Hygiène et prévention bucco-dentaires
*Professeur en odontologie
conservatrice/endodontie
17, Narjess 2 el Kantaoui Hammam
Sousse, 20246940
Tunisie
**Résidente en odontologie
conservatrice/endodontie
5, rue Samarkand Ennaser 1
Ariana 2037, 97111565
Tunisie
Si les pâtes dentifrices ont longtemps été utilisées comme de simples produits cosmétiques destinés à « nettoyer » les dents et rafraîchir l’haleine, aujourd’hui l’addition de principes actifs et d’agents thérapeutiques leur confère un rôle dans le traitement et la prévention des maladies bucco-dentaires. Le rôle du chirurgien-dentiste est d’éviter à ses patients l’automédication et la surconsommation de ces produits. Pour cela, il est incité, lors d’un conseil ou d’une prescription de dentifrice, à prendre en considération un certain nombre de critères dépendant du produit et du patient lui-même afin de répondre au mieux à ses attentes et à ses besoins et d’éviter d’éventuelles complications.
Les premiers dentifrices avaient deux fonctions essentielles : le nettoyage des dents et le rafraîchissement de l’haleine. À ces fonctions purement cosmétiques, l’adjonction d’un ou de plusieurs principes actifs leur confère d’autres vertus préventives et même thérapeutiques telles que la prévention des caries dentaires, la réduction de l’hypersensibilité, le contrôle de la formation du tartre et le traitement de l’halitose. Les laboratoires pharmaceutiques produisent ainsi une multitude de dentifrices, aux formules chimiques de plus en plus longues. On est ainsi amené à se demander selon quels critères le chirurgien-dentiste doit établir sa prescription.
Lors d’une prescription, qu’elle soit médicamenteuse ou non, le praticien doit prendre en considération un certain nombre de critères, dépendant du produit, de la situation clinique et du patient, afin de répondre au mieux aux attentes et besoins de celui-ci.
Lorsqu’un patient vient consulter, le praticien doit dans un premier temps l’écouter. Un interrogatoire permet de déterminer s’il souffre de problèmes particuliers (sensibilité au froid, saignement gingival…). Dans un deuxième temps, un examen clinique approfondi permet d’établir le diagnostic. Le praticien peut alors choisir de prescrire un dentifrice en première intention ou en complément d’une thérapeutique plus invasive en fonction de l’âge du patient et de son état de santé général. En effet, l’utilisation quotidienne de ces pâtes dentifrices peut aider le patient à soulager partiellement, voire totalement, certains de ses problèmes dentaires. À chaque cas de figure correspond un type de produit. L’association de plusieurs dentifrices est possible car il n’est pas rare que le patient présente diverses pathologies bucco-dentaires. Face à cette multiplicité telle que la gingivite, la sensibilité dentaire ou la sécheresse buccale, le praticien doit savoir associer ou enchaîner les thérapies.
Chez les patients ayant subi une irradiation cervico-faciale, les modifications qualitatives et quantitatives de la salive induisent une transformation de la flore buccale favorisant la prolifération des bactéries cariogènes avec une diminution du pH salivaire. L’application d’une fluoruration quotidienne associée à une hygiène très rigoureuse est recommandée pour prévenir les caries postradiques. Elle peut se réaliser avec un gel de fluorure (2 000 ppm) placé dans une gouttière thermoformée. Ce gel s’emploie quotidiennement pendant 5 minutes le soir après le brossage et à vie.
Pour les patients souffrant de xérostomie, qui peut être d’origine médicamenteuse ou postradique cervico-faciale ou encore accompagner des maladies systémiques, des dentifrices pour bouches sèches contenant des enzymes et des glycoprotéines (lactoperoxydases, lysozymes, lactoferrines) ont été mis au point. Il est important qu’ils ne contiennent pas de laurylsulfate de sodium (LSS) puisque ce dernier réduit la résistance de la muqueuse orale, favorise la desquamation épithéliale ainsi que la survenue d’aphtes ulcéreux.
Les patients ayant des érosions dentaires, qu’elles soient extrinsèques (aliments acides, pastilles à base d’acide citrique, divers médicaments, exposition à l’eau traitée au chlore gazeux dans les piscines…) ou intrinsèques (boulimie, vomissements chroniques, reflux gastro-œsophagien), ont besoin de maximiser le potentiel de reminéralisation et de réduire au minimum le risque de déminéralisation par l’utilisation quotidienne de dentifrice au fluorure à 1,1 %.
Les modifications hormonales au cours de la grossesse peuvent avoir des répercussions au niveau de la cavité buccale tant sur le plan parodontal que dentaire. En effet, les modifications de l’environnement buccal durant la grossesse auraient tendance à favoriser la carie : vomissements fréquents, multiplication de certaines bactéries cariogènes, diminution du pH salivaire et de son pouvoir tampon… Les vomissements gravidiques, du fait de l’acidité, agressent l’émail dentaire. Un rinçage à l’eau ou, mieux, un bain de bouche fluoré ou du bicarbonate et un brossage avec un dentifrice de 1 000 à 1 500 ppm 30 minutes à 1 heure après les vomissements est nécessaire [1].
De plus, en raison des modifications hormonales, la réponse inflammatoire vis-à-vis de la plaque bactérienne peut être exacerbée durant la grossesse, conduisant à l’apparition de gingivite ou de parodontite gravidique.
Le praticien doit informer la patiente sur l’importance de l’élimination de la plaque bactérienne : moyens et techniques de brossage. Il pourra éventuellement réaliser un détartrage et prescrire des dentifrices contenant une association de triclosan et de copolymères. Ces dentifrices préviennent à long terme les gingivites gravidiques [2].
La mesure de prévention des lésions carieuses la plus efficace repose sur un brossage biquotidien des dents après chaque repas d’au moins 1 minute avec un dentifrice fluoré adapté à l’âge de l’enfant.
Cependant, avant 2 ou 3 ans, le nettoyage des dents se fait avec une compresse humide. Les dentifrices de moins de 1 000 ppm ne sont plus recommandés. Actuellement, l’emploi d’un dentifrice de 1 000 ppm serait plus efficace en prévention bucco-dentaire. Cependant, la quantité de pâte doit être de la taille d’un petit pois et le brossage dentaire doit être supervisé par un adulte en vue de réduire le risque d’ingestion et donc d’intoxication aux fluorures.
À partir de 12 ans, les dentifrices dits adultes dont la teneur en fluor varie de 1 000 à 1 500 ppm de fluor sont recommandés. À cet âge, le développement psychomoteur de l’enfant lui permet un brossage efficace avec une pâte à concentration optimale de fluor sans risque d’ingestion [3].
Chez l’adulte, il est recommandé d’utiliser un dentifrice fluoré entre 1 000 et 1 500 ppm au cours de 2 ou 3 brossages quotidiens. Il ne faut pas cracher plus que nécessaire pendant le brossage, cracher en fin de brossage et ne pas rincer ou rincer a minima. En effet, le fait de cracher sans rinçage et ne pas mouiller sa brosse à dents avant le début du brossage favorise le maintien d’une concentration efficace en fluor dans la cavité buccale. La quantité de dentifrice déposée correspond à la taille d’un grain de maïs [4].
Les fluorures sont considérés comme une véritable mesure de santé publique pour lutter contre la formation des caries dentaires. La prescription d’un dentifrice au fluor est recommandée en prévention quel que soit l’âge du patient. L’usage topique des fluorures doit être modulé en fonction du risque carieux.
Les fluorures limitent la déminéralisation et favorisent la reminéralisation. Ils prennent partiellement la place du calcium lors de la reformation du réseau cristallin de l’émail, ce qui a pour principal effet d’améliorer la résistance à l’acidité de l’émail. Hormis le fluor, de nouveaux produits de reminéralisation existent et peuvent être incorporés dans la formulation des pâtes dentifrices.
Le phosphopeptide de caséine-phosphate de calcium amorphe (CPP-ACP, casein phosphopeptide-amorphous calcium phosphate) pourrait être efficace dans la prévention de nouvelles lésions carieuses. En effet, la pâte dentifrice contenant 2 % de CPP-ACP semble avoir une efficacité similaire à celle contenant 1 190 ppm de monofluorophosphate de sodium [5].
Récemment, un nouveau dentifrice contenant un extrait naturel de cacao, la théobromine, est apparu sur le marché (Theodent™). Selon une étude récente, cette protéine assure une reminéralisation plus efficace qu’un dentifrice contenant uniquement du fluorure de sodium et permet de rendre l’émail plus résistant aux attaques acides [6].
Le facteur étiologique principal incriminé dans les maladies parodontales est la plaque dentaire. Le contrôle de plaque est nécessaire pour retrouver ou maintenir une bonne santé parodontale. Il doit se faire, dans un premier temps, par des moyens mécaniques et individuels. Cependant, même si l’élimination mécanique de la plaque bactérienne par simple brossage peut parfois permettre de rendre réversible une gingivite, l’utilisation d’agents chimiques semble de rigueur pour potentialiser cette action, notamment dans les zones non accessibles à un brossage conventionnel. Ainsi, des agents antiseptiques et antibactériens sont retrouvés dans les pâtes dentifrices.
La chlorhexidine est considérée comme étant le gold standard des antiseptiques oraux. En effet, elle possède un spectre d’activité large couvrant les germes à Gram positif et négatif. Son spectre s’étend également aux bactéries anaérobies, aux champignons et aux levures. In vitro, elle est efficace contre la plupart des germes responsables de gingivites et de parodontites.
Cependant, le digluconate de chlorhexidine est incompatible avec les excipients anioniques comme le laurylsulfate de sodium qui l’inactive, avec le monofluorophosphate de sodium, avec les anions minéraux tels que le calcium et avec la plupart des antiseptiques. De plus, les dentifrices qui en contiennent ne doivent pas être prescrits à long terme car, parmi les effets indésirables, on cite les colorations dentaires, les desquamations et la modification de la perception gustative [7-8].
Le triclosan, découvert dans les années 1970, présente des propriétés antibactériennes et anti-inflammatoires ainsi qu’un large spectre d’activités.
Plusieurs études ont montré sa capacité à atténuer les signes de la gingivite. Il permet non seulement d’empêcher la croissance des bactéries à Gram positif et à Gram négatif mais aussi de réduire la capacité des fibroblastes à produire des cytokines et les médiateurs anti-inflammatoires [9]. Il n’altère pas la perception du goût et n’induit pas de colorations à long terme. De plus, l’emploi d’un dentifrice associant triclosan et copolymères est efficace pour ralentir la progression de la maladie parodontale [10].
Les sels métalliques peuvent rentrer dans la composition des dentifrices visant à réduire l’halitose mais également à traiter les gingivites. Les principaux sels métalliques utilisés comme agents antibactériens sont le citrate de zinc, le trihydrate de zinc, le chlorure de zinc et le fluorure d’étain.
Le citrate de zinc a une action modérée sur l’inhibition de la plaque en formation mais agit sur la plaque existante. Son action est inférieure à celle de la chlorhexidine mais, associé au triclosan, il présente une bonne efficacité : réduction du développement de la gingivite grâce à la réduction des bactéries potentiellement pathogènes.
Le fluorure d’étain, dont les propriétés antihypersensibilité ont été démontrées grâce sa fraction stanneuse, a une action antibactérienne particulièrement durable puisque, plus de 12 heures après son application sur les surfaces colonisées par les bactéries, il est encore efficace. Une étude en double aveugle a montré que les dentifrices contenant du fluorure d’étain avec de l’hexamétaphosphate de sodium permettaient une meilleure réduction de l’inhibition de formation de la plaque que les dentifrices à base de fluorure de sodium et du nitrate de potassium [11].
Ces dentifrices sont considérés comme des produits cosmétiques. Ils permettent de restituer la couleur initiale de la dent, dans le meilleur des cas, en agissant uniquement sur les colorations extrinsèques postéruptives.
Le mode d’action de ces produits repose sur l’incorporation de charges abrasives qui visent uniquement l’élimination des colorations extrinsèques superficielles. En effet, durant le brossage des dents, les particules abrasives se coincent entre la brosse à dents et la surface dentaire et, grâce à leur dureté, elles vont détacher les molécules colorantes.
Les principaux agents abrasifs utilisés dans ces pâtes dentifrices sont la silice hydratée, le carbonate de calcium, la perlite, l’oxyde d’alumine, le pyrophosphate de calcium et le sodium bicarbonate phosphate de calcium dihydraté.
Cependant, ces produits ne sont efficaces que dans des endroits accessibles c’est-à-dire qui peuvent être atteints par les poils de la brosse à dents. L’efficacité sera moindre au niveau des zones interdentaires et des zones gingivales [12].
De plus, la plupart de ces dentifrices ont une abrasivité moyenne comprise entre 60 et 100 ou une abrasivité élevée, c’est-à-dire supérieure à 100.
Il est alors recommandé de les utiliser en alternance avec un dentifrice peu abrasif car certains contiennent des abrasifs durs qui peuvent endommager les tissus mous.
Outre les agents abrasifs, des agents chimiques peuvent être incorporés aux dentifrices éclaircissants pour accroître leur efficacité.
Les principaux agents utilisés sont le peroxyde d’hydrogène, des enzymes, le citrate, le pyrophosphate et l’hexamétaphosphate.
Les dentifrices qui contiennent du peroxyde d’hydrogène permettent de relâcher des radicaux libres d’oxygène responsables d’une réaction d’oxydation qui modifie en conséquence la réflexion de la lumière sur les dents.
Cependant, il convient de noter que la concentration en peroxyde d’hydrogène (1 %) est faible et que le temps d’exposition est court : il y a peu de preuves sur l’efficacité de ces produits quant à leurs effets réels d’éclaircissement.
Des enzymes telles que la papaïne et la protéase sont parfois retrouvées dans certains dentifrices dits éclaircissants. En effet, ces enzymes ont une action sur les composants organiques du biofilm bactérien, ce qui enlève les taches et la plaque bactérienne. Elles agissent sur les protéines contenues dans la plaque et peuvent atteindre des surfaces inaccessibles aux poils de la brosse à dents (surfaces proximales).
Des molécules telles que le pyrophosphate de sodium et le tripolyphosphate de sodium peuvent se fixer sur la surface amélaire, sur la dentine et même sur le tartre et absorbent les molécules colorantes, créant ainsi un effet de blanchiment [12].
Actuellement, certains dentifrices incluent le bleu covarine dans leur composition. En effet, selon le spectre chromatique des couleurs, ce bleu foncé est la couleur complémentaire du jaune. Or, dans la synthèse additive des couleurs, une couleur et sa couleur complémentaire donnent du blanc. La covarine bleue se fixe sur les dents qui, par l’illusion d’optique ainsi créée, semblent moins jaunes [13, 14].
Ces dentifrices agissent soit en obstruant les tubules dentinaires, soit en bloquant la transmission de l’influx nerveux responsable de la douleur au niveau des synapses.
Les sels de potassium représentent un des produits les plus satisfaisants dans les thérapeutiques de l’hyperesthésie dentinaire. En effet, le potassium, en pénétrant dans les tubules dentinaires, permettrait de dépolariser les fibres nerveuses. Le potentiel d’action alors plus élevé augmenterait le seuil d’excitabilité et contribuerait donc à réduire les douleurs relatives à l’hypersensibilité. Les sels de potassium utilisés sont soit du nitrate de potassium (5 %), soit du chlorure de potassium (3,75 %) soit du citrate de potassium (5,5 %). Les dentifrices contenant ces agents désensibilisants sont reconnus pour être efficaces en réduisant la sensibilité par rapport aux dentifrices fluorés [4, 15].
Cependant, il faut au moins 2 semaines d’usage biquotidien de pâte dentifrice contenant du potassium pour obtenir une réduction significative de la sensibilité dentinaire [15].
Les fluorures et le chlorure de strontium agissent par diminution du diamètre des canalicules, réduisant dès lors les mouvements liquidiens. Ces produits, utilisés 2 fois par jour, entraînent des réductions significatives de l’hypersensibilité au bout de 4 semaines [15].
L’application de fluorure d’amines aboutit à la formation de fluorure de calcium (CaF) constituant un réservoir d’ions fluorure permettant une action progressive et continue dans le temps. Les fluorures d’étain entraînent la formation de composés stanniques qui s’infiltrent en profondeur dans les tubules dentinaires [4].
Le chlorure de strontium s’échange avec le calcium de l’hydroxyapatite de la paroi tubulaire et forme des cristaux de phosphate de strontium favorisant l’oblitération des tubules. Il est plutôt utilisé dans le cadre de récessions gingivales. Il favorise le drainage de la vascularisation secondaire de la gencive par sa composition hypertonique, ralentissant ainsi le processus de rétraction gingivale.
L’arginine est un acide aminé supposé être attiré par la surface de la dentine, de charge négative. L’association arginine/carbonate de calcium appliquée localement aura pour conséquence l’apposition du carbonate de calcium sur la surface dentinaire et dans le tubule dentinaire.
Par ailleurs, une fois fixée sur la surface de la dentine, l’arginine crée un environnement alcalin qui est favorable au calcium et aux ions phosphate endogènes de la salive qui viennent se déposer à la surface dentinaire exposée. Un agrégat minéral est alors formé et constitue ainsi un bouchon qui obture les tubules dentinaires. Les mouvements hydrodynamiques du fluide tubulaire sont alors neutralisés par isolation des tubules de l’environnement buccal.
Les pâtes dentifrices contenant de l’arginine donnent également de bons résultats dans la réduction de l’hypersensibilité. Plusieurs études ont même montré que son effet hyposensitif était supérieur à celui du sel de potassium et des fluorures.
Très récemment, un nouveau produit désensibilisant à base d’arginine (8 %) et de carbonate de calcium a été commercialisé. Il se présente sous forme d’une pâte prophylactique désensibilisante pour l’application topique. Des études ont prouvé son efficacité en ce qui concerne le soulagement immédiat et durable en le comparant à un dentifrice contenant 8 % de chlorure de strontium et 1 400 ppm de fluorures.
Il est ainsi important de souligner que la plupart des dentifrices, bien que considérés comme des produits cosmétiques, ont des vertus curatives et préventives importantes qui font de ces outils de brossage des éléments indispensables à l’obtention d’une bonne santé dentaire. La multiplication des formules proposées par les laboratoires pharmaceutiques amène le consommateur à faire un choix parmi une gamme de dentifrices de plus en plus étendue. Ainsi, le rôle de chaque molécule et les interactions entre les différentes molécules de la formule avec les processus physiopathologiques buccaux des dentifrices prescrits doivent être connus par le chirurgien-dentiste afin de mieux répondre aux attentes et aux besoins des patients.