Clinic n° 01 du 01/01/2017

 

PARODONTOLOGIE

Ségolène LE CLÉAC’H*   Thibaud CLÉE**   Xavier STRUILLOU***  


*Interne en médecine bucco-dentaire UF de parodontologie – CHU, Nantes
**AHU UF de parodontologie – CHU, Nantes
***MCU-PH – Service d’odontologie restauratrice et chirurgicale UF de parodontologie – CHU, Nantes

Les praticiens sont fréquemment confrontés à des patients consultant pour des sensibilités dentaires pouvant être associées à des récessions tissulaires marginales. Face à ce type de situation, le chirurgien-dentiste dispose de tout un arsenal thérapeutique : vernis protecteur, dentisterie restauratrice, laser, chirurgie parodontale de recouvrement, etc. Chaque type de traitement possède ses propres indications qu’il faut savoir respecter. Dans certains cas, l’apport de la chirurgie parodontale ne peut être écarté.

Les doléances du patient ou notre observation clinique peuvent mettre en évidence des défauts du parodonte marginal d’origine non bactérienne. Exposé du diagnostic et du traitement à travers un cas clinique.

Observation

Une patiente de 60 ans vient en consultation pour des gênes au niveau de la 46. L’examen clinique permet de diagnostiquer une récession classe II de Miller avec une restauration cervicale en résine composite qui est débordante. Cette restauration est à l’origine d’une inflammation gingivale entretenant un processus de perte d’attache parodontale (fig. 1) [1].

La patiente ne présente pas de pathologie d’ordre général. Aucun antécédent ni aucune allergie n’a été déclaré lors de l’entretien médical. La patiente ne fume pas. Elle rapporte une motivation marquée au brossage, son hygiène bucco-dentaire est satisfaisante. L’examen clinique et radiographique met en évidence un biotype épais et plat selon la classification de De Rouck [2].

La prise en charge de la patiente commence par une thérapeutique étiologique. Il s’agit d’éliminer les causes de la lésion (brossage traumatique). Le diagnostic étiologique est posé : il faut optimiser le brossage [3-5] et conseiller à la patiente d’utiliser une brosse à dents souple en Nylon à bouts arrondis [5, 6]. Dans son cas, le brossage traumatique est à l’origine de microlésions provoquant une inflammation. Celle-ci entraîne la destruction du tissu conjonctif et induit la migration de l’épithélium à l’intérieur du tissu conjonctif jusqu’à la réunion des épithéliums buccal, sulculaire et jonctionnel [7]. La dépose de la résine composite débordante confirme l’origine abrasive de la lésion selon la définition de Kaleka et al. [8] : « Usure mécanique des dents par le contact répété avec des corps étrangers. » Il s’agit ici d’une lésion établie en V, les limites sont nettes, l’émail est brillant. Le fond de la lésion est strié (fig. 2).

Dans un premier temps, il est procédé à un assainissement superficiel. Par la suite, une approche chirurgicale parodontale de recouvrement sera privilégiée en raison de la perte de substance radiculaire [9] (tableau 1). Pour obtenir un recouvrement, le praticien dispose de plusieurs techniques (tableau 2). Les critères de sélection dépendent du site donneur et du site receveur (les dimensions de la lésion, le caractère esthétique, la hauteur et l’épaisseur du tissu kératinisé, la vestibulo-position de la racine, la qualité des tissus adjacents, la profondeur du vestibule, la réalisation ou non d’un traitement conservateur ou prothétique après la chirurgie, la morphologie dentaire locale) [7, 10, 11].

Une greffe de conjonctif enfoui sous un lambeau tracté coronairement a été choisie ici car il s’agit d’une lésion unitaire étroite et haute au niveau d’un site pauvre en gencive kératinisée en apical.

La technique mise au point par Langer et Langer offre les avantages d’être esthétique, d’apporter une bonne vascularisation au niveau du site receveur et de ne pas être douloureuse [11]. Mais il s’agit d’une technique difficile, délicate avec la nécessité de disposer d’un greffon épais.

Protocole étape par étape

L’intervention s’est déroulée sous aide optique (loupes Surgitel®, agrandissement X 2,5).

Préparation du site receveur

Une incision unique sulculaire et horizontale a été réalisée à la base des papilles allant de 45 à 47. Un décollement en épaisseur partielle jusqu’à la ligne muco-gingivale a permis d’éliminer les fibres apicales pour éviter toute traction sur le lambeau. Les papilles ont été désépithélialisées à la lame 15C et la racine à recouvrir a été surfacée. Pour recouvrir la récession de 46, la taille du greffon à prélever a été déterminée à l’aide d’une sonde parodontale. Le site receveur a été protégé avec une compresse imbibée de sérum physiologique (fig. 3).

Préparation du site donneur

Les mesures du greffon ont été reportées, à l’aide d’une sonde parodontale, au palais en regard des dents 23 à 26. Une incision avec une lame 15C a été réalisée de la face distale de 23 jusqu’à la face mésiale de 26 à 2 ou 3 mm de la gencive marginale perpendiculairement à l’axe des dents. En complément, une seconde incision sous-épithéliale parallèle à l’axe des dents a été pratiquée, le greffon a été décollé et libéré avec une incision verticale de chaque côté (fig 4 et 5).

Site receveur

Le greffon a été positionné sur le site receveur et sécurisé, avec du fil de suture 5.0 résorbable, sur le plan sous-jacent. Le lambeau a ensuite été appliqué passivement et coronairement sur le greffon et maintenu avec des points de matelassier horizontaux (fig. 6).

La patiente est repartie avec une ordonnance de paracétamol (1 g toutes les 6 heures pendant 3 jours) et de la chlorhexidine sous forme de bain de bouche et de gel (trois fois par jour durant 2 semaines).

Des recommandations postopératoires de maintenance du site opératoire lui ont été prodiguées :

– pas de brossage sur le site durant les 2 premières semaines, bains de bouche trois fois par jour ;

– puis brossage à l’aide d’une brosse à dents chirurgicale 7/100 type Inava® durant 3 semaines selon la technique du rouleau ;

– reprise du brossage avec une brosse à dents 15/100 selon la technique de Bass modifiée au bout de 5 semaines.

La patiente a été revue au bout de 2 semaines pour la dépose des fils de suture. Elle n’a rapporté aucune suite opératoire notable. Au bout de 5 semaines postopératoires, la cicatrisation gingivale était obtenue, et ce correctement (fig. 7).

Un suivi rigoureux est prévu, une seconde intervention reste envisageable si le recouvrement complet au bout de 18 mois n’est pas obtenu. La patiente ne ressent aujourd’hui aucune gêne (motif de consultation).

Discussion

Ce cas illustre l’importance du choix thérapeutique pour les lésions cervicales d’usure associées à une récession et à une hypersensibilité dentaire, une erreur pouvant aggraver une lésion initiale.

L’indication d’une thérapeutique conservatrice se pose ici. Plusieurs matériaux sont disponibles : les ciments verre ionomère (CVI) et ceux modifiés par adjonction de résine (CVIMAR), les compomères, les composites microchargés, les composites micro-hybrides, les composites fluides, les amalgames. Elias et Bonnin [12] recommandent un composite fluide avec un fond de cavité en CVI. La difficulté majeure réside dans le collage sur une dentine sclérotique. Cette dentine se forme en réaction aux agressions de l’organe dentaire, elle présente une oblitération partielle ou totale du réseau des tubuli par apposition de dentine péri-tubulaire et formations minérales intratubulaires par précipitation [13]. Les résultats des différentes études divergent mais le choix d’un adhésif en trois temps (mordançage, primaire, adhésif) reste aujourd’hui le plus judicieux [14]. Les paramètres à considérer dans le choix d’une thérapeutique conservatrice sont l’importance de la lésion (il faut reconstituer la perte de la substance si la lésion est très profonde), sa forme, une hyperesthésie associée, l’hygiène et la motivation du patient. La lésion de faible épaisseur présentée ici ne nécessitait pas de traitement conservateur.

Le repère est la jonction amélo-cémentaire (fig. 8). Ainsi, lorsque la lésion se situe dans le tissu coronaire, au-dessus de cette limite, il est préférable d’avoir recours à une thérapeutique conservatrice à l’aide de résine composite ou de ciment verre ionomère. Mais lorsque la lésion est radiculaire, donc en dessous de la jonction amélo-cémentaire, il vaut mieux la recouvrir chirurgicalement.

Conclusion

Ce cas rappelle le caractère unique de toute situation clinique où une anamnèse bien menée est aussi importante que l’examen clinique et les examens complémentaires. Ces éléments guident le chirurgien-dentiste dans son diagnostic et dans sa conduite à tenir qui respecte l’équilibre bénéfice/risque afin d’œuvrer dans l’intérêt raisonné du patient.

  • [1] Miller PD. A classification of marginal tissue recession. Int J Periodontics Restorative Dent 1985;5:8-13.
  • [2] De Rouck T, Eghbali R, Collys K, De Bruyn, Cosyn J. The gingival biotype revisited: transparency of the periodontal probe through the gingival margin as a method to discriminate thin from thick gingiva. J Clin Periodontol 2009;36:428-433.
  • [3] GABA. Colgate Sensitive, Pâte à polir. http://gaba.fr
  • [4] Gaucher C, Nguyen P. Les lésions cervicales d’usure : prise en charge des personnes âgées. Chir Dent Fr 2008;1363:33-39.
  • [5] Saporta S, Kaleka R, Bouter D. Prévention des lésions cervicales d’usure. Real Clin 2001;12:415-426.
  • [6] Lussi A, Jaeggi T. L’abrasion des tissus dentaires durs altérés par l’érosion : une revue de la littérature. Schweiz Monatsschr Zahnmed 2002;112:635-639.
  • [7] Mattout P, Mattout C. Le traitement parodontal des récessions gingivales associées aux lésions cervicales d’usure. Inf Dent 2005;87:2133-2138.
  • [8] Kaleka R, Saporta S, Bouter D, Bonté E. Lésions cervicales d’usure : étiopathogénie. Real Clin 2001;12:367-385.
  • [9] Borghetti A, Monnet-Corti V. Chirurgie plastique parodontale. Rueil-Malmaison : CdP, 2008.
  • [10] Romagna Genon C, Genon P. Esthétique et parodontologie. Encycl Med Chir Odontologie 2002;23-447-F-10.
  • [11] Sato N. Atlas de chirurgie parodontale. Paris : Quintessence international, 2002.
  • [12] Elias J, Bonnin JJ. Principes d’obturation des cavités relatifs à la reconstitution de la région cervicale et du tiers cervical. Encycl Med Chir Odontologie 2001;23-071-A-50.
  • [13] Tay FR, Pashley DH. Resin bonding to cervical sclerotic dentin: a review. J Dent 2004;32:173-196.
  • [14] Tassery H, Bukiet F, Koubi S, Aboudharam G, Toca E. Traitements restaurateurs des lésions cervicales d’usure. Real Clin 2001;12:427-439.