ODONTOLOGIE RESTAURATRICE – MATÉRIAUX
Nelly PRADELLE-PLASSE* Mathilde BLOCH** Brigitte GROSGOGEAT*** Pierre COLON****
*MCU-PH
**Université Paris Diderot
AP-HP hôpital Rothschild – Service d’odontologie
Laboratoire multimatériaux et interfaces (UMR CNRS 5615)
Équipe biomatériaux et interfaces biologiques
5 rue Garancière – 75006 Paris
***Docteur en chirurgie dentaire
****1, rue des Mésanges
91400 Orsay
*****PU-PH
******Université Lyon 1
Faculté d’odontologie
Hospices civils de Lyon – Service d’odontologie
Laboratoire multimatériaux et interfaces (UMR CNRS 5615)
Équipe biomatériaux et interfaces biologiques
11, rue Guillaume-Paradin – 69372 Lyon cedex 08
*******PU-PH
********Université Paris Diderot
AP-HP hôpital Rothschild – Service d’odontologie
Laboratoire multimatériaux et interfaces (UMR CNRS 5615)
Équipe biomatériaux et interfaces biologiques
5 rue Garancière – 75006 Paris
Le système SonicFill™ est un nouveau concept d’obturation coronaire. Une pièce à main sur laquelle est chargée l’unidose de composite va permettre, par activation sonique, de modifier la viscosité du matériau lors de l’insertion dans la cavité. Ce dispositif facilite l’adaptation marginale et le modelage. Quelles sont les propriétés de ce matériau inséré en un seul apport (bulk technique) ?
Les matériaux composites évoluent en permanence depuis une vingtaine d’années avec pour objectif de limiter la contraction de polymérisation inhérente, lors de la photopolymérisation, au passage de liaisons de type Van der Walls (environ 4 nm entre les atomes) à des liaisons covalentes (environ 0,15 nm entre les atomes). Cette contraction va se traduire par des contraintes plus ou moins élevées sur les joints des restaurations adhésives aboutissant aux conséquences bien connues telles que défaut d’étanchéité et d’adhérence, dégradation, dyscolorations des joints, récidive carieuse…
Pour limiter ces phénomènes [1, 2], trois voies sont explorées parallèlement dans la chimie des matériaux et les procédures cliniques :
• modification de la chimie des résines composites en intervenant sur les deux principaux constituants, les charges et les matrices organiques [3] ;
• modification de la dimension (nanocharges) [4], de la morphologie (charges mésoporeuses) [5, 6], de la structure (charges prépolymérisées) et du traitement de surface (fonctionnalisation) [7] des charges.
• évolution des matrices organiques vers de nouveaux monomères dits à faible taux de contraction (low shrinkage) (N durance®, Septodont ; Kalore®, GC…) [2, 8] ou vers des modes de polymérisation différents par ouverture de cycle (polymérisation cationique, Silorane®, 3M ESPE) [3] ;
• modification des procédures cliniques faisant intervenir des composites fluides [9], des composites dits bulks, des associations avec des matériaux d’autres familles (ciments verres ionomères compactables) [10-14].
Récemment, les laboratoires Kerr et KaVo ont conçu un nouveau concept d’obturation coronaire appelé SonicFill™. Il s’agit d’un système destiné à la restauration des dents postérieures. Il se veut rapide (insertion en masse ou bulk technique), performant (adaptation marginale optimale) et simple d’utilisation.
Cette technique s’insère donc dans les évolutions des résines composites à deux niveaux : nouveau matériau à faible taux de contraction et nouvelle procédure de mise en œuvre.
Le système est composé d’une pièce à main KaVo qui génère l’activation sonique d’un composite spécifique fabriqué par Kerr et présenté en unidose (fig. 1a) :
• la pièce à main, connectée à l’unit avec le raccord KaVo Multiflex, génère une vibration de moyenne fréquence (de 3 000 à 6 500 Hz). Elle permet de régler le débit d’apport du matériau (de 1 à 5). La position 5 correspond au débit le plus important, mais la position 1 permet de délivrer la viscosité de composite la plus fluide par un temps plus long d’activation sonique (fig. 1a) ;
• le composite est composé d’une résine bis-GMA hautement chargée qui présente la propriété de répondre à l’activation sonique (tableau 1). Le taux de photoamorceurs et la translucidité sont augmentés pour permettre une polymérisation en profondeur. Il s’agit d’un composite dit low shrinkage. Sa présentation sous forme de compule unidose assure la pérennité du matériau. Son embout, de diamètre inférieur à celui des unidoses conventionnelles, facilite l’accès à toutes les cavités, mêmes les plus petites (fig. 2).
Dès que la vibration sonique est appliquée par la pièce à main, l’agent modificateur contenu dans la résine composite réduit la viscosité du composite (jusqu’à 87 %), permettant d’augmenter la fluidité du matériau et, donc, la cinétique d’étalement sur les parois, ce qui limite le risque d’incorporation de porosités au cours de l’insertion. Une fois la vibration stoppée, le composite retrouve la viscosité initiale classique d’un microhybride et permet ainsi un modelage aisé. L’insertion se fait en un seul apport, inférieur ou égal à 5 mm d’épaisseur. Le choix de teintes disponibles (A1, A2, A3, B1) permet un résultat esthétique satisfaisant dans la région des dents cuspidées (fig. 3).
L’ensemble des études dont les résultats sont présentés ici a été conduit au sein du Laboratoire multimatériaux et interface de Lyon 1 (UMR, CNRS 5615), équipe biomatériaux et interfaces biologiques et du Laboratoire de biomatériaux de Paris Diderot (plateforme de recherche).
L’image en microscopie électronique à balayage montre que la spécificité du composite SonicFill™ réside dans la morphologie polyédrique de ses particules mesurant de 3 à 10 µm, mélangées avec des particules plus petites (inférieures à 10 µm) (fig. 4). La partie inorganique du matériau (forme, taille et structure chimique) est donc impliquée dans l’évolution de la viscosité lorsque des vibrations sont appliquées.
Nos études sur la porosité du matériau, après mise en place dans la cavité, montrent un taux de porosité très faible, allant de 0 à 2,94 %, confirmant l’aptitude du matériau à parfaitement s’étaler sur l’ensemble des parois cavitaires (fig. 5).
La dureté Vickers moyenne du SonicFill™ sur la surface exposée à la lampe à photopolymériser (20 s) est de 71,6 HVN. Cette valeur moyenne est en accord avec la littérature scientifique pour une utilisation postérieure : une étude de Hahnel et al. [15] rapporte les valeurs de dureté Vickers de nouveaux composites utilisés pour des restaurations postérieures (Filtek Silorane®, 3M ESPE : 67,6 HVN, Ceram.X®, Dentsply : 87,2 HVN, QuixFil®, Dentsply : 87,6 HVN).
Selon nos résultats, la profondeur de polymérisation qui permet de conserver les propriétés mécaniques du matériau est de 4 mm (tableau 2). Cette capacité de polymérisation jusqu’à 4 mm de profondeur est permise grâce à la translucidité du matériau [16].
Le SonicFill™ présente une importante résistance à la flexion (133,8 MPa) lorsqu’on la compare à celle de composites souvent utilisés comme référence tel que le Z100® (3M ESPE) qui, lui, en présente une de 102,5 MPa, ou le Tetric Ceram®, Ivoclar Vivadent (74,02 MPa) [17].
Ces deux propriétés, représentatives de cette famille de matériaux, montrent que le SonicFill™ répond de façon favorable à une utilisation dans les secteurs postérieurs [18].
La qualité des joints adhésifs est évaluée à l’issue des tests d’étanchéité et, par conséquent, l’influence sur ces joints de la contraction de polymérisation. Deux familles de systèmes adhésifs sont évaluées : un système MR3 (gold standard, Optibond FL®, Kerr) et un système SAM2 (Optibond XTR®, Kerr).
L’évaluation de l’étanchéité sur les dents non thermocyclées a montré que le taux de percolation dentinaire relevé avec le système Optibond FL® est quasiment nul (0,13 %), la qualité de ce système adhésif étant rapportée dans de nombreuses études [19]. Les résultats obtenus avec l’adhésif Optibond XTR® sont également performants (2,64 %). Pour les dents ayant subi un hydrothermocyclage (méthodologie expérimentale permettant d’obtenir un vieillissement accéléré), un paramètre supplémentaire intervient : la variation volumique en fonction du coefficient de dilatation thermique. Les valeurs de percolation se trouvent logiquement augmentées par ces sollicitations complémentaires tout en restant satisfaisantes (fig. 6).
Pour conclure, le composite SonicFill™ combiné avec le système adhésif SAM2 semble une solution satisfaisante quant à l’herméticité des restaurations sur les dents postérieures, en accord avec la littérature [20].
La valeur de contraction volumique obtenue (1,37 % à 300 secondes) fait partie des valeurs les plus faibles par rapport aux composites actuellement commercialisés en tant que low shrinkage (fig. 7).
La cinétique de retrait de polymérisation, très faible, est 0,121 ‰ par seconde. Ce facteur évalue l’évolution du taux de contraction de polymérisation par unité de temps. Cette faible valeur signifie que le SonicFill™ présente une contraction de polymérisation lente, ce qui diminue les contraintes au niveau des interfaces.
Le système SonicFill™ peut donc concilier qualité et efficience. En effet, ce matériau :
• se comporte comme un composite bulk en termes de viscosité et de manipulation ;
• répond aux critères d’un composite low shrinkage ;
• est compatible avec un usage de restauration postérieure en termes de propriétés mécaniques, physico-chimiques, esthétiques et d’étanchéité.
Si les études in vitro valident l’intérêt de cette proposition, il est intéressant de voir comment ce système est perçu par les praticiens, ce qui fait l’objet d’un autre article (Le système SonicFill™. Partie 2 ? Qu’en pensent les praticiens ? [21]).