ENDODONTIE
Jean-Camille CHAPPOUX* Aline SINAN** Bertrand BONIN*** Franck DIEMER****
*Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse, CHU de Toulouse
**Unité de formation et recherche d’odontostomatologie d’Abidjan (Côte d’Ivoire)
***Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse, CHU de Toulouse
****Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse, CHU de Toulouse Institut Clément Ader, Toulouse
Une fissure dentaire est, par définition, une discontinuité brutale apparaissant à l’intérieur de la dentine, de l’émail ou du cément, voire à la surface de la couronne ou de la racine. Les microfissures (ou microcracks dans la littérature scientifique anglo-saxonne) dentinaires sont de largeur inférieure ; elles intéressent la dentine radiculaire et sont difficilement détectables.
C’est un phénomène évolutif ou graduel et non instantané. Les microfissures, comme les fissures, peuvent être à l’origine de fractures radiculaires ou corono-radiculaires, dues à une propagation de proche en proche de la faille.
Les dents fissurées sont communément observées dans la pratique dentaire et sont potentiellement symptomatiques. Elles sont la troisième cause de perte des dents, après les caries et les problèmes parodontaux. Cependant, il y a, à ce jour, peu de méthodes scientifiques permettant de diagnostiquer les fissures et de mettre en place une thérapeutique adaptée et, ensuite, de révéler l’efficacité d’une intervention.
Cet article décrit, dans un premier temps, les différents facteurs pouvant induire la formation et l’évolution de microfissures dentinaires, puis expose les différents moyens de détection de ces dernières.
Plusieurs facteurs semblent être impliqués dans la formation des microfissures dentinaires lors de la préparation canalaire durant un traitement endodontique :
La détermination de la longueur de travail demeure une des étapes fondamentales du traitement du système canalaire. Elle revient à déterminer la position exacte de la jonction cémento-dentinaire, qui correspond anatomiquement à la constriction apicale. La limite de travail a un rôle significatif dans le déclenchement et la formation des fissures apicales [1]. Le stress généré à l’intérieur du canal par la préparation canalaire est plus important au niveau apical et le long des parois du canal qu’au niveau externe [2]. Ainsi, une préparation jusqu’à la constriction apicale, ou en la dépassant de 1 mm, augmente le risque de formation de microfissures apicales, tandis qu’en retranchant 1 mm à la longueur de la position de la constriction apicale, ce risque diminue, sans jamais toutefois devenir nul [2].
Au niveau de la constriction apicale, les préparations (manuelles ou par rotation continue) sont considérées comme les principaux facteurs de risque de formation de microfissures, alors qu’à la longueur de travail LT – 2 mm, ce ne sont plus ni la limite de travail ni la technique de préparation qui vont augmenter le risque d’apparition des microfissures mais, tout simplement, le stress latéral dû à la préparation canalaire [2].
Au final, à LT – 1 mm on conserve une épaisseur dentinaire importante au niveau apical, ce qui protège l’apex contre la formation des fissures [3].
Les études comparant la rotation continue à la préparation manuelle concluent que le risque de formation des fissures est plus important avec la première [4]. En effet, la force de rotation appliquée sur les parois génère des fissures ou des fêlures au niveau de la dentine, en particulier lorsqu’elle ne respecte pas l’homothétie du canal. En outre, cette technique nécessite plusieurs cycles de rotation, ce qui conduit à une perte de substance dentinaire plus importante qu’avec l’instrumentation manuelle [3, 4].
Il existe actuellement plusieurs fabricants qui ont mis sur le marché de nombreux systèmes de rotation continue : ProTaper® Next (Dentsply), Revo-S™ (Micro Mega), BT-RaCe™ (Brasseler), GT-File (Dentsply)… Ils n’ont pas tous les mêmes propriétés mécaniques (flexion, fatigue, torsion…). On constate, par exemple, un risque de formation de microfissures élevé avec le système HERO Shaper® (Micro Mega) ou ProTaper® et un risque réduit avec le système asymétrique Revo-S™. Au contraire, les études sur le nouveau système SAF (Self-Adjusting File, ReDent Nova) tendent à montrer une diminution du risque de microfissures. En effet, cette lime creuse en nickel-titane se déforme et épouse la forme du canal, supprimant ainsi le stress latéral exercé normalement par la rotation continue. La lime a une surface abrasive qui prépare la dentine, avec un simple mouvement de va-et-vient, par opposition au mouvement de rotation mécanique de la rotation continue [4].
Les microfissures sont formées dès l’utilisation de limes de faible diamètre (15-30) travaillant jusqu’à la longueur de travail [2, 3]. Selon Adorno et al. [3], toutes les microfissures apparaissent avant l’utilisation de la lime 45. Certains auteurs rapportent que la rigidité de la lime constitue un des facteurs de risque de formation des microfissures apicales, cette propriété étant proportionnelle au diamètre de la lime [2]. On remarque le plus souvent une déviation du foramen apical et de l’axe principal du canal (dans 76 % des cas) [3], ce qui a comme effet un fléchissement de la lime et, ainsi, une importante pression latérale sur les parois du canal [2, 3].
L’emploi de la condensation latérale comme technique d’obturation est très répandu. Cette technique semble contribuer à la formation des microfissures [5], mais la seule force de condensation n’est pas suffisante pour créer des lignes de fêlures. Elle doit être associée à d’autres facteurs comme l’ancrage radiculaire, le retraitement ou bien une force de mastication importante. Une technique d’obturation avec condensation passive réduit le risque de formation des microfissures [5].
La détection précoce des microfissures dentinaires permet leur prise en charge, avant une éventuelle propagation des fissures et une possible infection bactérienne (fig. 1). Une fracture radiculaire plus ou moins complète peut, enfin, se produire à la suite de la propagation des microfissures. Par conséquent, les microfissures dentinaires doivent être détectées le plus précocement possible.
De nos jours, les moyens de diagnostic de ces microfissures se multiplient ; cependant, dans le domaine de la recherche s’affrontent les techniques in vitro, les plus faciles à mettre en œuvre, et les techniques ex vivo (fig. 2), essentielles aux praticiens.
La vibrothermographie est une technique permettant de détecter des microfissures dentinaires ex vivo. La racine est mise en vibration à l’aide d’un détartreur à ultrasons. Cela provoque une friction entre les surfaces de dentine séparées par la fissure, ce qui génère une augmentation de température, enregistrée par la thermographie à rayons infrarouges [6].
Cette technique permet de détecter des microfissures d’une largeur de 4 à 35,5 µm. En revanche, lorsque la fissure dépasse 42 m de large, elle devient difficile à détecter par cette méthode (principalement parce que les surfaces de la fissure sont davantage éloignées l’une de l’autre, ce qui génère moins de friction et de chaleur) [6]. Cette incapacité à détecter de larges fissures peut être considérée comme une limite. Toutefois, ces larges fissures peuvent être détectées par l’examen clinique.
La méthode de détection la plus facilement utilisable en bouche se fonde sur l’utilisation du bleu de méthylène (fig. 3 et 4) pouvant éventuellement être associé à la transillumination (fig. 5). Le protocole est le suivant : effectuer un nettoyage de la dent et réaliser le polissage au bleu de méthylène. Ensuite, la détection s’effectue sous microscope à fort grossissement (× 16) et à intensité lumineuse maximale [7].
Le bleu de méthylène persiste dans les fissures, ce qui les rend facilement visibles, souvent moins évidentes à observer que la différence de couleur de la dentine de chaque côté de la fissure. Cependant, cette technique permet plutôt de révéler des fissures d’assez grande largeur, situées uniquement au niveau caméral ou cervical de la dent [8]. Par rapport aux autres procédés de diagnostic en cours de mise au point, l’examen visuel reste, pour le moment, le meilleur atout pour mettre en évidence les microfissures (fig. 6). Il faut garder à l’esprit que la détection de ces fêlures ne constitue pas un diagnostic mais plutôt un élément qu’il faut confronter à d’autres, comme l’âge du patient, son passé thérapeutique, la position de la dent sur l’arcade, la présence ou non de parafonction, etc., avant de pouvoir poser un diagnostic et mettre en place un plan de traitement.
D’après les différentes études, les facteurs prépondérants dans la formation ou non des microfissures seraient l’utilisation d’une technique de rotation continue associée à un choix de longueur de travail au niveau de la constriction apicale.
Il y a cependant de nombreux autres facteurs qui interviendraient dans l’apparition des fissures : le diamètre de l’instrument utilisé, l’obturation ultérieure…
Afin de diminuer le risque d’apparition des microfissures, il est possible tout de même de recommander l’utilisation d’instruments de rotation continue en nickel-titane, de diamètre adapté à celui du canal et travaillant à une longueur de travail correspondant à 1 mm de moins que la constriction apicale.
Néanmoins, la mise en forme canalaire manuelle resterait la technique de préparation provoquant le moins de microfissures dentinaires. On peut tout de même se poser la question de son efficacité en ce qui concerne le nettoyage du canal par rapport à une technique utilisant des instruments rotatifs. Une instrumentation asymétrique de rotation continue (Revo-S™ ou ProTaper Next®) constitue donc un compromis intéressant.
Enfin, au vu des conséquences dramatiques pouvant apparaître lors de l’évolution des microfissures dentinaires, leur détection précoce doit être l’une des priorités du clinicien et celui-ci peut, dès aujourd’hui, effectuer un examen visuel avec utilisation du bleu de méthylène et de la transillumination pour les mettre en évidence. Cependant, cette méthode de détection reste peu appropriée pour des fissures de faible épaisseur ou difficilement atteignables visuellement (apex, hauteur de la racine…). De nouvelles méthodes plus efficaces sont donc en cours de mise au point, leur application in vivo et leur transposition à l’activité clinique restant encore à réaliser.