Clinic n° 11 du 01/12/2014

 

Dentisterie restauratrice

Cedrik Bernard  

10 rue de la Pompe
75016 Paris

Les restaurations en composite dans le secteur antérieur se démocratisent depuis quelques années, grâce à l’amélioration des matériaux (masses dentine, émail, opalescente… [1, 2]) et à la diffusion de techniques de stratification qui tendent à se simplifier afin d’obtenir des résultats esthétiques reproductibles [3-5].

Ces techniques ont toutes un point de départ commun, précédant la mise en œuvre des différentes couches de composite : la réalisation d’un cadre. Celui-ci permet la transformation d’une sculpture tridimensionnelle complexe en une peinture dont les bords vont être définis par la face linguale, issue d’une clé en silicone, et par les faces proximales, formées grâce à l’utilisation de matrices.

Ce cadre, ce guide anatomique, est un préalable indispensable : il simplifie le positionnement dans l’espace des différents apports de composite tout en assurant fonction et résultat esthétique optimal [6]. Cet article détaille la manière de réaliser ce support de stratification.

Face linguale : partie postérieure du cadre

Rôles de la clé en silicone

Une restauration antérieure en composite demande une planification : il est nécessaire d’obtenir une clé en silicone guidant la réalisation d’une face linguale fonctionnelle et reproduisant le contour général de la dent initiale. Elle servira à :

• établir la longueur, l’épaisseur et le contour incisal de la dent ;

• intégrer la restauration dans l’occlusion et la fonction du patient ;

• fixer le profil et le positionnement lingual, facilitant ainsi la perception tridimensionnelle de l’anatomie de la dent et, donc, le placement et l’épaisseur corrects des différentes masses de composite ;

• réaliser un bord libre transparent/opalescent de longueur adéquate (avec un bon positionnement des mamelons dentinaires) ;

• réduire les excès palatins ;

• obtenir, dans les cas complexes, une fonction optimale dans l’harmonie du nouveau sourire (proportion des dents les unes par rapport aux autres, ligne du sourire, alignement…).

Réalisation de la clé en silicone

La clé en silicone peut s’obtenir de trois façons :

• enregistrement de la face linguale de la restauration défectueuse, si sa forme est adéquate ;

• enregistrement à partir d’un wax-up, technique particulièrement recommandée dans les cas complexes de restaurations multiples (fig. 1 à 3) ;

• enregistrement d’un mock-up direct, composite réalisé directement en bouche sans adhésion préalable (ni mordançage ni utilisation de système adhésif). Une attention particulière sera apportée au façonnage de la face linguale et à sa fonctionnalité. Fahl [7] préconise même de réaliser un « mock-up coloré » (en utilisant les masses dentine et émail sélectionnées lors de la prise de teinte) afin de valider en direct et avant la véritable restauration les choix de couleurs (fig. 4 à 9).

Réalisation de la face linguale

Après élimination de l’ancienne restauration si besoin, préparation des limites cavitaires (congé court ou biseau en vestibulaire permettant d’augmenter la surface d’adhésion et de masquer le trait de fracture), isolation et procédure d’adhésion, la face linguale va être montée grâce à la clé en silicone. Deux solutions s’offrent au praticien :

• marquer la limite cavitaire sur la clé grâce à une sonde puis apporter et appliquer une masse de composite de restauration (préférentiellement une masse émail) en faible épaisseur (≤ 1 mm) sur la surface ainsi définie. La clé sera ensuite repositionnée en bouche et le composite photopolymérisé. Toutefois, cette opération peut s’avérer difficile, le composite ayant une fâcheuse tendance à coller plus aux instruments qu’à la clé en silicone ;

• positionner la clé en bouche et utiliser un composite « semi-fluide » teinte émail (G-ænial Universal Flo®, GC, teinte AE ou JE), aux caractéristiques mécaniques proches de celles d’un composite classique de restauration mais qui s’étalera très facilement à la sonde (fig. 10 à 14).

Face (s) proximale (s) : partie (s) latérale (s) du cadre

Les faces proximales restaurées grâce à des matrices vont achever de définir le cadre de la restauration et ses futurs contours. Ces matrices devront assurer un point de contact optimal, tout en permettant de stratifier sans risque de déborder sur la ou les dents adjacentes. Elles devront, de plus, assurer un joint cervical étanche, un profil d’émergence idéal et une forme convexe dans les deux sens de l’espace (vestibulo-lingual et cervico-incisal).

Après mise en place de la matrice et d’un coin (en plastique ou en bois), on applique une fine couche de composite teinte émail (≤ 1 mm) qui sera photopolymérisée. Là encore, l’apport du composite semi-fluide teinte émail (en créant une poutre cervico-incisale) peut s’avérer utile pour maintenir la matrice en position correcte.

Le choix de cette matrice est donc important. Il existe différents systèmes :

• les matrices en celluloïd transparent droites, qui sont le plus souvent utilisées [8]. Elles présentent pourtant un problème lié à leur forme : elles demandent à être courbées avant photopolymérisation du composite, dans le sens vestibulo-lingual mais aussi dans le sens cervico-incisal, afin de reproduire le profil convexe de la face proximale des dents antérieures. Cette dernière opération n’est pas toujours facile, en particulier si on ne travaille pas à quatre mains ;

• les matrices postérieures métalliques galbées (du type Garrison®) : biconvexes, elles répondent parfaitement à la problématique de la reproduction de la face proximale sans nécessité de manipulation. On pourra alors se concentrer sur l’apport de composite et sur son façonnage en couche fine. Mais leur convexité est souvent trop prononcée pour les faces mésiales, limitant leur utilisation aux faces distales ou aux dents antérieures très rondes (fig. 15 à 19) ;

• les matrices spécifiques aux dents antérieures (Bioclear Anterior®, chez Bisico) (fig. 20 à 22) : en celluloïd transparent, elles présentent différentes longueurs et courbures permettant de répondre à l’ensemble des situations cliniques, même pour la fermeture de diastèmes (fig. 23 à 25).

Il est à noter qu’il est plus aisé de conserver cette forme biconvexe au polissage en utilisant des strips abrasifs souples (du type Epitex®, GC).

Conclusion

La réalisation d’un cadre palato-proximal est le préalable commun à l’ensemble des techniques de stratification antérieure : il permet en effet d’obtenir un composite intégré fonctionnellement et facilite l’obtention d’une esthétique optimale grâce au bon positionnement dans l’espace des différentes masses. Sa mise en place demande une planification afin d’obtenir le guide palatin qu’est la clé en silicone et de choisir judicieusement une matrice permettant de reproduire la biconvexité des faces proximales des dents antérieures.

Une fois ce cadre réalisé, le praticien pourra laisser libre cours à son savoir-faire en appliquant la technique de stratification, plus ou moins complexe, de son choix

Bibliographie

  • [1] Baratieri LN, Araujo E, Monteiro S Jr. Color in natural teeth and direct composite restorations : essential aspects. Eur J Esthet Dent 2007;2:172-186.
  • [2] Vanini L. Light and color in anterior composite restoration. Pract Periodontics Aesthet Dent 1996;8:673-682.
  • [3] Dietschi D. Layering concepts in anterior composite restorations. J Adhesive Dent 2001;3:71-80.
  • [4] Weisrock G, Koubi S, Pignoly C, Tassery H. Les restaurations ­antérieures en résine composite : simplicité et fiabilité d’une technique. Clinic 2011;32:143-148.
  • [5] Koubi S, Faucher A. Restaurations antérieures directes en résine composite : des méthodes classiques à la stratification. Encylop Med Chir (Elsevier SAS, Paris) Odontologie 2005;23-136-M-10.
  • [6] Devoto W, Saracinelli M, Manauta J. Composite in every day practice : how to choose the right material and simplify application techniques in the anterior teeth. Eur J Esthet Dent 2010;5: 102-124.
  • [7] Fahl N. Mastering composite artistry to create anterior masterpieces. Part 1. J Cosmet Dent 2010;26:56-68.
  • [8] Lehman N. Composite antérieur et stratification. Clinic 2005;26:191-197.