AVANT-PREMIÈRE
M.C. Goldsmith-Alric* S. Catros** J. Nancy*** G. Dominici****
La santé buccale de l’enfant se prépare pendant la grossesse
Le dicton « Un enfant, une dent » n’est plus d’actualité. Cependant, une altération de l’état bucco-dentaire pendant et après la grossesse peut être observée mais les causes de cette incidence accrue des pathologies dentaires et parodontales sont encore mal connues des patientes et des chirurgiens-dentistes. De plus, un lien entre un mauvais état bucco-dentaire des mères et certaines complications de la grossesse a été mis en évidence récemment, en particulier avec un accouchement prématuré ou un petit poids de naissance du nouveau-né.
Les modifications hormonales apparaissant de façon physiologique chez la femme enceinte sont responsables de changements de la composition salivaire et de la flore buccale ainsi que du parodonte. De ce fait, on observe une fragilité accrue des dents et du parodonte tout au long de la grossesse.
Une augmentation de l’indice carieux a été observée pendant la grossesse, due à une modification acide du pH salivaire et à des vomissements répétés en début de grossesse qui peuvent provoquer des érosions dentaires. De plus, les grignotages sont plus fréquents qu’en temps normal et les visites chez le dentiste sont souvent reportées à après l’accouchement.
Le parodonte est également modifié lors de la grossesse et des gingivites « gravidiques » sont fréquemment observées. Celles-ci sont principalement dues à la plaque dentaire et les soins ciblés permettent une amélioration rapide de l’état local. Par ailleurs, des épulis gravidiques peuvent apparaître sur la gencive marginale. Ces lésions bénignes peuvent être éliminées chirurgicalement en cas de douleurs ou de saignements importants mais elles régressent spontanément à la fin de la grossesse.
Les soins bucco-dentaires peuvent se faire tout au long de la grossesse et le traitement d’urgence est toujours possible. Cependant, le deuxième semestre sera idéal pour réaliser ces soins du fait du risque de fausse couche lors du premier trimestre et de l’inconfort de la position semi-allongée lors du dernier trimestre. Ainsi, les urgences inflammatoires et infectieuses doivent être traitées à n’importe quel stade de la grossesse. Concernant les prescriptions médicamenteuses, le paracétamol comme antalgique et les pénicillines comme agents anti-infectieux seront privilégiés.
Une contamination « verticale » du Streptococcus mutans de la mère vers son enfant a été démontrée concernant les premiers mois de la vie de l’enfant. La cavité buccale du nouveau-né ne contient pas de germes avant l’éruption des dents temporaires. En effet, les génotypes des bactéries de l’enfant sont identiques à ceux de la mère dans 71 % des cas. En cas d’hygiène insuffisante ou de caries non traitées, lorsque la plaque dentaire s’accumule, la mère peut infecter l’enfant lorsqu’elle l’embrasse ou goûte ses aliments. L’infection de la cavité buccale de l’enfant dépend du niveau de contamination de la mère. La sévérité de la maladie est liée à la précocité de l’infection par S. mutans. Le mauvais état bucco-dentaire de la mère prédispose son enfant à l’apparition de caries précoces. Cela est bien sûr corrélé à une alimentation riche en sucres rapides et à une hygiène bucco-dentaire déficiente. Ainsi, il est actuellement recommandé d’instituer une prise en charge bucco-dentaire précoce de la future mère afin, d’une part, de limiter les altérations bucco-dentaires en rapport avec la grossesse et, d’autre part, de préserver l’état dentaire de l’enfant à venir. Pour toutes ces raisons, un examen de prévention bucco-dentaire à destination des femmes enceintes a été instauré depuis janvier 2014 par l’assurance maladie.
L’odontogenèse des dents temporaires débute au 4e mois de la vie intra-utérine, celle des dents permanentes à partir de la naissance. Les tissus durs des dents temporaires et des dents permanentes pourront porter les stigmates du passé médical de l’enfant. La denture temporaire, dont la mise en place passe rarement inaperçue, devrait être l’objet de toutes les attentions. Les professionnels de la petite enfance comme les parents ont souvent des doutes sur l’âge du début du brossage ou de la première visite chez un chirurgien-dentiste, ignorent la contagiosité de la maladie carieuse ou encore la présence de lactose dans le lait. Cet état de fait est d’autant plus vrai et délétère que l’enfant est en situation de handicap.
De plus, le programme M’T Dents commence à 6 ans c’est-à-dire à un âge où sont jetées, depuis un certain temps, les bases de la construction de la cavité buccale quant à son écosystème (déterminant pour la future santé orale) et ses praxies. Si la mise en place de ces deux éléments est favorable à l’état de la santé buccale, le développement de la denture définitive sera plutôt harmonieux ; dans le cas contraire, l’enfant risque d’être préoccupé, tout au long de sa vie, par sa santé orale.
Il restera la période fragile, pour tous les domaines de la santé, de l’adolescence qui sera franchie sans problème si les bases ont été prises au cours de la période précédente. Par ailleurs, les dents temporaires sont frappées du sortilège d’être de passage. Leur brièveté d’existence les dispenserait de toute attention, comme si la nature pouvait prévoir un organe inutile…
Enfin, soigner les enfants est un privilège encore trop peu souvent partagé !
La première consultation à 1 an est un souhait ardent de la communauté pédodontique. À ce moment de la vie, l’enfant sur le plan développemental multiplie ses compétences, mange de façon de plus en plus diversifiée, abandonne la tétine et possède 8 incisives. Bien souvent l’hygiène bucco-dentaire, qui aurait dû se mettre en place avec l’apparition des incisives centrales, n’est pas encore instaurée.
En favorisant la précocité de cette première rencontre, la prévention peut exercer ses bienfaits et, ainsi, de nombreux problèmes (perte d’alimentation, sommeil perturbé, infections ORL, déficits de croissance, estime de soi fragilisée, absentéisme scolaire…) sont alors évités. Une consultation précoce permet d’établir la fréquence des visites selon le risque carieux de l’enfant et de prendre, dès le départ, les habitudes adaptées sur les plans de l’hygiène alimentaire et bucco-dentaire.
La maladie carieuse est la pathologie la plus fréquente au monde et, pourtant, elle peut être évitée. Les principaux facteurs de risque sont connus : une fréquence trop élevée de prises alimentaires, un contrôle de plaque insuffisant. Une bonne santé bucco-dentaire ne peut exister à long terme que si ces deux paramètres sont maîtrisés. Les habitudes d’hygiène acquises durant l’enfance servent de base à celles de la vie adulte. Par son dialogue et ses gestes, le chirurgien-dentiste peut mettre en place des mesures simples, rapides et systématiques d’éducation thérapeutique en donnant aux parents et enfants les moyens de contrôler leur santé bucco-dentaire.
Lors d’un dialogue de prévention, simplicité et sincérité sont primordiales. La première cible est la fréquence de l’alimentation. Les prises alimentaires doivent être regroupées : petit-déjeuner, déjeuner, goûter, dîner. La boisson principale doit être l’eau.
La deuxième cible est le brossage des dents pour déstabiliser chaque jour la plaque dentaire, rendre labiles et inoffensives les bactéries protégées dans un biofilm. Pour l’enfant, le geste doit être montré par un de ses parents car l’apprentissage par imitation donne d’excellents résultats. Le chirurgien-dentiste pourra guider le parent dans son rôle.
Chez l’enfant, la prise d’une boisson lactée ou sucrée au coucher ou pendant la nuit n’est qu’un mode particulier de grignotage. L’allaitement maternel, excellent pour la santé générale de l’enfant, ne doit plus se faire à la demande dès lors que l’éruption dentaire se met en place : la salive, sécrétion protectrice et nettoyante, est alors produite en quantité moins importante et la carie de la petite enfance peut apparaître. Si la maladie carieuse est déjà installée, la prévention secondaire permettra de réduire les atteintes. Le dépistage des lésions initiales est essentiel. Les concepts actuels tendent à être moins invasifs, moins souvent chirurgicaux qu’avant. De nouveaux produits de reminéralisation ou d’hyperminéralisation (CPP-ACP, fluor topique) sont disponibles ; ils font partie des recommandations actuelles et ont une cotation dans la classification commune des actes médicaux (CCAM), facilitant leur utilisation en exercice libéral. Le scellement de sillons connaît une évolution dans ses indications, techniques et choix de matériau.
D’après la définition du Haut Comité de santé publique, la santé est un processus cumulatif et, à ce titre, la santé orale, de l’apparition de la première dent temporaire au dernier souffle, en est un parfait exemple.
Par conséquent, il est grand temps, devant l’incidence croissante de la carie précoce de l’enfance, de se préoccuper de la santé orale du jeune enfant pour l’inscrire dans la trajectoire vertueuse d’une santé orale adulte de qualité.
Jeudi 24 novembre : 9 h-12 h
Responsable scientifique : Marie-Christine Goldsmith-Alric (UFR de Montpellier)
Modérateur : Estelle Moulis (UFR de Montpellier)