PÉDODONTIE
Louise Costeaux-Defais* Noémi SCHLUSSELBERG**
*Exercice exclusif de l’odontologie
pédiatrique
Rueil-Malmaison
**Assistant HU, Faculté de chirurgie
dentaire, Paris Descartes
Exercice exclusif de l’odontologie
pédiatrique
Boulogne-Billancourt
Les black stains sont connues depuis plus d’un siècle mais leur absence de conséquence sur la santé bucco-dentaire n’en fait pas un sujet principal dans la formation des praticiens. Pourtant, en raison de leur prévalence comprise entre 1,5 et 18,5 % en Europe, la plupart des chirurgiens-dentistes omnipraticiens ou pédodontistes sont amenés à recevoir les jeunes patients qui en sont atteints. L’aspect inesthétique de ces colorations peut avoir un impact négatif sur le développement psychologique et social de l’enfant et pousse donc les praticiens à trouver une solution à ce problème récurrent. Ils ont donc un rôle important dans la prise en charge de ces patients par l’élimination de ces colorations et le contrôle de leur réapparition.
Les black stains peuvent être médicalement diagnostiquées comme des colorations extrinsèques caractérisées par la présence de liserés noirs de 1 mm, de lignes inachevées ou encore de points et localisées sur le tiers cervical des couronnes dentaires, le long de la gencive marginale, sur toutes les faces des dents temporaires et permanentes (2 dents affectées au minimum) [1].
Dans la plupart des cas, la portion d’émail située juste au contact de la gencive est indemne (1 mm environ), la gencive est le plus souvent ferme et il y a peu ou pas de saignement gingival [2] (fig. 1).
Il est important de noter que ces colorations sont toujours externes et peuvent donc être éliminées par un nettoyage de surface sans altération des tissus dentaires. Toutefois, leur forte adhérence rend difficile leur élimination par le brossage biquotidien et entraîne donc leur persistance et leur accumulation sur les surfaces dentaires. Leur couleur noire et leur expansion peuvent alors poser un problème esthétique majeur chez les enfants et les adolescents, mais sans incidence sur la santé bucco-dentaire [1] (fig. 2).
Il n’existe pas, dans la littérature médicale, de consensus quant à la prévalence des black stains. Les résultats des études menées depuis 1947 à travers le monde montrent une prévalence comprise entre 1,5 et 20 % et aucune différence liée au sexe des enfants (fig. 3).
En Europe, la prévalence est comprise entre 1,5 et 18,5 %.
Même si aucune étude récente ne donne de renseignements sur la prévalence des black stains en France, les prévalences observées dans les autres pays d’Europe permettent de dire que de nombreux professionnels de santé seront un jour confrontés à un enfant atteint de ces colorations.
Ces colorations peuvent être décrites comme un type particulier de plaque dentaire ayant une flore bactérienne spécifique avec, notamment, la présence d’Actinomyces qui a été depuis longtemps mise en évidence, ainsi qu’une diversité bactérienne plus faible. Ces bactéries, non pigmentaires, produisent du sulfure d’hydrogène, lequel, en réaction avec le fer de la cavité buccale, formerait du sulfure ferrique noir insoluble adhérent aux surfaces dentaires et responsable de la couleur de ces dépôts [3, 4]. Quant à la calcification des black stains, elle serait liée à une forte concentration en calcium et en phosphate (le processus de minéralisation différant peu de celui du tartre) [5] (fig. 4).
Les études effectuées au fil des années ont mis en évidence un certain nombre de facteurs favorisant l’apparition des colorations noires.
Tout d’abord, à l’instar de la plaque dentaire et du tartre, un brossage régulier paraît essentiel pour la limiter. Cependant, certains résultats montrent que l’hygiène bucco-dentaire ne semble pas l’empêcher mais seulement contrôler l’expansion des black stains [6]. Ces informations vont être fondamentales dans la prise en charge des patients puisqu’il existe un risque majeur de récidive [1].
Il a par ailleurs été conclu qu’il existait une composition salivaire particulière chez les patients atteints de black stains [7, 8] (fig. 5).
De plus, certains auteurs ont mis en évidence le fait que les légumes, les fruits et les boissons contenant de la vitamine C (jus de fruits), les produits laitiers et les œufs (aliments pour la plupart riches en fer) favorisaient l’apparition de ces colorations [9].
Enfin, un lien significatif a été établi entre la présence de black stains et, d’une part, la consommation d’eau du robinet riche en fer, d’autre part, la supplémentation en fer de l’enfant ou de la mère durant la grossesse [9].
À la suite de ces conclusions, un chercheur a récemment émis une hypothèse étiologique : la présence des black stains pourrait être en lien avec la lactoferrine bovine contenue en forte quantité dans le lait et le fromage et qui, d’une part, peut se fixer aux récepteurs humains présents sur les dents et, d’autre part, possède une très grande affinité pour le fer [10].
Par conséquent, la dernière hypothèse étiologique est que les colorations noires pourraient être liées à l’association de différents cofacteurs dont la présence simultanée permettrait l’expression de ces colorations dans la cavité buccale de certains patients (fig. 6) [10]. Cependant, cette hypothèse n’a été validée par aucune étude à ce jour et il n’existe aucune information dans la littérature scientifique sur la possibilité de contagion des black stains.
Dans la littérature médicale, de nombreuses études s’accordent à montrer une prévalence plus faible des caries chez les enfants atteints de black stains en denture temporaire, mixte ou permanente que chez ceux qui en sont indemnes, allant même jusqu’à conclure que ces colorations seraient un facteur protecteur contre la maladie carieuse.
Cependant, cette affirmation n’est pas confirmée par l’ensemble des auteurs. La maladie carieuse étant multifactorielle, la présence d’un risque carieux faible chez ces patients peut aussi être la conséquence d’une association d’un certain nombre de facteurs très importants tels qu’un meilleur brossage et une meilleure application des enfants à se brosser régulièrement les dents afin d’éliminer ces taches inesthétiques, une première visite chez le dentiste plus précoce, des visites de suivi plus régulières que chez les autres enfants ainsi qu’une alimentation moins cariogène [2].
En raison de leur aspect inesthétique et très visible, la conséquence principale des colorations noires est psychologique [1, 2].
Les moqueries à l’école, les questions du personnel éducatif, voire parfois la peur de la contagion à d’autres enfants peuvent avoir une influence néfaste sur le développement de l’enfant.
La première étape de la prise en charge (fig. 7 à 15) de ces enfants consiste à informer et à rassurer.
Les données actuelles de la science ne permettent malheureusement pas au praticien d’expliquer clairement aux patients et à leurs parents l’étiologie de ces colorations. Cependant, un certain nombre d’informations sont à sa disposition afin de les rassurer sur cette pathologie.
Il est important d’insister sur le fait qu’elle n’a aucun lien avec la maladie carieuse, qu’elle n’est pas grave, que, contrairement à la plaque supra-gingivale, les colorations noires ne débouchent sur aucune pathologie de la sphère orale et que leur présence n’a aucune incidence sur la vitalité des dents.
Puisque ces colorations correspondent à une forme particulière de plaque dentaire calcifiée, le traitement consiste en l’élimination de ce biofilm persistant qui, souvent, ne peut être totalement retiré par un brossage de routine. Il nécessite donc la réalisation d’un nettoyage mécanique professionnel, comprenant une instrumentation et un polissage périodiques des dents.
Le nettoyage prophylactique s’effectue dans un premier temps par un polissage rotatif (contre-angle bague verte ou bleue) à l’aide d’une cupule en silicone ou d’une brossette en soie ou en Nylon et d’une pâte prophylactique fluorée faiblement abrasive. Ce premier nettoyage peut être complété dans un second temps par l’utilisation d’un insert ultrasonique pour les dépôts les plus adhérents [2].
Il paraît toutefois évident que le nettoyage professionnel ne peut constituer à lui seul une thérapeutique efficace à long terme. Le rôle du praticien est donc avant tout un rôle de prévention par l’éducation des patients et de leur famille [2].
Les enfants, ainsi que leur famille, sont acteurs du traitement par un brossage régulier et minutieux permettant de contrôler l’apparition et l’expansion de ces taches inesthétiques (fig. 16 à 19).
Les consignes d’hygiène bucco-dentaire prodiguées aux enfants atteints de black stains correspondent aux recommandations générales données pour le brossage des dents des enfants dans le cadre de la prévention primaire des maladies carieuses et parodontales.
L’utilisation d’un révélateur de plaque est un atout essentiel pour motiver à l’hygiène orale et faire prendre conscience aux enfants des zones nécessitant un meilleur brossage qu’ailleurs. La répétition de l’utilisation du révélateur à chaque rendez-vous permet de montrer au patient son évolution en matière de contrôle de plaque et, donc, de contrôle des colorations noires.
Par ailleurs, des conseils alimentaires peuvent être donnés afin de limiter la réapparition de ces colorations : limiter les aliments pouvant colorer les dents, réduire la consommation de produits laitiers et d’aliments contenant du fer (ou conseiller un brossage ensuite).
Afin de limiter le risque de recontamination de la cavité de l’enfant, il peut être conseillé de changer sa brosse à dents après le rendez-vous de nettoyage prophylactique au cabinet dentaire. Dans la même optique, chez le plus petit, la tétine peut, elle aussi, être remplacée ou désinfectée après chaque séance de nettoyage.
Enfin, il est indispensable de mettre en avant les informations relatives à l’évolution de cette pathologie, c’est-à-dire le risque de récidive après élimination des colorations et leur possible disparition à long terme.
Le chirurgien-dentiste se doit d’être présent lorsque l’adhérence et la colonisation des black stains ne permettent plus leur élimination par le brossage biquotidien et une thérapeutique de soutien de ces enfants, c’est-à-dire un suivi, est indispensable afin que ces colorations inesthétiques n’influent pas sur leur développement psychologique et leur socialisation.
La vitesse de réapparition des colorations noires étant très variable d’un individu à l’autre, il est impossible d’établir une norme pour la programmation des rendez-vous de maintenance applicable à tous les patients qui en sont atteints.
Cette fréquence est spécifique à chaque patient et elle est directement liée à la vitesse de récidive dépendante, quant à elle, de la bonne application du brossage biquotidien.
Il est à noter que dans la plupart des cas, une disparition spontanée de la pathologie est observée après une vingtaine d’années mais des études montrent que de jeunes adultes peuvent présenter des colorations noires [2].
Il est important de rappeler également qu’à ce jour, il n’existe ni mesure efficace ni produit pharmaceutique capable d’éviter l’apparition de ces colorations ou de les éliminer de manière définitive. Seules la croissance des enfants (amélioration de la dextérité, changements hormonaux influençant la composition de la flore bactérienne) et l’éducation thérapeutique permettent un meilleur contrôle de plaque et donc un meilleur contrôle des black stains. (tableau 1)