RESTAURATION
Marine PETITJEAN* Mounia AMARA** Franck DECUP***
*Pratique privée, Paris 13e
AHU Paris Descartes
**Interne en médecine bucco-dentaire
Université Paris Descartes
***Maître de conférences des Universités
Université Paris Descartes
Dans le secteur antérieur, les enjeux de traitement portent sur l’obtention d’un résultat esthétique optimal. C’est le critère principal de la satisfaction du patient. On sait que le respect des objectifs de finition et de polissage des restaurations en composite conditionne le succès du traitement à court et moyen termes. Une attention particulière doit être apportée à cette étape pour reproduire un mimétisme tant des formes anatomiques que du rendu optique de surface. Après une première partie (Clinic n° 351, novembre 2016) consacrée à la description et à l’utilisation des séquences instrumentales de finition et de polissage, l’objectif de cet article est de détailler les gestes cliniques de cette procédure permettant d’obtenir un résultat reproductible pour l’intégration des restaurations composites sur les dents antérieures.
Il est reconnu que la qualité initiale d’une restauration composite influence beaucoup son succès immédiat et un peu son succès à long terme. Le facteur praticien allié à son expérience en matière de mise en œuvre des procédures est donc très important et l’utilisation d’un matériau composite micro-hybride est la règle [1]. Les études d’évaluation clinique montrent que les critères concernant l’intégration sont la forme anatomique, les colorations marginales, la couleur de la masse, l’état de surface, la répartition des translucidités, la tolérance parodontale, le confort et la satisfaction du patient [2]. Si une partie de la restauration concerne une face proximale ou cervicale, après la polymérisation finale, l’attention se porte d’abord sur l’élimination complète des excès de la zone cervicale. Le rétablissement d’un bon profil d’émergence et des embrasures ainsi que l’obtention d’un poli parfaitement toléré par le parodonte marginal conditionnent une intégration parodontale durable. Les strips abrasifs de granulométrie dégressive et les fraises bague rouge et bague jaune sont utilisées dans ces buts.
Côté lingual, les zones interférant avec l’occlusion statique habituelle du patient seront équilibrées par soustraction à la fraise diamantée bague rouge. L’équilibration lors des mouvements de propulsion et de diduction sera aussi contrôlée. Dans certaines situations où l’occlusion s’est adaptée aux phénomènes d’usure ou de migration, l’élimination d’une interférence au niveau du bord libre pourrait engendrer une dysharmonie visible de la forme. L’orientation naturelle, à 45°, du bord libre permet souvent d’obtenir le résultat recherché, aux dépens de la face linguale, sans que la modification ne soit visible en vestibulaire. Un compromis peut aussi être trouvé en réalisant une améloplastie de la dent antagoniste. Parfois, l’adéquation entre l’équilibration occlusale nécessaire et l’esthétique demandée n’est pas possible sans une intervention plus globale (modification du guide antérieur, réalignement orthodontique, etc.). L’analyse préopératoire devrait pouvoir anticiper ces difficultés.
Pour les restaurations composites antérieures, c’est surtout l’intégration esthétique qui détermine la satisfaction du patient et le succès complet du traitement. Lors des étapes cliniques qui conduisent à sa réalisation, quatre paramètres conditionnent cette réussite :
• le choix de la situation des limites de la préparation ;
• la restitution des paramètres de la couleur (répartition des masses et des translucidités) ;
• la reproduction des formes anatomiques ;
• la qualité de la finition de la surface et des joints de la restauration [3].
On observe que les deux derniers items sont en grande partie associés à l’étape de finition et de polissage qui termine la séquence opératoire, ce qui fait percevoir l’importance des gestes cliniques qui y sont associés.
Le contrôle de la reproduction de la forme de la dent est le paramètre principal d’intégration visuelle. Les critères principaux à évaluer et respecter sont les proportions anatomiques individuelles des dents et leurs rapports au sein de l’arcade. Il faudra donc veiller à restituer une forme de restauration en continuité avec les structures existantes et symétrique aux dents adjacentes. Les reliefs ainsi recréés à la surface de la dent permettent d’obtenir les effets optiques escomptés. L’anatomie secondaire représente ces macroreliefs qui sont à reproduire fidèlement lors des premiers gestes de finition.
La restitution du rendu optique est aussi déterminée par l’état de surface défini comme l’anatomie tertiaire. Le critère clinique qui permet d’évaluer ce rendu esthétique est la brillance. Elle peut être réglée par les manœuvres de polissage et de brillantage. L’objectif sera d’obtenir les mêmes propriétés optiques que la surface de l’émail. Une forte corrélation existe entre la brillance d’une surface et sa rugosité [5].
Une étude menée par Watanabe et al [6] montre que plus la rugosité de surface est importante, plus la réflexion dite spéculaire de la lumière diminue et, par conséquent, la brillance de la surface également. Il a été également montré que la surface d’une restauration a un aspect lisse et brillant si la rugosité de surface se situe en dessous de 1 µm, ce qui est très proche de l’émail naturel (0,62 µm). De plus, une surface rugueuse favorise la coloration du matériau affectant l’esthétique de la restauration.
Plus la restauration est étendue, plus sa surface influencera le rendu optique de l’ensemble. Le temps consacré à cette étape est souvent sous-estimé et insuffisant, d’où l’intérêt de respecter un protocole et de rationaliser le matériel nécessaire pour optimiser le résultat.
Pour rappel, la finition d’une restauration composite a pour but de parvenir à sa forme finale. Elle consiste en l’élimination des excès de matériau, la restitution de l’aspect anatomique et l’aplanissement des joints. On obtient alors une restauration dont la surface encore « rugueuse » est susceptible de contribuer à l’accumulation de la plaque dentaire. Elle est caractérisée par un aspect mat qui doit ensuite être poli [4].
Le polissage consiste à réduire les rugosités de surface pour obtenir une surface polie, lisse et brillante. Puis la caractérisation de la texture est obtenue en créant des microreliefs (fraise bague rouge), généralement transverses, pour reproduire des microstructures en continuité avec la surface naturelle. Au final, un brillantage est obtenu avec une brossette et une pâte abrasive pour améliorer les effets de réflexion lumineuse sans éliminer ceux des microreliefs.
Les disques souples, non présentés dans le « fraisier type postérieur », trouvent ici leur place pour l’étape des finitions [7]. Ils sont indiqués pour la mise en continuité du joint (faible effet iatrogène sur l’émail) et la qualité de l’état de surface qu’ils offrent. Leur surface d’appui en fait des instruments faciles à utiliser, à sec ou sous spray. Ils seront néanmoins associés à l’utilisation de fraises en raison de leur faible accessibilité en palatin et/ou cervical ou encore pour parfaire l’anatomie (plus particulièrement pour les embrasures et le bord libre). De plus, ils ne permettent pas de caractériser l’anatomie tertiaire, c’est-à-dire de créer des microreliefs souvent présents à la surface des dents et qui doivent être reproduits pour le mimétisme de l’état de surface observé.
Compte tenu de son importance sur le résultat immédiat, l’étape des finitions et du polissage des dents antérieures est un peu plus complexe que pour les dents postérieures. Ici, on distingue cinq étapes en allant des finitions de masse aux « microfinitions », chaque étape ayant un objectif bien défini (type d’anatomie retouchée).
Cette séquence détaillée permet d’obtenir une adaptation et un résultat esthétique acceptables et se déroule comme suit (tableau 1).
• Étape 1 : mise en forme de l’anatomie primaire et aplanissement du joint.
– mise en forme de l’anatomie primaire, c’est-à-dire de la forme de la dent. Elle consiste en la finition du contour proximal ainsi que des embrasures cervicales et vestibulaires. Attention, au cours de cette étape, à ne pas aplatir les faces proximales ou le bombé proximal, ce qui entraînerait une réflexion lumineuse inadaptée et une mauvaise intégration esthétique ;
– aplanissement du joint afin d’éliminer les excès de matériau à l’interface dent/restauration. Cela permet également de créer une parfaite continuité pour assurer une bonne transition lumineuse immédiate, de limiter les microdéfauts et les colorations marginales.
Ces actions sont réalisées avec les fraises diamantées (bague rouge puis jaune), flamme en vestibulaire et ogive en palatin ainsi qu’avec les disques souples coarse et medium au niveau du joint.
Une lame de bistouri (lame 12), peu coûteuse et très efficace, peut également être utile pour éliminer les excès dans les zones difficiles d’accès pour les instruments rotatifs sans risque d’endommager le cément et les tissus mous.
Rappelons, pour la gestuelle, que le passage des instruments doit toujours se faire du composite vers la dent, de manière tangentielle et en protection du parodonte.
• Étape 2 : mise en forme de l’anatomie secondaire.
Cette étape correspond aux concavités et convexités du macrorelief qui confèrent à l’ensemble dent-restauration des propriétés optimales de transmission et de réflexion lumineuse. À ce stade, le profil externe de la dent peut être modifié en changeant la position des lignes de transition. Cela permet, par illusion d’optique, des modifications de taille ou de forme de la dent. On utilisera pour cela une fraise diamantée bague jaune. Ces reliefs peuvent être mis en évidence en colorant provisoirement la dent avec du papier à articuler
• Étape 3 : polissage de la restauration.
Le polissage est nécessaire, afin de réduire la rugosité de surface et d’obtenir une surface avec un seuil de rugosité d’environ 0,2 µm. Cette étape précède la mise en forme de l’anatomie tertiaire car, dans le cas contraire, elle risque d’estomper les effets recherchés lors de la mise en forme de l’anatomie tertiaire.
Les cupules one step ou les disques souples fine ont prouvé leur efficacité au cours de cette étape.
• Étape 4 : mise en forme de l’anatomie tertiaire.
Cette mise en forme correspond à la texture de surface. La microstructure (les périkymaties de l’ordre de 60 à 120 µm, les lignes transverses et les minuscules dépressions) est recréée entre les lignes de macrostructure. C’est surtout la restitution de la continuité de ces reliefs, comme celle des éventuelles caractérisations, qui permet la bonne intégration.
Il est important de noter que la création attentive des anatomies primaire et secondaire revêt toute son importance. En effet celles-ci seront conservées au fur et à mesure du vieillissement du matériau, à la différence de la microtexture de surface qui s’éliminera lors de l’usure (abrasion, érosion) mais sur laquelle il sera toujours possible de réintervenir partiellement. Une fraise flamme diamantée sans bague sera utilisée, éventuellement en copiant la microstructure de la dent adjacente que l’on aura mise en évidence grâce au papier à articuler.
• Étape 5 : brillantage.
Il est indispensable à l’obtention d’une surface lisse et brillante au rendu naturel. Il se fait à l’aide d’une brossette imprégnée de particules abrasives, voire d’un disque en feutre et de pâte abrasive.
Le cas clinique présenté ici illustre cette technique (fig. 2 à 22).
Aux protocoles proposés, il est possible d’ajouter une dernière étape qui consiste à appliquer un vernis de scellement (ou glaze) qui n’est autre qu’une résine composite de haute viscosité. Les dernières générations de vernis contiennent également des nanocharges afin d’en limiter la détérioration (décollement, abrasion, colorations, etc.).
Certaines études ont conclu que l’utilisation de ce liquide de polissage nanochargé permettait d’obtenir des valeurs de rugosité significativement très faibles en plus d’un aspect glacé [8]. Ce liquide de polissage semble présenter de nombreux avantages mais de plus amples études in vitro et in vivo sont nécessaires pour évaluer son efficacité au long terme.
Différer les deux dernières étapes (anatomie tertiaire et brillantage) si l’on manque de temps ne pose pas de problème. Il est d’ailleurs fortement recommandé de revoir le patient au bout de quelques jours, et ce même si l’on a pu procéder aux cinq étapes du protocole dans la même séance clinique.
En effet, les excès d’adhésif au niveau du joint disparaissent au bout de quelques jours et il est souvent nécessaire de polir à nouveau cette zone pour éviter les colorations de surface et le vieillissement prématuré.
C’est également à distance de la séance de stratification que la dent asséchée par l’étanchéité de la digue va se réhydrater et que la teinte finale de la restauration sera finalement visible. C’est seulement à ce moment-là que l’intégration de la restauration dans le sourire pourra être appréciée.
Les étapes de finition et polissage représentent une part importante du succès du traitement thérapeutique. Elles sont souvent négligées par manque de temps mais sont pourtant primordiales pour obtenir une surface qui se rapproche le plus possible des caractéristiques morphologiques de l’émail. Ceci conditionne la réussite de l’intégration esthétique de la restauration. Cette ultime étape permet d’améliorer la satisfaction immédiate du patient et le maintien du rendu esthétique dans le temps.
Les objectifs cliniques sont au nombre de quatre :
• intégration esthétique par reproduction symétrique de la forme et de la teinte, invisibilité du joint composite-dent et obtention d’une restauration aux mêmes propriétés optiques que l’émail ;
• équilibration occlusale en statique et surtout en dynamique ;
• réduction de la rugosité de surface pour diminuer l’adhérence du biofilm bactérien, la coloration et le vieillissement prématuré du joint et rendre une brillance identique à l’émail ;
• satisfaction du patient.