’accumulation de débris dentinaires dans la partie apicale des canaux [7].

Les instruments doivent être utilisés selon les instructions du fabricant et l’application de forces excessives doit être évitée.

• Pronostic

La présence d’un morceau d’instrument brisé dans le canal en lui-même ne prédispose pas la dent à l’échec. C’est la présence de tout tissu pulpaire nécrotique ou infecté restant dans l’espace canalaire apical qui guidera le pronostic. Celui-ci sera fonction du stade de l’instrumentation au moment de la fracture, de l’état préopératoire de la pulpe et du péri-apex, et de la possibilité de contourner ou de retirer le morceau.

Surinstrumentation

• Définitions, conséquences

Le but de la mise en forme instrumentale est d’élargir de façon homothétique les parois canalaires et de respecter la constriction apicale. Il est nécessaire de bien avoir en tête le schéma de Kuttler (fig. 5) afin de comprendre cette notion de constriction apicale.

Il est important de distinguer :

• la surinstrumentation de la constriction apicale. La mauvaise estimation de la longueur de travail entraîne une mise en forme au-delà de la constriction apicale et une disparition de celle-ci (fig. 6). Les tissus péri-apicaux sont souvent irrités et un saignement peropératoire peut apparaître. Le risque de dépassement des matériaux d’obturation est accentué par l’absence de ce rétrécissement apical ;

• le stripping. Il se définit par le transfert de la mise en forme vers la paroi interne du canal (fig. 7). Cela provoque un amincissement de cette paroi qui peut aboutir à une perforation ;

• l’ovalisation foraminale, ou zipping. Il correspond à une surinstrumentation de la constriction apicale d’un apex situé après une courbure. Le redressement de l’instrument de mise en forme prépare la paroi externe du canal et détruit la constriction apicale. La conicité n’est pas continue, la zone apicale prend une forme de sablier, ce qui empêche d’obturer de manière étanche la totalité du tiers apical (fig. 8).

• Prévention

La surinstrumentation de la constriction apicale doit être évitée par une mesure précise de la limite apicale de préparation. Elle va être estimée lors de la radio préopératoire, puis validée lors du cathétérisme par une radio peropératoire : lime n° 15 dans le canal pour valider cette longueur, lime qui doit être située à environ 1 ou 1,5 mm du dôme radiologique (image projetée de la partie la plus apicale de la dent). Il ne faut pas utiliser de limes plus fines dont la partie apicale est parfois difficile à identifier sur la radiographie.

L’estimation radiographique de cette longueur peut être faussée par plusieurs éléments :

• la radiographie étant une projection bidimensionnelle d’un volume, l’anatomie apicale ne pourra pas être correctement identifiée (foramen apical décalé, superposition) ;

• la technique radiographique utilisée peut entraîner une projection faussée de la partie apicale. En endodontie, il est important d’utiliser des angulateurs pour réaliser la technique des plans parallèles, qui entraîne moins de déformation.

Les localisateurs électroniques d’apex (LEA) permettent de s’affranchir de ce cliché radiographique en supprimant ces inconvénients. Ils sont un moyen plus fiable de mesurer la longueur de travail [10]. Cependant, la radiographie permet de détecter les rares erreurs de mesures des LEA. En effet, ils ont aussi leurs limites : les mesures seront perturbées en présence de liquide dans la chambre pulpaire (importance de l’utilisation d’un champ opératoire étanche), en cas de contact avec des reconstitutions métalliques et en cas d’utilisation d’une lime trop fine par rapport au diamètre canalaire.

Il est important de ne pas se limiter à une seule mesure de la longueur de travail en début de traitement. En effet, les instruments de mise en forme modifient l’anatomie canalaire au fur et à mesure de leur utilisation et la longueur de travail peut l’être également (légèrement réduite). Il est donc primordial de reprendre des mesures au cours du traitement pour réajuster cette longueur.

Accidents médicamenteux

Dépassements de solution d’irrigation

• Diagnostic

Les solutions d’irrigation utilisées en endodontie sont nombreuses, mais plusieurs études ont montré que l’hypochlorite de sodium à 2,5 %, par son activité antibactérienne et son action solvante, est la solution de choix en endodontie, utilisée en association avec l’EDTA à 17 % ou l’acide acétique à 10 % en rinçage final afin d’éliminer les boues dentinaires [11].

Cette solution d’irrigation va permettre d’éliminer les micro-organismes ainsi que les débris organiques et minéraux engendrés par la mise en forme mécanique. Un de ses inconvénients est sa cytotoxicité lors d’un dépassement dans le péri-apex [12, 13]. En effet, elle provoque une hémolyse, une ulcération et une nécrose septique des tissus qui entraînent une réaction immédiate et douloureuse chez le patient. Celui-ci, même anesthésié, va ressentir une brûlure importante. Un gonflement des tissus et un hématome vont se former immédiatement ou quelques heures après le dépassement [14].

Le praticien observera également un saignement important au niveau de l’endodonte (fig. 9). Certains articles rapportent que non seulement des paresthésies peuvent perdurer pendant plus de 1 an après le dépassement d’hypochlorite, associées à des douleurs à la percussion de la dent traitée [15], mais également des séquelles plus importantes telles que des atrophies des tissus sous-cutanés [16].

Si la solution est injectée directement dans le sinus maxillaire, une épistaxis peut apparaître, l’œdème et la sensation de brûlure seront alors accentués [14].

Il est important de surveiller l’œdème des tissus pour qu’il ne diffuse pas dans la zone du plancher buccal où il viendrait comprimer les voies respiratoires. Le praticien ne doit pas hésiter, dans ce cas, à contacter le SAMU afin que le patient soit pris en charge en milieu hospitalier.

• Prévention

La mise en place d’un champ opératoire étanche permettra d’éviter les désagréments (brûlure et irritation) provoqués par l’ingestion/inhalation d’hypochlorite de sodium par le patient.

Une pression excessive sur le piston de la seringue d’irrigation peut être à l’origine du dépassement d’hypochlorite, ainsi que le blocage de l’aiguille dans le canal. Le praticien devra contrôler la profondeur d’insertion de l’aiguille : celle-ci doit rester au moins 2 mm en deçà de la longueur de travail. Les aiguilles d’irrigation utilisées auront un diamètre de 30 G à déflexion latérale, ce qui permet de réduire de manière importante l’extrusion d’hypochlorite de sodium dans le péri-apex [17].

Dépassements de médication intracanalaire temporaire

• Diagnostic

L’hydroxyde de calcium (CaOH) est une solution alcaline (pH entre 12,5 et 12,8) qui a une action antibactérienne ainsi que la capacité d’induire et de stimuler la formation dentinaire. Cette propriété antibactérienne est recherchée lors de son utilisation comme médication temporaire intracanalaire, pour laquelle il est souvent conditionné sous forme de seringue prédosée. Le blocage de la seringue dans le canal ou la présence d’un apex ouvert peut être problématique lors de l’injection et entraîner un dépassement de matériau dans le péri-apex. Le patient rapporte une douleur intense immédiatement après le dépassement. L’hydroxyde de calcium diffuse et entre en contact avec les cellules sanguines, ce qui entraîne une précipitation cristalline provoquant une obstruction des vaisseaux sanguins ayant pour conséquence une nécrose des tissus environnants. Cette nécrose peut s’étendre à la peau, aux muqueuses, à la gencive et, parfois, elle peut même atteindre un nerf et entraîner des paresthésies [18].

• Prévention

L’injection d’hydroxyde de calcium avec une seringue doit être évitée, notamment en cas d’apex très ouverts.

Accidents liés à l’obturation

Emphysème sous-cutané lié au séchage canalaire

• Diagnostic

Lors du séchage de la chambre pulpaire ou du contenu canalaire, le praticien peut parfois utiliser par mégarde l’air comprimé de son unit. Celui-ci peut pénétrer sous pression dans le tissu péri-apical et provoquer le décollement des espaces interstitiels. Cela entraîne immédiatement un gonflement de l’hémiface, associé ou non à des douleurs spontanées et à une palpation de type « crépitation neigeuse » [19].

Le diagnostic différentiel est à faire avec :

• l’hématome sous-cutané associé à une tuméfaction fluctuante et à une coloration des muqueuses ;

• la réaction allergique et, notamment, l’œdème de Quincke qui est caractérisé par un gonflement de la langue, des lèvres, des téguments et des paupières associé à une dysphonie, à une dyspnée, à une sensation locale de chaleur ainsi qu’à une hyperventilation. Il faut également noter l’absence de crépitation neigeuse à la palpation.

• Prévention

Il ne faut jamais utiliser la soufflette de l’unit en propulsant de l’air directement dans la cavité d’accès. Il est préférable d’utiliser des pointes de papier insérées dans les canaux et d’appliquer de l’air sur celles-ci perpendiculairement au grand axe de la dent traitée (fig. 10). Cela permet de faire remonter le liquide par capillarité et diminue le risque de survenue d’un emphysème sous-cutané.

Dépassement de matériau d’obturation canalaire

• Définition et conséquences

Le but de l’obturation endodontique est de réaliser un scellement apical tridimensionnel de l’endodonte afin d’assurer une isolation de celui-ci vis-à-vis du péri-apex. Si cette obturation va au-delà de la constriction apicale, on parle de :

• surobturation, c’est-à-dire d’une obturation tridimensionnelle de l’endodonte avec un surplus de matériau ayant fusé au-delà du canal ;

• surextension, lorsque l’obturation canalaire n’est pas complète (persistance de zones de vide entre le matériau d’obturation et les parois dentinaires) mais qu’une partie du matériau a fusé au-delà de l’apex.

Le dépassement modéré de ciment de scellement au-delà de la constriction apicale (communément dénommé puff) est recherché par certains praticiens : il serait le témoin d’une obturation endodontique réussie par la présence de la perméabilité apicale mais n’augmenterait pas les douleurs postopératoires [20]. Certaines études montrent en revanche que ce dépassement de matériau entraîne une inflammation des tissus péri-apicaux et retarderait le processus de cicatrisation des lésions péri-apicales [21].

Lorsque ce dépassement est important, ou lorsqu’il est accompagné d’un dépassement de gutta-percha, la réaction inflammatoire sera accentuée et le risque de développement ou de persistance d’une lésion péri-apicale augmentera.

Selon la localisation de la dent traitée, le dépassement peut atteindre des structures anatomiques proches :

• le sinus maxillaire. Le dépassement n’est pas toujours accompagné d’une douleur, cependant il va entraîner une inflammation chronique de l’épithélium sinusien, pouvant parfois empêcher la clairance sinusienne et provoquer des sinusites chroniques. Le risque est le développement d’une aspergillose sinusienne qui est une mycose sinusienne provoquée par Aspergillus fumigatus, dont le développement est favorisé par les matériaux à base d’oxyde de zinc et d’eugénol [22-24]. Un diabète, une corticothérapie et une immunodépression constituent des facteurs de risque de développement d’une aspergillose [25] ;

• le nerf alvéolaire inférieur. Sa proximité avec les apex des molaires mandibulaires augmente le risque de survenue d’un accident lors du traitement endodontique. Les symptômes rapportés vont être variables, allant de la dysesthésie plus ou moins gênante aux douleurs paroxystiques insupportables (brûlures, décharges électriques, plus ou moins irradiantes). Le dépassement entraînera soit une compression mécanique directe du nerf, soit une irritation chimique (toxicité liée à la biocompatibilité des ciments endodontiques [26]), soit une projection de bactéries péri-apicales dans le canal mandibulaire.

• Prévention

Il est primordial de respecter rigoureusement les protocoles de mise en forme et d’obturation après avoir effectué un cliché radiographique préopératoire qui permet d’évaluer le risque anatomique. La longueur de travail doit être contrôlée pendant la mise en forme afin de prendre en compte les modifications canalaires provoquées par les instruments de rotation continue et d’éviter une surinstrumentation de la constriction apicale. Lors de l’obturation, l’utilisation d’un bourre-pâte du type lentulo doit être évitée afin de contrôler la quantité de ciment projetée dans le canal. La technique choisie doit être compatible avec les structures apicales de la racine en prêtant une attention particulière aux apex larges.

Flare-up

Diagnostic

Le flare-up fait partie des complications dues au traitement endodontique. Il est défini par de fortes douleurs, avec ou sans gonflement, survenues après la mise en forme canalaire. Il peut varier selon les études de 1,5 % [27] à 20 % [28] et sa fréquence moyenne est de 8,4 % [29].

Plusieurs origines ont été décrites, mais il s’agirait d’un phénomène aux étiologies multiples (mécaniques, chimiques et microbiologiques).

L’infection est considérée comme le facteur significatif du flare-up. La poussée de débris organiques infectés dans le péri-apex en serait à l’origine [30]. Par conséquent, il s’agirait d’une réponse des tissus péri-apicaux à une agression subie lors de la préparation canalaire.

L’intensité de la réaction inflammatoire serait influencée par différents facteurs, la présence de bactéries spécifiques, le type de la dent, la pathologie pulpaire, la proximité sinusienne [27, 28, 31, 32], l’âge du patient et son sexe.

Prévention

L’utilisation de limes de sécurisation du canal (PathFile™, ProGlider®, ScoutRace®, One G®…), une approche progressive du canal tiers par tiers et une irrigation abondante permettent d’éviter la propulsion de débris dans le péri-apex.

Conclusion

En raison de sa complexité, l’endodontie est l’un des actes les plus stressants de notre pratique quotidienne. La prévention des accidents iatrogènes sera facilitée par la connaissance rigoureuse des protocoles de traitement et l’analyse du cliché radiographique préopératoire. Le praticien pourra éventuellement orienter son patient vers un endodontiste s’il identifie un risque d’accident iatrogène en préopératoire.

Même si « l’erreur est humaine », le praticien devra savoir identifier l’ensemble des symptômes pouvant évoquer un accident iatrogène et, surtout, il devra accompagner son patient dans la gestion de celui-ci (traitement immédiat et différé).

Bibliographie

  • [1] Simon S, Machtou P, Pertot W. Endodontie. Rueil-Malmaison : CdP, 2012.
  • [2] Krupp C, Bargholz C, Brüsehaber M, Hülsmann M. Treatment outcome after repair of root perforations with mineral trioxide aggregate : a retrospective evaluation of 90 teeth. J Endod 2013; 39:1364-1368.
  • [3] Mente J, Leo M, Panagidis D, Saure D, Pfefferle T. Treatment outcome of mineral trioxide aggregate : repair of root perforations-long-term results. J Endod 2014;40:790-796.
  • [4] Guneser MB, Akbulut MB, Eldeniz AU. Effect of various endodontic irrigants on the push-out bond strength of biodentine and conventional root perforation repair materials. J Endod 2013;39: 380-384.
  • [5] McGuigan MB, Louca C, Duncan HF. Endodontic instrument fracture : causes and prevention. Br Dent J 2013;214:341-348.
  • [6] Peters OA, Boessler C, Zehnder M. Effect of liquid and paste-type lubricants on torque values during simulated rotary root canal instrumentation. Int Endod J 2005;38:223-229.
  • [7] Cruz A, Vera J, Gascón G, Palafox-Sánchez CA, Amezcua O, Mercado G. Debris remaining in the apical third of root canals after chemomechanical preparation by using sodium hypochlorite and glyde : an in vivo study. J Endod 2014;40:1419-1423.
  • [8] Shemesh H, van Soest G, Wu MK, van der Sluis LWM, Wesselink PR. The ability of optical coherence tomography to characterize the root canal walls. J Endod 2007;33:1369-1373.
  • [9] Carrotte P. Endodontics : part 7. Preparing the root canal. Br Dent J 2004;197:603-613.
  • [10] Kumar LV, Sreelakshmi N, Reddy ER, Manjula M, Rani ST, Rajesh A. Clinical evaluation of conventional radiography, radiovisiography, and an electronic apex locator in determining the working length in primary teeth. Pediatr Dent 2016;38:37-41.
  • [11] Zehnder M. Root canal irrigants. J Endod 2006;32:389-398.
  • [12] Alkahtani A, Alkahtany SM, Anil S. An in vitro evaluation of the cytotoxicity of varying concentrations of sodium hypochlorite on human mesenchymal stem cells. J Contemp Dent Pract 2014;15:473-481.
  • [13] Barnhart BD, Chuang A, Lucca JJD, Roberts S, Liewehr F, Joyce AP. An in vitro evaluation of the cytotoxicity of various endodontic irrigants on human gingival fibroblasts. J Endod 2005;31:613-615.
  • [14] Zhu W, Gyamfi J, Niu L, Schoeffel GJ, Liu S, Santarcangelo F et al. Anatomy of sodium hypochlorite accidents involving facial ecchymosis – A review. J Dent 2013;41:935-948.
  • [15] Bosch-Aranda ML, Canalda-Sahli C, Figueiredo R, Gay-Escoda C. Complications following an accidental sodium hypochlorite extrusion : a report of two cases. J Clin Exp Dent 2012;4:e194-e198.
  • [16] Markose G, Cotter CJ, Hislop WS. Facial atrophy following accidental subcutaneous extrusion of sodium hypochlorite. Br Dent J 2009;206:263-264.
  • [17] Boutsioukis C, Psimma Z, Kastrinakis E. The effect of flow rate and agitation technique on irrigant extrusion ex vivo. Int Endod J 2014;47:487-496.
  • [18] Shin Y, Roh BD, Kim Y, Kim T, Kim H. Accidental injury of the inferior alveolar nerve due to the extrusion of calcium hydroxide in endodontic treatment : a case report. Restor Dent Endod 2016;41: 63-67.
  • [19] Mishra L, Patnaik S, Patro S, Debnath N, Mishra S. Iatrogenic subcutaneous emphysema of endodontic origin. Case report with literature review. J Clin Diagn Res 2014;8:279-281.
  • [20] Sadaf D, Ahmad MZ. Factors associated with postoperative pain in endodontic therapy. Int J Biomed Sci 2014;10:243-247.
  • [21] Sari S, Duruturk L. Radiographic evaluation of periapical healing of permanent teeth with periapical lesions after extrusion of AH Plus sealer. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2007;104:e54-e59.
  • [22] Mensi M, Piccioni M, Marsili F, Nicolai P, Sapelli PL, Latronico N. Risk of maxillary fungus ball in patients with endodontic treatment on maxillary teeth: a case-control study. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2007;103: 433-436.
  • [23] Mensi M, Salgarello S, Pinsi G, Piccioni M. Mycetoma of the maxillary sinus : endodontic and microbiological correlations. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 2004;98:119-123.
  • [24] Guivarc’h M, Ordioni U, Catherine JH, Campana F, Camps J, Bukiet F. Implications of endodontic-related sinus aspergillosis in a patient treated by infliximab: a case report. J Endod 2015;41:125-129.
  • [25] Delbet C, Barthélémy I, Teitelbaum J, Devoize L. Mycoses aspergillaires des sinus maxillaires. Encycl Med Chir Med Bucc 2011;28-172-I-10.
  • [26] Escoda-Francoli J, Canalda-Sahli C, Soler A, Figueiredo R, Gay-Escoda C. Inferior alveolar nerve damage because of overextended endodontic material: a problem of sealer cement biocompatibility ? J Endod 2007;33: 1484-1489.
  • [27] Imura N, Zuolo ML. Factors associated with endodontic flare-ups:a prospective study. Int Endod J 1995;28:261-265.
  • [28] Morse DR, Koren LZ, Esposito JV, Goldberg JM, Belott RM, Sinai IH et al. Asymptomatic teeth with necrotic pulps and associated periapical radiolucencies: relationship of flare-ups to endodontic instrumentation, antibiotic usage and stress in three separate practices at three different time periods. Int J Psychosom 1986;33: 5-87.
  • [29] Tsesis I, Faivishevsky V, Fuss Z, Zukerman O. Flare-ups after endodontic treatment: a meta-analysis of literature. J Endod 2008;34:1177-1181.
  • [30] Siqueira JF. Microbial causes of endodontic flare-ups. Int Endod J 2003;36:453-463.
  • [21] Siqueira JF, Rôças IN, Favieri A, Machado AG, Gahyva SM, Oliveira JCM et al. Incidence of postoperative pain after intracanal procedures based on an antimicrobial strategy. J Endod 2002;28: 457-460.
  • [32] Torabinejad M, Kettering JD, McGraw JC, Cummings RR, Dwyer TG, Tobias TS. Factors associated with endodontic interappointment emergencies of teeth with necrotic pulps. J Endod 1988;14: 261-266.