PARODONTIE
Audrey MOREAU* Vivien MOLL** Myriam DERMAN*** Virginie MONNET-CORTI****
*Chirurgien-dentiste
Assistant hospitalo-universitaire
Exercice libéral exclusif en
parodontologie/implantologie à Marseille
Membre de la SFPIO Sud-Est
**Chirurgien-dentiste
Ancien interne des Hôpitaux de Marseille
Assistant hospitalo-universitaire
Exercice libéral exclusif en
parodontologie/implantologie à Martigues
Membre de la SFPIO Sud-Est
***Ancien interne
Titulaire du DESMBD
****PH-PH
Directeur de la formation continue
Responsable du DESU de parodontologie pratique et théorique et du DESU
d’odontologie appliquée mention
chirurgie plastique parodontale
Présidente de la SFPIO
Service d’Odontologie de la Timone AP-HM
264, rue Saint-Pierre
13385 Marseille cedex 5
Sous-section de parodontologie 57/01FR
d’odontologie de Marseille
Aix-Marseille Université
L’esthétique du sourire lors des restaurations doit répondre à des exigences de plus en plus importantes. C’est pourquoi il est essentiel d’analyser rapidement les problèmes et les contraintes qui peuvent influencer les plans de traitement. L’objectif est d’anticiper et de prévenir les risques esthétiques des chirurgies et des restaurations prothétiques. L’analyse du parodonte et son intégration dans les restaurations totales et complexes doivent faire partie de la...
L’esthétique du sourire lors des restaurations doit répondre à des exigences de plus en plus importantes. C’est pourquoi il est essentiel d’analyser rapidement les problèmes et les contraintes qui peuvent influencer les plans de traitement. L’objectif est d’anticiper et de prévenir les risques esthétiques des chirurgies et des restaurations prothétiques. L’analyse du parodonte et son intégration dans les restaurations totales et complexes doivent faire partie de la dentisterie esthétique [1].
Lors d’un traitement prothétique ou parodontal, surtout s’il concerne le secteur antérieur maxillaire, la première étape consiste à observer la place du parodonte dans le sourire. En effet, la visibilité plus ou moins importante du parodonte est déterminante dans l’appréciation de l’esthétique du sourire non seulement par le praticien mais, aussi et surtout, par le patient.
En esthétique, les classifications utilisent comme repère le positionnement de la lèvre [2]. Ainsi ont été décrites trois lignes du sourire : basse, moyenne et haute [3]. En 2004, Liébart et al. [4] ont proposé une classification « parodontale » du sourire. Cette dernière repose sur la quantité de parodonte visible lors des sourires naturels et forcés, notamment en intégrant la visibilité des papilles interdentaires.
Quatre classes de sourires ont été décrites (fig. 1 à 4) [4] :
• la classe 1 (ligne très haute) correspond à un sourire qui découvre un bandeau continu de gencive de 3 mm ou plus de hauteur ;
• la classe 2 (ligne haute) correspond à un sourire qui découvre un bandeau continu de gencive de moins de 2 mm de hauteur ;
• dans la classe 3 (ligne moyenne), le sourire ne découvre que les espaces interdentaires remplis ou non par les papilles ;
• dans la classe 4 (ligne basse), le sourire ne découvre pas du tout le parodonte.
En déterminant à quelle classe appartient le patient au cours du sourire normal et forcé, le praticien peut rapidement juger de l’enjeu esthétique de son traitement. En effet, les patients de classe 4 ont essentiellement des doléances fonctionnelles. Il faut cependant porter une attention particulière à ces patients concernant le différentiel entre sourire normal et sourire forcé car, lors de l’étude réalisée par l’équipe Parodontia [4], il a été constaté que sur les 42 % des patients en classe 4 lors du sourire normal, seuls 11 % restaient dans cette classe en sourire forcé. En 2014, une équipe indienne [5] a analysé une cohorte de 400 patients et a ainsi pu déterminer les résultats de répartition des sourires, qu’ils soient naturels ou forcés (tableau 1).
Si le patient présente un sourire forcé compris entre les classes 1 et 3, le parodonte est donc toujours visible et il faut l’intégrer dans l’analyse et le traitement. Pour la classe 3, l’enjeu esthétique est la papille. Pour les classes 1 et 2, la ligne des collets, la gencive et la muqueuse alvéolaire s’ajoutent.
L’analyse du sourire doit donc prendre comme référence le sourire forcé afin de prévenir les risques esthétiques. Il faut également être vigilant face aux patients qui, bien que ne découvrant pas leur parodonte lors du sourire, vont, dès leur sortie du cabinet, soulever leur lèvre afin d’observer les résultats. La perception du patient de l’esthétique de son sourire doit donc être notée avant le début des soins.
Il va de soi que l’esthétique parodontale est étroitement liée à la position des dents qui détermine celle de la gencive. Bien que les études aient toutes démontré que, pour l’œil, la dent tient une place plus importante dans l’esthétique du sourire que la gencive, l’harmonie gingivale reste un facteur déterminant dans l’appréhension du sourire. Selon Borghetti et Monnet-Corti [6], « un des facteurs prépondérants de l’esthétique gingivale est la progression du contour gingival des incisives aux canines ». Il faut donc tenir compte de ce que l’on nomme la ligne des collets, ou alignement des collets.
Garber et Salama [7] placent l’architecture gingivale parmi les trois composantes d’un sourire esthétique. Selon lui, un sourire est esthétique lorsque le collet de l’incisive centrale est symétrique à celui de l’autre incisive centrale, d’une part, et que les collets des incisives latérales sont symétriques l’un par rapport à l’autre et qu’ils sont coronaires à ceux des incisives centrales, d’autre part.
Caudill et Chiche [8], quant à eux, décrivent quatre lignes des collets dites esthétiques et trois considérées comme inesthétiques. Les quatre situations dans lesquelles on considère la ligne des collets esthétique sont les suivantes (fig. 5) :
• le collet des incisives latérales est coronaire à la tangente aux collets de l’incisive centrale et de la canine ;
• le collet des incisives latérales est sur la tangente ;
• le collet d’une incisive latérale est sur la tangente d’un côté et coronaire de l’autre côté ;
• dans l’un des trois cas précédents, on a également un côté plus oblique que l’autre.
En revanche, cette ligne des collets sera dite inesthétique lorsque (fig. 6) ;
• le collet des incisives latérales est apical, d’un ou des deux côtés, à la tangente aux collets de l’incisive centrale et de la canine ;
• les incisives centrales sont égressées et les collets des incisives latérales se trouvent apicaux à la tangente ;
• il y a une asymétrie des collets des incisives centrales.
Dans les deux premiers cas inesthétiques, le traitement de choix est orthodontique.
Dans le cas d’une asymétrie des collets, il faut distinguer plusieurs situations : la dent est en malposition, elle présente une récession ou elle est en situation d’éruption passive. Si elle est en malposition, il faut recourir à un traitement par orthodontie. Pour les autres situations cliniques, des chirurgies parodontales permettront de retrouver un sourire esthétique (fig. 7 et 8).
Lorsque la dent présente une récession, il est nécessaire d’analyser celle-ci en fonction des classifications de Miller [10], Cairo et al. [11] et Pini Prato et al. [12]. En effet, ces classifications utilisées graduellement lors de l’observation d’une récession parodontale permettent de prévoir le pronostic de recouvrement de la dent. Elles sont donc importantes dans la communication avec le patient.
Miller, en 1979, distingue 4 classes de récessions :
• classe 1, la récession n’atteint pas la ligne muco-gingivale. Il n’y a pas de perte tissulaire interdentaire ;
• classe 2, la récession atteint ou dépasse la ligne muco-gingivale. Il n’y a pas de perte tissulaire interdentaire ;
• classe 3, la récession atteint ou dépasse la ligne muco-gingivale. Il y a perte d’os interdentaire et le tissu gingival proximal est apical à la jonction amélo-cémentaire, tout en restant coronaire à la base de la récession ;
• classe 4, la récession atteint ou dépasse la ligne muco-gingivale. Les tissus proximaux se situent au niveau de la base de la récession et celle-ci intéresse plus d’une face de la dent.
Le pronostic de recouvrement des classes 1 et 2 peut être de 100 % (fig. 9 et 10). Dans les classes 3, ce recouvrement n’est que partiel et inexistant dans les classes 4.
La classification de Miller est complétée par celle décrite par Cairo et al. en 2011 [11], qui précisent ce que Miller avait défini comme « la perte tissulaire interdentaire ». Les trois classes de la classification de Cairo (RT1, RT2 et RT3) tiennent compte de la perte d’attache vestibulaire et interproximale mesurée de façon précise à l’aide d’une sonde graduée (fig. 11 à 13).
La classe RT1 ne présente pas de perte d’attache interproximale, ce qui permet un recouvrement de 100 %, contrairement à la RT2 où la perte d’attache interproximale est inférieure à la perte d’attache vestibulaire, ce qui permet un recouvrement partiel de la récession. Dans la classe RT3, la perte d’attache interproximale est supérieure ou égale à la perte d’attache vestibulaire, ce qui empêche tout recouvrement de la récession.
Les mesures nécessaires à la classification de Cairo sont effectuées à partir de la jonction émail-cément (JEC). Or, les récessions parodontales sont souvent associées à l’abrasion de la zone cervicale, rendant cette jonction non identifiable [11] (fig. 14). Pini Prato et al. [12] ont donc établi un système de classification (tableau 2).
Les dents présentant des lésions cervicales coronaires et radiculaires lancent un double défi esthétique, surtout si des plages dentinaires brunes sont exposées. Leur traitement esthétique de recouvrement implique d’effectuer une approche combinée parodontale (recouvrement par les tissus parodontaux) et restauratrice (traitement par collage). Usuellement, ces collages sont réalisés avant la chirurgie parodontale et selon la possibilité de recouvrement des racines (fig. 14 à 17).
Lors du repositionnement de la jonction émail-cément, il faut distinguer deux situations :
• il n’y a pas de perte d’attache interproximale et le pronostic de recouvrement est de 100 %. Les collages (si nécessaires) seront effectués pour recréer « artificiellement » l’ancienne jonction émail-cément anatomique. Pour estimer la position de la jonction émail-cément, on reporte, grâce à la sonde graduée, les valeurs de hauteur et largeur coronaire de la dent controlatérale saine (technique décrite par Pini Prato et al. [12]). On peut aussi utiliser la technique de positionnement de la ligne de recouvrement maximal (LRM) [13] décrite ci-dessous. Dans ce cas, la jonction émail-cément anatomique et la ligne de recouvrement maximal coïncident (fig. 18 et 19) ;
• une perte d’attache interproximale existe et le recouvrement de la récession ne peut pas être de 100 %. La ligne de recouvrement maximal doit être estimée. Elle correspond à la capacité chirurgicale de recouvrement radiculaire, quand il y a eu une perte d’attache interproximale et que le recouvrement ne peut être de 100 % (fig. 21 et 22). Pour l’obtenir, il faut mesurer la papille idéale qui correspond à la hauteur entre le point de contact des dents et le point angulaire (sur la face proximale correspondante) de la jonction émail-cément qui est le point de pénétration de la jonction émail-cément dans la papille interdentaire. Cette mesure est ensuite reportée apicalement à partir du sommet de la papille anatomique. Cela est réalisé de part et d’autre de la récession. Puis les deux points apicaux obtenus sont reliés entre eux pour former la jonction émail-cément chirurgicale, ou ligne de recouvrement maximal. Ainsi, lorsqu’il y a une perte d’attache interproximale et qu’une partie de la papille a disparu, le tracé de la ligne de recouvrement maximal en tient compte dans le pronostic de recouvrement.
Par conséquent, face aux doléances esthétiques d’un patient, l’analyse du sourire et de la nature des récessions parodontales par l’application graduelle des classifications de Miller [10], Cairo et al. [11] et Pini Prato [12] (fig. 20) permet d’estimer le potentiel de recouvrement des récessions et d’en informer le patient (fig. 21 et 22).
L’asymétrie des collets peut être due au fait qu’une dent du bloc incisivo-canin est en éruption passive altérée (fig. 23). Dans ce cas précis, le diagnostic différentiel avec une récession est important afin d’éviter une faute chirurgicale.
Pour ce faire, une radiographie rétroalvéolaire avec angulateur de Rinn selon la technique de la parallèle est prise. On observe alors le positionnement de la jonction émail-cément de chaque dent. Si les deux dents concernées sont au même niveau alors que, cliniquement, il existe une différence de hauteur, il s’agit d’une éruption passive altérée. Le type de cette dernière [14, 15] détermine si la chirurgie d’alignement des collets implique une gingivectomie en plus du lambeau déplacé coronairement et si une ostéoectomie doit recréer l’espace biologique. Lorsque le tissu kératinisé est présent en quantité excessive, il s’agit d’un type 1 et, s’il est en quantité normale, il s’agit d’un type 2. Lorsque le niveau osseux respecte l’espace biologique, on parle de type A, lorsqu’il l’entrave et que cela nécessite une ostéoectomie durant l’intervention, c’est un type B (fig. 24 à 27).
La présence de « trous noirs » dans le secteur esthétique est classée par Agudio et al. [16] en dixième position des motifs de consultation chez un parodontiste. Le traitement de ces « trous noirs », qui correspondent à une perte partielle ou totale de la papille, reste à l’heure actuelle un défi pour les chirurgiens-dentistes.
L’étiologie de ces pertes papillaires comprend :
• les restaurations iatrogènes ;
• les défauts de points de contact ;
• les séquelles de traumatismes chirurgicaux ;
• une parodontite.
L’analyse de la papille interdentaire est effectuée selon la classification de Norland et Tarnow [17]. Cette classification tient compte de la position du point de contact, du point le plus apical et du point le plus coronaire de la jonction émail-cément (tableau 3).
Lorsqu’il s’agit d’une papille comprise entre une dent et un implant, on utilise la classification de Jemt [18] afin de déterminer le papilla index score qui se divise en cinq catégories :
• 0, aucune papille n’est présente et les tissus mous sont plats ;
• 1, la hauteur de la papille est inférieure à la moitié de celle des dents adjacentes, de plus les tissus mous ont une forme convexe ;
• 2, plus de la moitié de la hauteur de la papille est présente mais elle ne s’étend pas jusqu’au point de contact. Cette papille n’est pas complètement en harmonie avec celle de la dent adjacente ;
• 3, la papille remplit entièrement l’espace interproximal et est en harmonie avec la papille adjacente. Les contours des tissus mous adjacents sont optimaux ;
• 4, la papille est hyperplasique et recouvre beaucoup trop la restauration implantaire et/ou la dent adjacente. Les contours des tissus mous sont plus ou moins irréguliers.
L’analyse de la papille dans le sourire permet d’évaluer le pronostic de régénération de cette dernière et de faire un choix sur les thérapeutiques permettant d’y accéder. Différentes possibilités de traitement des défauts de papille sont décrites dans la littérature scientifique telles que :
• les restaurations prothétiques ;
• l’orthodontie ;
• la chirurgie ;
• les injections d’acide hyaluronique [19].
Toutefois, malgré les progrès des techniques actuelles, la régénération complète des papilles demeure un acte complexe et difficilement reproductible. L’analyse de la papille dans le parodonte est donc essentielle dans la réalisation des projets esthétiques.
En plus des critères énoncés, il faut aussi prendre note de la présence de défauts esthétiques tels que des dyschromies, des tatouages gingivaux et des cicatrices [20]. Ces défauts ne peuvent être traités que par chirurgie muco-gingivale avec des résultats qui varient en fonction de la technique utilisée et de leur importance.
Conclusion
Le parodonte est un critère décisif dans l’esthétique du sourire, il est donc essentiel d’en faire une étude dès la première consultation. Les erreurs diagnostiques entraînent des choix thérapeutiques qui peuvent créer ou aggraver une situation inesthétique. Ces choix deviennent alors difficiles à justifier auprès des patients dont les exigences deviennent de plus en plus poussées. En tant que professionnels, c’est aux praticiens qu’incombe la tache d’informer sur le pronostic esthétique. Ils se doivent, pour cela, de maîtriser les outils diagnostiques et de systématiser un protocole d’analyse de l’esthétique parodontale. Une fiche des principaux critères à relever a donc été établie afin de faciliter cette analyse (tableau 4).