Clinic n° 09 du 01/10/2014

 

Reportage

Antoine WALRAET  

De nombreux étudiants en odontologie partent chaque année en stage à l’étranger. Ces échanges internationaux, loin de leur faculté d’origine, sont source d’un enrichissement professionnel, culturel et personnel. À la rencontre de ces étudiants qui ont tenté l’expérience.

Partir étudier quelques mois à l’étranger ? Chaque année, de plus en plus d’étudiants en odontologie tentent l’expérience. Pérou, Viêt Nam, Brésil, Espagne, Canada, Chili, voilà quelques-unes des destinations prisées par les futurs chirurgiens-dentistes. Dans le cadre de leurs études, ils ont la possibilité d’effectuer un stage de quelques mois – voire d’une année entière – au sein d’une faculté d’odontologie étrangère. « L’objectif est qu’ils puissent voir ce qui se passe ailleurs, qu’ils aient d’autres approches et qu’ils voient aussi ce qui est commun aux différents pays », explique Jean-Louis Sixou, responsable des relations internationales de l’UFR d’odontologie de l’université de Rennes 1. « C’est aussi un projet de vie pour nos étudiants et donc une source d’enrichissement culturel », poursuit-il.

Une autre approche

Durant leur stage à l’étranger, les futurs praticiens peuvent être amenés à suivre des cours et/ou à exercer une activité clinique. C’est le cas de Caroline Gutierrez, étudiante en 5e année à la faculté de Lille, partie étudier de septembre à décembre 2013 à la faculté de chirurgie dentaire d’Arequipa, au Pérou. « Je voulais savoir comment d’autres étudiants travaillaient à l’autre bout du monde, voir s’il y avait un vrai écart avec nous et ce que l’on pouvait s’apporter », confie-t-elle. Elle a pu découvrir un fonctionnement différent du système français. « Les étudiants péruviens doivent acheter tout leur matériel et en prennent beaucoup plus soin, ils savent ne pas gâcher », souligne-t-elle. « J’ai réalisé qu’ils avaient davantage conscience de la ­valeur des études et ils sont aussi pointus, voire meilleurs, que nous », ajoute-t-elle. Caroline s’aperçoit aussi que les étudiants péruviens « sont passionnés, la fac leur prend toute leur vie et ils travaillent énormément ». « Ce stage à l’étranger m’a permis de prendre un peu de recul sur les années dentaires qu’on vit en France », analyse la jeune femme.

C’est sur un autre continent, en Asie, que Delphine Campardou a posé ses valises entre juin et septembre 2013. Actuellement en 6e année au sein du centre de soins dentaires Saint-Julien à Rouen, cette étudiante est partie à la faculté d’Hô Chi Minh-Ville au Viêt Nam, avec 9 collègues lillois. Sur place, elle a pu travailler en clinique, réaliser des soins, de la chirurgie, beaucoup de détartrages. Elle a fait « des stages d’observation dans un service de chirurgie maxillo-faciale ainsi que dans un service de carcinologie. Les soins sont très chers au Viêt Nam, les patients n’ont pas les moyens de les payer et les règles d’asepsie ne sont pas les mêmes qu’en France. C’est important, quand on arrive de France où tout est hyperaseptisé, de voir comment ils travaillent, et les patients n’en meurent pas ! », remarque Delphine. Cette expérience vietnamienne lui a beaucoup apporté. « Sur le plan personnel, j’ai appris à connaître mes limites », indique-t-elle.

Au cours de son stage, Delphine a également pu prendre part à une mission humanitaire en soignant gratuitement des enfants d’orphelinats. « Ce sont les professeurs de la faculté d’Hô Chi Minh-Ville qui nous l’ont proposé », se souvient-elle. Afin de préparer cette mission, Delphine et ses collègues avaient démarché en France des professionnels de l’industrie pharmaceutique pour emporter 90 kg de matériel de soins. « Nous avons fait 3 jours de dépistage dans les écoles, on notait tous les soins à réaliser, puis chaque enfant venait à la faculté pour les faire », note-t-elle. Limitée par le manque de moyens et de temps, Delphine aurait « aimé en faire plus » !

« L’humanitaire n’est pas l’objectif de ces mobilités internationales », tient à rappeler Étienne Deveaux, responsable des relations internationales pour l’UFR d’odontologie de l’université de Lille 2 et doyen de la faculté de chirurgie dentaire de Lille. Les étudiants qui partent en stage sont « en formation et valident leur apprentissage clinique », explique-t-il.

Au rapport

Chaque UFR est indépendante et établit ses propres conventions avec les universités étrangères. « Les étudiants partent toujours dans le cadre d’un contrat passé entre les deux établissements », c’est-à-dire entre leur université d’origine et celle qui les accueille, explique Jean-Louis Sixou. « Dans ce contrat, on définit les cours qu’ils doivent suivre et éventuellement leur activité clinique », ajoute-t-il. Chaque université d’origine valide ensuite les modules suivis par l’étudiant selon ses propres règles. La durée du stage et la période à laquelle les étudiants sont autorisés à partir sont également propres à chaque UFR. À Lille, les étudiants partent au moins 3 mois, plutôt au cours de leur 5e ou 6e année et généralement au 1er trimestre de l’année universitaire. À leur retour, ils doivent rapporter « une fiche de suivi clinique remplie, signée et tamponnée par les enseignants de la faculté qui les a accueillis », indique Étienne Deveaux. Ils doivent également réaliser un compte rendu de stage. À Rennes, les étudiants peuvent partir dès leur troisième année, mais il n’y a pas de départ en cinquième année. « C’est l’année du CSCT* ; c’est assez bloquant par rapport aux déplacements des étudiants », confie Jean-Louis Sixou.

Le nombre d’étudiants partant en stage varie d’une université à l’autre, tout comme les destinations proposées. À Lille, environ 16 étudiants partent chaque année pour quelques mois à l’étranger, notamment au Viêt Nam, au Pérou, au Chili, en Argentine et au Mexique. À Nice, entre 5 et 8 étudiants de 6e année partent chaque année, généralement pour 1 semestre, en Espagne, en Écosse, au Canada, au Brésil et en Russie. À Rennes, entre 4 et 10 étudiants partent chaque année au Québec, au Liban, en Espagne, au Royaume-Uni, en Grèce, en Pologne ou encore en Allemagne. « Ces échanges permettent à la faculté d’exporter nos formations et d’importer celles des autres », analyse le Pr Deveaux. « C’est vraiment une ouverture », indique-t-il.

Au cours de ces stages, la langue locale peut s’avérer être un obstacle. L’université de Lille 2 organise ainsi des cours de langue pour les étudiants qui partent. Ils doivent justifier d’un certain niveau pour obtenir l’accord de la faculté. Et cela vaut également pour les étudiants étrangers accueillis pour un stage en France au sein des différents établissements.

La France vue d’ailleurs

C’est le cas de Marcelo Moreira de Jesus, étudiant en 5e année à la faculté de chirurgie dentaire de São Paulo. Il est arrivé à la faculté de Lille en septembre 2013 dans le cadre d’un programme d’échange pour une période de 1 an. « J’ai suivi des cours de français avant de commencer la fac », explique ce Brésilien de 27 ans. Si, au départ, il avait « un peu peur », le jeune homme a vite été « surpris positivement » par l’accueil reçu. Ses collègues français l’ont « beaucoup aidé » au cours de l’année. Durant son stage, il a pu observer plusieurs différences entre les deux pays, à commencer par les relations entre les étudiants et leurs professeurs. « En France, il y a une hiérarchie énorme entre les enseignants et les étudiants, il y a un respect parfois excessif », confie-t-il. Par ailleurs, « au Brésil, on parle plus de prévention bucco-dentaire qu’en France. La France pourrait faire un effort dans ce sens. Car votre système public de santé est très bon », remarque-t-il. S’il doit retourner au Brésil pour pouvoir être diplômé, Marcelo n’exclut pas de revenir ensuite travailler en France ou au Canada. « À São Paulo, il y a trop de chirurgiensdentistes. On peut être diplômé d’une excellente faculté et ne pas avoir de travail. La population va se faire soigner là où c’est le moins cher et ne pense pas à la qualité de soins. »

Il n’est pas le seul à envisager d’exercer son métier hors de son pays d’origine. « À cause du chômage en Espagne, y compris chez les chirurgiens-dentistes, constate Jean-Louis Sixou, un certain nombre d’étudiants espagnols ayant fait un stage en France reviennent y travailler ».

*Certificat de synthèse clinique et thérapeutique

Vers des programmes de courte durée…

L’Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire (UNECD) dresse actuellement un état des lieux des mobilités internationales des étudiants. Parallèlement, l’association travaille à la mise en place d’un programme d’échanges, via l’European dental student association (EDSA), une association qui fédère les 65 000 étudiants en odontologie européens. « L’EVP (European visiting program) est organisé par les étudiants, en collaboration avec les facultés », explique Valentin Garyga, vice-président en charge des relations internationales de l’UNECD. « Les échanges seront de plus courte durée (de 2 à 6 semaines) et comporteront 3 volets : culturel, social et scientifique », prévoit-il. Il espère pouvoir mettre en place plusieurs départs au cours de l’année universitaire 2014-2015. Ces EVP seront un « très bon outil pour faire naître chez les étudiants un désir d’échanges de plus longue durée, ainsi que pour créer les contacts nécessaires à la conclusion des conventions entre universités », pense Valentin Garyga.