Clinic n° 11 du 01/11/2016

 

PASSIONS

CATHERINE FAYE  

Faire rire et rendre un sourire. Qu’il soit sur les planches ou dans son cabinet dentaire des Pradettes, à Toulouse, Alain Dary, 54 ans, n’en démord pas : l’humour reste une attitude des plus constructives. Comédien et chirurgien-dentiste engagé, il mène sa double vie avec altruisme. Pour lui, être à l’écoute et au service des autres n’est pas un coup de théâtre, mais une posture.

Votre enfance a-t-elle été déterminante dans vos choix ?

J’ai été profondément influencé par une personne : mon père. Handicapé, il s’est battu toute sa vie et d’une faiblesse il a su tirer une force. Il m’a en partie construit, dans le non-verbal, et j’ai compris, en le voyant, quelles capacités un individu peut mettre en œuvre s’il en a le désir. Mon père ne ressemblait pas aux autres pères. S’il tombait, il refusait de l’aide et se relevait tout seul. Pour s’occuper des légumes de son jardin, ce médecin, d’une origine paysanne corse, travaillait à quatre pattes. Sa volonté et sa ténacité, sans aucun discours, m’ont appris que dans la vie, tout est possible.

Vous êtes né au Maroc. Qu’est-ce que votre arrivée en France a changé ?

J’avais 12 ans lorsque nous sommes rentrés. Il m’a alors fallu me familiariser avec une autre culture, de nouveaux codes et fonctionnements. Mais j’ai toujours gardé mes références marocaines, notamment celles de donner la place à l’essentiel et de favoriser la rencontre avec l’autre. Mon père a travaillé 23 ans en tant que médecin coopérant au Maroc, auprès de populations démunies, dans des dispensaires. Le rapport avec l’autre, empreint de chaleur, de reconnaissance et de simplicité, a certainement déterminé ma façon de concevoir les relations humaines.

Pourquoi avez-vous choisi de devenir chirurgien-dentiste ?

Au départ, je voulais être professeur de mathématiques, mais mon père m’a suggéré de m’orienter plutôt vers la médecine, comme lui et mon grand-père. Une fois à la faculté, j’ai eu du mal avec le mandarinat qui y régnait. La filière dentaire semblait plus familiale, plus cosy. Il faut dire que j’avais alors une nature timide et rêveuse. De plus, j’avais pu observer, chez un de mes oncles dentiste et que j’aimais bien, le côté bricoleur de ce métier. Cela m’a convaincu.

Et c’est dans ce contexte que vous avez mis en oeuvre vos principes ?

Mon objectif a toujours été d’établir une cohérence entre mes valeurs profondes et mon métier. Dès que j’ai été diplômé, en 1985, j’ai installé mon cabinet dans un quartier classé « zone prioritaire » se situant dans un vaste ensemble défavorisé qu’est le quartier du Mirail à Toulouse. Mais, cela a été un long processus d’essayer de donner l’accessibilité aux soins dentaires à tout le monde et de travailler avec des stratégies thérapeutiques permettant de fixer des tarifs mesurés associés à des soins de qualité. Aujourd’hui, mon équipe compte 6 praticiens, 4 assistantes et une secrétaire qui se consacre à la gestion. Nous nous sommes constitués en SELARL (société d’exercice libéral à responsabilité limitée), avec une charte des valeurs, et partageons la même philosophie de soins et de travail, avec un rôle social fondamental.

Le théâtre arrive un peu plus tard dans votre vie. Pourquoi ?

J’étais très timide. Ce n’est qu’à 27 ans que j’ai eu le déclic, lorsqu’une MJC (maison des jeunes et de la culture), située en dessous de chez moi, m’a proposé de suivre des cours de théâtre, dans un environnement de personnes de différents milieux sociaux. J’ai alors découvert les notions d’écoute, de partage et de non-jugement. Car pour jouer, il faut être ensemble. Dès lors, j’ai appris à domestiquer ma timidité, à en faire une alliée et à me mettre au service d’un metteur en scène, d’un auteur, d’un public et de mes partenaires.

Cette disponibilité se répercute-t’elle dans votre cabinet dentaire ?

Bien sûr. Que ce soit dans ma relation avec mes patients comme avec mon équipe. L’empathie induit une façon d’être et permet une forme d’humanisme. La qualité de l’échange doit permettre au patient de dire les choses et au praticien d’aller dans le sens de son désir et de ses moyens. Ainsi, le choix d’un plan de traitement se fait ensemble. Il en va de même pour la philosophie de travail au sein de mon cabinet. Nous partageons fauteuils, outils techniques, tiroirs, mais aussi connaissances et patientèle. Ces flexibilité, humilité et notion de respect rejoignent l’approche théâtrale.

Vous avez notamment joué dans le cadre du Printemps du rire à Toulouse…

En effet, j’interprétais le rôle principal dans une pièce intitulée Tonton Maurice est toujours mort que nous projetons de jouer au Festival d’Avignon en 2017. Mais, actuellement, je joue dans une autre pièce, Jean et Béatrice, de Carole Fréchette, et suis en train de travailler sur le texte d’une pièce de théâtre qui va relier les deux passions de ma vie puisqu’elle a pour objet la prévention bucco-dentaire.

Théâtre et dentisterie seront donc reliés ?

Il se trouve qu’à travers ma pratique ododontique, je suis effrayé par la mauvaise qualité de l’hygiène bucco-dentaire d’un certain nombre de mes jeunes patients. J’ai donc décidé, dès septembre 2017, pour tous les patients de 6 à 8 ans qui viendront au cabinet pour la première fois, de leur donner un premier rendez-vous lors d’une séance théâtrale interactive qui évoquera les dents et les microbes. La mise en scène présentera la dent comme un organe vivant et permettra aux enfants de comprendre l’importance de l’hygiène bucco-dentaire. Il s’agira donc de prévention comme le fait l’UFSBD (Union française pour la santé bucco-dentaire), mais abordée ici de façon plus ludique, le mercredi, avec une dizaine d’enfants au maximum. On réglera enfin son compte à la peur : elle ne sera plus celle du dentiste mais celle des bonbons.

Que cherchez-vous à travers le jeu théâtral ?

L’aventure humaine. On va quelque part, avec les autres, sans savoir où et avec des risques. Sur scène, la place que l’on pense occuper est sans cesse bousculée. Comme dans mon cabinet d’ailleurs, ou dans la vie. Et ces moments-là nous identifient. Les rencontres, les aléas nous forgent. « Sans aliénation, vivez autant que possible en bons termes avec toutes les personnes. Dites doucement et clairement votre vérité. Écoutez les autres, même les simples d’esprit et les ignorants, ils ont eux aussi leur histoire », nous dit un texte qui aurait été découvert dans une église de Baltimore il y a plus de deux siècles. C’est un texte de sagesse auquel j’aime me référer.

Vous avez fait du rire votre bâton de pèlerin…

À travers le rire il se passe tellement de choses ! En commençant par rire de soi-même ! C’est en riant de soi que l’on apprend à se connaître et que l’on peut ensuite rire avec les autres. Le rire permet d’évacuer les non-dits pesants, prégnants, de les désacraliser. Et puis, c’est le meilleur antidépresseur du monde. Rire, c’est faire tomber les masques, ouvrir tous les champs du possible.