Clinic n° 06 du 01/06/2014

 

Enquête

Anne-Chantal de Divonne  

L’hypnose attire de plus en plus de chirurgiens-dentistes pour soulager les patients pendant les soins et calmer leur appréhension. En retour, les soins sont réalisés dans de meilleures conditions pour le praticien. Marie-Élisabeth Faymonville donne quelques repères sur cette technique encore considérée comme mystérieuse. Deux chirurgiens-dentistes et une assistante dentaire expliquent comment ils l’utilisent dans leur cabinet dentaire.

En voiture, nous sommes parfois surpris d’arriver aussi vite à destination. En fait, notre mental nous a absorbés et distraits de ce qui se passait autour de nous. Tout en sachant que si quelque chose de spécial s’était produit sur la route, nous aurions été présents pour réagir. L’hypnose ressemble un peu à cet état d’éveil différent, expliquait le Pr Marie-Élisabeth Faymonville, médecin anesthésiste, directrice du centre de la douleur du CHU de Liège en Belgique, lors d’une séance du dernier congrès de l’ADF consacrée à la place de l’hypnose en odontologie. Ce médecin anesthésiste-réanimateur enseigne l’hypnose et mène en parallèle des recherches sur les mécanismes neuro-anatomiques de différents états de conscience, entre autres l’hypnose.

Entre veille et sommeil

La transe hypnotique peut être définie comme un état de conscience situé entre la veille et le sommeil. Le thérapeute va utiliser un langage particulier pour faciliter la transition et le maintien dans cet état. Il se produit alors chez le patient un changement dans le mode de fonctionnement du cerveau avec, notamment, une altération des perceptions. Le patient focalise son attention vers son vécu intérieur et met entre parenthèses les éléments extérieurs non pertinents, comme la douleur pendant les soins.

Contrairement à une idée fausse pourtant largement répandue, « on n’est pas hypnotisé ; il n’y a pas de pouvoir forcé ; ce sont les personnes elles-mêmes qui se mettent en hypnose. Elles y sont aidées par le soignant qui connaît la technique et crée les conditions favorables », explique Marie-Élisabeth Faymonville. D’ailleurs, pour entrer en hypnose, le patient doit, selon ce médecin, remplir trois conditions : être motivé, faire confiance au soignant et collaborer avec lui. Aussi, sauf dans les cas d’urgence lorsque le patient est en détresse, ce médecin prévient toujours son patient qu’il va utiliser cette technique : « Il est important d’en parler à son patient. Je lui dis que c’est une aptitude naturelle qu’il possède. Je l’invite à l’utiliser et je serai son accompagnateur dans le soin. »

Le soignant accompagnateur

Le médecin décrit le cas de l’accompagnement d’un patient stressé. Dans cette situation, le patient glisse spontanément en transe négative. Cet état se manifeste par une régression en âge, un comportement enfantin, une suggestibilité augmentée et une diminution de raisonnement. Le rôle du soignant sera de l’aider à se reconnecter à la réalité, à « revenir dans l’ici et maintenant », plus précisément. Il a recours à une voix calme et apaisante, à un vocabulaire positif qui supprime tous les mots ou expressions comme « essayer », « c’est une catastrophe », « quel chantier », ou encore « je dois arracher » ! Il ralentit progressivement le rythme de ses paroles. Il est attentif au patient pour prendre en compte ses préoccupations, lui pose des questions sur ce qu’il ressent, l’invite à signaler avec la main ce qui le gêne…

Un confort de travail

Créer des relations harmonieuses avec son patient demande attention, bienveillance et patience de la part du soignant. « Le soignant doit être présent à la relation, ne pas penser au rendez-vous du lendemain ou à ce qui n’a pas bien fonctionné la veille », prévient Marie-Élisabeth Faymonville. En même temps, cette disponibilité qu’il apporte dans la relation bénéficie au patient comme au praticien. « Le soin se fait beaucoup plus facilement avec moins d’interruptions et d’énervement. » Un véritable avantage pour les chirurgiens-dentistes qui, plus que d’autres, sont exposés au stress de leurs patients. « Le stress du patient pompe la majorité d’entre nous. L’hypnose permet de le gérer, de retourner les situations. Le stress du patient ayant diminué, le nôtre diminue aussi et cela permet d’être mieux à la fin de la journée », constate Claude Parodi, chirurgien-dentiste et formateur en hypnose. En outre, sauf cas exceptionnel, ce praticien ne prévoit jamais de temps supplémentaire pour soigner sous hypnose. « Cela vient dans le soin et fait gagner du temps. » Et d’évoquer le cas d’une patiente qui refusait les soins. « En une demi-heure, j’ai fait 4 sealents comme d’habitude alors que sans l’hypnose, je n’aurais pas pu entrer dans sa bouche et nous aurions palabré des heures ! Bien sûr, il y a des cas où on n’y arrive pas », reconnaît-il.

Technique à risque ?

Mais l’hypnose n’est-elle pas aussi une technique risquée pour les patients ? « Dans les soins, tout outil à notre disposition, que ce soit le médicament, les techniques de communication ou l’hypnose, peut être utilisé dans l’intérêt du patient ou non. Dans les sectes, on utilise l’hypnose », rappelle Marie-Élisabeth Faymonville. Et d’avancer deux points à respecter par le praticien : une formation adaptée et une éthique dans son métier. Autre règle importante pour le soignant, « rester dans son domaine de compétences ». Pas question donc, pour un chirurgien-dentiste, de faire de la « pseudo » psychothérapie ou de soigner une douleur aiguë au genou : « Vous pouvez être dangereux, il faut d’abord un diagnostic. »

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