Éthique
Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophieet d’un master d'éthique médicale et biologique
Toute la politique actuelle use et abuse du storytelling, c’est-à-dire de l’art de présenter les faits dans un cadre narratif, de raconter littéralement une histoire, au besoin en tordant la réalité afin d’obtenir l’adhésion d’autrui. Les mots sont autant des armes que des pièges.
Voici une situation où les prestations de l’Assurance maladie n’ont pas ou peu été revalorisées depuis des décennies au regard du coût de la vie et de l’évolution des techniques. Où le reste à charge des patients est plus élevé que pour d’autres spécialités (hospitalière notamment). Les assurances complémentaires pratiquent un lobbying forcené et payant pour s’assurer du contrôle :
• de leurs coûts en faisant pression sur le coût des prestations médicales (praticiens conventionnés, centres de soins, concurrence déloyale) ;
• de leurs revenus (cotisations en hausse, mutuelle obligatoire, publicité).
Et chaque citoyen, devant ce maillage complexe, se voit présenter une « histoire » prête à penser, fausse, mais facile à croire : l’Assurance maladie présente un « trou » dû aux dérapages des médecins qui pratiquent des tarifs supérieurs au tarif réel qui est le tarif « sécu1 » et les gentilles mutuelles vont vous aider à trouver le meilleur soin au meilleur coût pour lutter contre ces médecins richissimes. Tout le monde gobe l’histoire, l’Assurance maladie coule, la qualité baisse et le profit des assureurs s’envole.
Et les termes utilisés nous piègent nous-mêmes. En voici trois exemples. Commençons par celui des « dépassements ». En chirurgie dentaire, ils n’existent pas pour la simple raison que nous n’avons pas de secteur 2 et que les honoraires sont libres sur certains actes. Encore faudrait-il aimer la liberté…
Ensuite, la terrible distinction entre soin et prothèse. Elle finit par donner l’idée que le soin (SC) est validé car remboursé et que la prothèse (SPR) est ce sur quoi « on se fait notre beurre avec des marges pas possibles ». Alors primo, il ne s’agit là que d’une distinction administrative entérinée par l’incompétence de nos syndicats à proposer un front uni. Et, secundo, la panoplie de nos actes thérapeutiques couvre un continuum qui est fonction du diagnostic, du pronostic et de la taille des lésions. Cette distinction n’est pas seulement factice, elle nuit à la qualité de nos prises en charge.
Enfin, le « contrôle détartrage ». Viendrait-il à l’idée de quelqu’un de sain de prendre un rendez-vous chez un médecin pour une « visite prescription d’antiasthmatique » ? Soit on se sait déjà porteur d’une condition défavorable à la santé et alors ce n’est pas un « contrôle détartrage » mais un rendez-vous pour un assainissement à valeur de prévention de la carie et des parodontites. Soit on se pense sain et on demande une « visite de contrôle ». Le détartrage est à tel point banalisé que :
• les gens n’ont pas un niveau d’hygiène suffisant (avoir du tartre est normal) ;
• l’explication de tout traitement parodontal est très délicate dès le départ (comment ce qui est normal peut devenir pathologique).
Chers confrères, choisissez vos mots et dégonflez les idées reçues : ce storytelling qu’on nous impose et qui menace la liberté de la profession et la qualité des soins, et les mots de tous les jours qu’on prononce et qui nous enfoncent.
1. Il faudra m’expliquer comment des sommes non remboursées peuvent créer un trou.