Clinic n° 10 du 01/11/2014

 

UNIVERSITÉ D’ÉTÉ DE LA CNSD

ACTU

ANNE-CHANTAL DE DIVONNE  

La suppression du budget d’accompagnement du programme M’T dent et un projet de loi de santé faisant l’impasse sur la prévention bucco-dentaire, ces nouvelles amères jointes à l’inquiétant projet de déréglementation de la profession n’ont pourtant pas découragé la venue de quelque 400 congressistes à Cap Estérel, du 19 au 21 septembre, pour débattre de prévention.

« La ministre de la Santé ne doit pas oublier dans sa loi le rôle du chirurgien-dentiste dans le maintien en bonne santé générale des Français », a lancé la présidente de la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD), Catherine Mojaïsky, en ouverture de l’université d’été. Le message passe pourtant mal malgré les preuves de ce lien de cause à effet et la panoplie de propositions déposées par la CNSD et l’Union française de santé bucco-dentaire (UFSBD) lors de l’élaboration du projet de la loi de santé qui sera discutée au Parlement en 2015.

Impliquer la population

Autre déconvenue, les moyens alloués à la prévention bucco-dentaire (EBD) gratuite diminuent. L’intérêt de cet EBD, qui cible 5 tranches d’âge des jeunes jusqu’à 18 ans, est reconnu même si sa fréquentation reste décevante. Le taux le plus élevé - 40 % - concerne la classe d’âge des 6 ans. Un résultat qui « interroge sur la culture française », remarque Jean-François Seret, secrétaire général adjoint ADF. Pourquoi donc une si faible participation ? « Comme on n’a pas misé sur la formation des parents et des enfants, cela ne fonctionne pas », affirme Jean-Louis Marco. Pour ce professeur de santé publique, l’éducation à la santé est insuffisamment prise en compte. Dans le système actuel, pour une dépense de santé de 100, 92 sont consacrés aux soins, 7,8 à la prévention et seulement 0,2 à la prévention par l’éducation. Ce système est « à bout de souffle », pour Jean-Louis Marco qui prévoit une « transformation radicale de la gestion de la santé ». Pour l’heure, la ligne budgétaire de l’Assurance maladie de 230 millions d’euros justement consacrée aux opérations de sensibilisation à l’EBD dans les écoles est supprimée. Une décision qui « donne toutes les inquiétudes sur une reprise de la maladie carieuse », prévient Sophie Dartevelle, présidente de l’UFSBD. Seuls 20 000 enfants seront sensibilisés cette année, contre 250 000 l’an dernier et 500 000 l’année précédente !

Des actions complémentaires…

Il faut éduquer à la prévention mais aussi créer un environnement favorable. La prévention n’est « pas qu’une affaire de professionnels de santé ; on a besoin d’actions complémentaires au-delà du système de soins. Il faut créer des conditions pour que les gens changent de comportement », affirme Pierre Lombail. Le président du conseil d’administration de la Société française de santé publique cite en exemple le cas de jeunes, invités à diminuer leur consommation de sodas alors que, dans le même temps, ils en disposent facilement au distributeur à l’école. « C’est un sujet profondément politique », remarque Pierre Lombail, « car on se heurte à des intérêts économiques et sociaux contradictoires. »

Un vaste chantier

Si la prévention va bien au-delà de la sphère médicale, le rôle du chirurgien-dentiste reste cependant majeur dans la démarche. D’ailleurs, un chantier de plus en plus vaste s’ouvre à lui. À commencer par le fait de communiquer sur les bonnes techniques d’hygiène qui ont évolué depuis 10 ans. « On n’est plus dans le contrôle mécanique de la plaque mais dans le contrôle de la désorganisation du biofilm », précise Denis Bourgeois, doyen de la faculté dentaire de Lyon. Le rôle du praticien est aussi de communiquer sur les facteurs de risque, les maladies chroniques, les pathologies dentaires. Pour Pierre-Olivier Donat, conseiller technique de la CNSD, « il faut élargir nos compétences vis-à-vis de nos patients mais aussi vis-à-vis des autres professions de santé » en effectuant des diagnostics précoces, notamment celui du diabète, mais aussi en participant à des réseaux traitant les maladies chroniques. Comment se fait-il que la profession ne fasse partie d’aucun réseau de diabète alors que le chirurgien-dentiste a la même capacité à faire baisser la glycémie que le patient diabétique en pratiquant du sport ? Les chirurgiens-dentistes ont aussi vocation à s’intégrer dans des programmes d’éducation thérapeutique. « Il ne s’agit pas de donner une information ou un conseil », remarque Pierre-Olivier Donat, c’est « un ensemble de pratiques visant à permettre au patient l’acquisition de compétences afin de pouvoir prendre en charge sa maladie de façon active. » Les expérimentations « interdisciplinaires » menées dans certaines unions régionales des professions de santé (URPS) sont « passionnantes », remarque Pierre-Olivier Donat, qui encourage ses confrères à les rejoindre.

Chiffrer des objectifs… et s’engager

Les chirurgiens-dentistes ont un rôle à jouer dans la lutte contre le tabac, l’obésité, le diabète, les maladies cardio-vasculaires… Mais comment faire reconnaître ce rôle de la profession, comment valoriser ses compétences auprès des responsables politiques ? « Pour être crédible, la profession doit se donner des objectifs et les chiffrer », affirme Denis Bourgeois. « Aujourd’hui, 37 % des patients de 18-35 ans sont de gros fumeurs. On sait parfaitement chiffrer les gains en cancer du poumon qui résulteraient d’une baisse du nombre de fumeurs. La profession pourrait par exemple s’engager à baisser le taux de 15 % dans les 5 ans. Si, de la même façon, nous avons la capacité de faire baisser le diabète, les maladies cardio-vasculaires et le cancer, nous apparaîtrons comme une profession qui prend ses responsabilités dans les schémas de la santé publique », affirme le doyen de Lyon.

Nouveau défi

La profession a toujours fait de la prévention, « elle est inscrite dans ses gènes », remarquait un intervenant. Avec succès. Aujourd’hui « la boucle est bouclée », ne craint pas d’affirmer Denis Bourgeois. Même s’il reste un groupe à risque qui représente 10 à 15 % de la population, « la problématique de la carie est résolue » et celle des maladies parodontales le sera aussi « avec un décalage de 10 à 15 ans ». Conséquence : le volume d’activité de la profession, aujourd’hui concentré sur la carie et ses conséquences, va s’effondrer. Il y aura une perte globale d’activité et besoin de moins de praticiens. Mais alors, de quoi sera faite l’activité de la profession ?

La réponse par l’équipe dentaire

Le relais sera pris par une activité de « dentisterie de haute technologie » et par un développement de la prévention, prévoit Pierre-Olivier Donat. Cette évolution radicale amène à repenser le métier de chirurgien-dentiste au sein d’une équipe dentaire. Exemple : aux États-Unis, certes un pays qui régule bien différemment que la France la profession, les effectifs de cette dernière ont à peine progressé depuis plusieurs décennies. En revanche, pour répondre à la demande, l’équipe dentaire a pris le relais. « Une réflexion est à mener sur la création d’un métier intermédiaire, sur le rôle de l’assistante dentaire, la délégation, la possibilité pour elle d’intervenir en dehors du cabinet libéral, dans la prévention, la formation à l’hygiène, l’éducation thérapeutique… », prévient Marie-Françoise Gondard-Argenti, vice-présidente de la CNSD.

« Concrètement qui fait quoi et que délègue-t-on ? On ne doit pas entendre derrière “qu’abandonne-t-on ?” », remarque Thierry Soulié, secrétaire général de la CNSD, « il faut être imaginatif et concevoir cette notion managériale et entrepreneuriale de notre activité. »