Endo… autrement
Attaché d’enseignement au DUEEC,
université Paris Diderot-Paris 7
Exercice privé limité à l’endodontie
3, place de Séoul
75014 Paris
Bien que les bactéries aient été mises en cause de manière certaine dans l’étiologie des parodontites apicales [1], cela implique-t-il obligatoirement le recours aux antibiotiques ?
La plupart des infections endodontiques sont le résultat d’une flore mixte des 15 à 30 espèces qui ont été régulièrement mises en évidence dans la majorité des pathologies périapicales. Néanmoins, il n’y a pas nécessairement de...
Bien que les bactéries aient été mises en cause de manière certaine dans l’étiologie des parodontites apicales [1], cela implique-t-il obligatoirement le recours aux antibiotiques ?
La plupart des infections endodontiques sont le résultat d’une flore mixte des 15 à 30 espèces qui ont été régulièrement mises en évidence dans la majorité des pathologies périapicales. Néanmoins, il n’y a pas nécessairement de relation de cause à effet entre la détection d’une espèce qui ne signe que son potentiel à se développer dans le réseau canalaire et sa responsabilité dans l’étiologie de la lésion et des symptômes [2]. L’infection dépend de la rencontre entre les micro-organismes et l’hôte qui influence de manière décisive la susceptibilité à l’infection.
Il y a différents types d’infection endodontique en relation avec différentes flores et symptômes cliniques. L’infection primaire est généralement dominée par des formes anaérobies à Gram négatif souvent associées aux formes symptomatiques, voire aux abcès aigus [3, 4].
L’infection secondaire est liée à des bactéries introduites lors du traitement endodontique. Si les formes de l’infection primaire parviennent à proliférer dans le système endodontique, une infection secondaire peut se développer.
L’infection persistante, constituée de bactéries qui survivent aux procédures endodontiques, est généralement monosouche ou, tout du moins, composée d’un nombre limité de souches généralement à Gram positif [5] et parfois de champignons (du type candidose).
L’infection extracanalaire, beaucoup plus rare et dont la forme la plus commune est l’abcès périapical aigu, est provoquée par des bactéries capables d’échapper temporairement au système immunitaire.
Enfin, l’infection focale, qui a suscité assez récemment un regain d’intérêt, manque cruellement de validation clinique et scientifique qui permettraient de démontrer les conséquences graves, sur l’état général du patient en bonne santé, d’une infection d’origine endodontique. En revanche, il a été prouvé qu’une bactériémie transitoire pouvait être déclenchée après prise en charge thérapeutique d’un traitement endodontique de canaux infectés sans pour autant rendre cette bactériémie forcément responsable de dégâts focaux [6].
En tout état de cause, directement et par l’intermédiaire de produits de dégradation, les bactéries provoquent une inflammation périapicale généralement chronique et parfois aiguë qui déclenche une cascade de réactions aboutissant à la formation d’une lésion inflammatoire périradiculaire d’origine endodontique (LIPOE) constituant une barrière à la propagation de l’infection en créant un équilibre entre agression et défense mais au prix d’un dommage tissulaire.
Cependant, si les processus en jeu sont essentiellement inflammatoires et que les bactéries ne se retrouvent que rarement dans le périapex, le recours aux antibiotiques systématique peut-il alors se justifier ?
Bien que cela paraisse naturellement injustifié, selon une enquête interne de l’American Association of Endodontists (AAE) en 2006, 16 % des endodontistes prescrivent des antibiotiques en cas de pulpite. Ceux-ci n’ont aucun effet antalgique notoire [7] et même s’il y a controverse sur le niveau de pénétration des bactéries au sein du tissu pulpaire [8], il ne s’agit tout au plus que d’une contamination bactérienne et non d’une infection à ce stade.
Bien que la charge bactérienne puisse être élevée, la disparition de l’irrigation sanguine intracanalaire ne laisse aucune possibilité aux antibiotiques de pénétrer le système endodontique sauf, éventuellement, par légère diffusion. La cause de la douleur est donc hors de portée des antibiotiques [9].
Le drainage naturel de la collection, notamment lors des périodes d’activation, assure généralement au patient un certain silence clinique. La prescription est particulièrement injustifiée dans ce cas.
À la suite d’une procédure endodontique, entre 1 et 24 % des patients déclarent ressentir des douleurs modérées à intenses avec ou sans œdème [10]. Ces flambées de douleur, généralement nommées flare-up, sont le résultat de l’activation d’une pathologie pulpaire et/ou périradiculaire initialement asymptomatique après le début ou la conclusion d’un traitement radiculaire (selon le glossaire de l’AAE) justifiant une nouvelle consultation chez un praticien.
Les causes peuvent être liées à des projections péri-apicales de débris contaminés ou à l’effet irritant d’une surinstrumentation ou d’une autre manœuvre iatrogène.
Mais cette éventualité justifie-t-elle une antibiothérapie prophylactique ?
Sur les dents nécrosées initialement asymptomatiques, les études actuelles en double aveugle montrent que l’antibiothérapie prophylactique n’a pas d’effet significatif sur la prévention des flambées de douleur qui restent rares [10].
Les patients ayant des douleurs préopératoires sont généralement plus susceptibles que les autres de ressentir ces flambées de douleur [11]. Cependant, si l’efficacité du traitement local a été clairement démontrée sur les symptômes [12], une prescription d’antibiotiques apporte-t-elle une amélioration supplémentaire ? La question reste discutable compte tenu de la prescription concomitante d’AINS dans la plupart des études mais ne semble pas raccourcir de manière significative la période douloureuse [13].
Une méta-analyse de 35 études sur ce sujet [14] montre clairement que l’accent doit être porté sur le drainage soit par voie canalaire, soit par incision qui reste la méthode la plus efficace dans la gestion des symptômes.
Comme précédemment, les antibiotiques ne se révèlent être d’aucune aide significative supplémentaire aux gestes locaux.
Dans le cas d’un abcès diffus (cellulite) éventuellement accompagné de symptômes généraux (adénopathie, fièvre), les antibiotiques doivent être prescrits en plus du drainage par incision ou par voie endodontique. Cependant, il n’y a pas de molécule qui s’avère significativement meilleure qu’une autre pour cette indication, même si certains pensent que la pénicilline ou de la clindamycine, voire de l’érythromycine associée ou non au métronidazole restent les antibiotiques de choix [13] (fig. 1). Cette indication est particulièrement justifiée dans les formes les plus graves (cellulite orbitaire, endocardite bactérienne, angine de Ludwig).
Bien entendu dans les contextes de pathologie générale, en particulier d’immunodépression, de cardiopathie et de prothèse articulaire, la question d’une prescription antibiotique prophylactique peut se poser.
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) précise que pour la population générale, la plupart des actes invasifs ne nécessitent pas d’antibiothérapie prophylactique. Chez le patient immunodéprimé, l’antibiothérapie prophylactique dépendra des situations cliniques.
Il y a peu encore, les patients avec presque tous les types de malformations cardiaques congénitales devaient prendre des antibiotiques 1 heure avant la réalisation d’un acte dentaire. Cependant, en 2007, l’American Heart Association (AHA) et l’AFSSAPS (aujourd’hui l’ANSM) ont simplifié leurs recommandations. Actuellement, les antibiotiques sont seulement recommandés pour les patients à risque élevé soit qui présentent un fonctionnement anormal des valves cardiaques soit qui sont porteurs d’une prothèse valvulaire, ont un passé d’endocardite, présentent certaines malformations cardiaques congénitales cyanogènes ou ont subi une transplantation cardiaque ou tout autre acte de chirurgie cardiaque.
Chez le patient à haut risque d’endocardite infectieuse, l’antibiothérapie prophylactique est en revanche recommandée et le traitement des dents nécrosées, les reprises de traitement et la chirurgie endodontique restent contre-indiquées.
L’American Academy of Orthopaedic Surgeons (AAOS) a publié un tableau des recommandations de prescriptions prophylactiques pour les patients porteurs de prothèse articulaire et il en ressort que la nécessité des antibiotiques est loin d’être évidente. L’ANSM précise que l’antibiothérapie prophylactique n’est plus indiquée pour les soins bucco-dentaires s’agissant des patients porteurs d’une prothèse articulaire.
Il va sans dire que toutes ces recommandations restent d’ordre général et ne peuvent se substituer au jugement clinique du praticien face à la situation individuelle de chaque patient.
La prescription ne peut donc remplacer l’efficacité de l’acte et, bien que souvent chronophage, la décontamination canalaire doit être soigneuse.
Le nettoyage doit être le plus complet possible et réalisé avec le souci permanent de perméabiliser les canaux tout en évitant une surinstrumentation traumatique pour les tissus périapicaux et pouvant contribuer à la projection de débris contaminés dans la zone osseuse péri-apicale.
Une mise en forme par technique dite de crown-down, en alternance avec une irrigation à l’hypochlorite de sodium et un contrôle régulier et délicat de la perméabilité entre chaque instrument, permet généralement de limiter les projections de débris et facilite la remontée des fluides inflammatoires, voire purulents.
Lorsque le volume de fluide est important, il doit être aspiré soit à la seringue, soit avec des dispositifs plus élaborés (EndoVac®, Sybron Endo), et il peut considérablement perturber la mesure électronique de la longueur de travail qui sera contrôlée radiologiquement.
Il existe une grande variété de médications intracanalaires à base soit d’agents anti-infectieux, de corticoïdes ou d’antibiotiques, soit de leurs mélanges présentés sous la forme galénique de pâtes, de gels ou de fluides ou même de fibres imprégnées [15]. La plus connue reste encore l’hydroxyde de calcium.
Si, en l’absence de symptômes, il convient de privilégier l’obturation immédiate des canaux, dans un contexte douloureux, la temporisation s’impose.
Les antibiotiques en application intracanalaire peuvent paraître théoriquement idéaux, combinant l’effet local prolongé sans les inconvénients de l’absorption systémique. Mais en réalité, considérant la perte parfois rapide d’efficacité, une application interséance de courte durée généralement insuffisante, les perspectives de résistance et de possibles colorations, leur intérêt reste limité. Si l’efficacité sur le plan de la désinfection avant obturation est indéniable pour certaines indications comme la revascularisation, leur capacité à résoudre les symptômes n’est pas meilleure que celle d’un autre produit [16].
Le renouvellement de la médication à base d’hydroxyde de calcium en interséance est nécessaire jusqu’à la disparition des symptômes. Son action demeure controversée surtout à long terme mais elle permet de créer un environnement très alcalin défavorable au développement bactérien à court terme.
Son élimination reste de réputation difficile et alimente la controverse quant à son utilisation, mais elle est facilitée par un rinçage à l’acide citrique et l’activation en général des solutions d’irrigation (sonores ou ultrasonores).
Bien que les antibiotiques aient incontestablement apporté une aide à la résolution d’infections aiguës et sévères depuis leur découverte, leur emploi intensif et quasi systématique en odontologie en particulier s’avère souvent injustifié.
Le constat d’abus de l’emploi des antibiotiques se fait donc essentiellement sur deux critères : les statistiques d’emploi et l’apparition de plus en plus inquiétante de résistances.
La prise de conscience de l’usage abusif des antibiotiques est venue assez rapidement après une ère d’utilisation incontrôlée, devant l’apparition de plus en plus d’effets secondaires et de résistances. Dès la fin des années 1970, on trouve la trace de signaux d’alarme quant à cet usage abusif [17] alors que par ailleurs, on se rassurait sur la sensibilité des germes prélevés dans le système endodontique à diverses molécules antibiotiques [18].
Bien que ces études de sensibilité aux antibiotiques ne constituent aucunement une preuve de l’utilité de leur usage, elles contribuent fortement au maintien des habitudes généralisées de prescription.
Les diverses études sur les habitudes de prescription montrent que même s’il y a eu une diminution substantielle pour certaines indications, la quantité de médicaments prescrits reste encore comparable à celle des années 1970, y compris dans les milieux de spécialistes.
De plus, dans la plupart des situations douloureuses ayant une origine infectieuse, un traitement « local » (traitement endodontique, incision, drainage) permet une résolution sans traitement antibiotique [9].
Déjà observées dès les années 40, les résistances aux molécules sont devenues aujourd’hui un sujet de préoccupation, en particulier avec l’apparition des maladies nosocomiales.
Les mécanismes de résistance sont fondés soit sur la production par les bactéries d’enzymes inhibitrices, soit sur une modification des molécules cibles contre lesquelles les antibiotiques n’ont plus aucun effet, soit sur une modification de leur perméabilité qui empêche le passage ou diminue la concentration intracellulaire des antibiotiques en dessous du seuil d’action.
Ces résistances sont ensuite transférées au niveau génétique par mutation. Ces mutations sont assez rares mais, compte tenu du nombre très élevé de divisions, elles permettent l’apparition fréquente de souches résistantes.
Une étude récente tend à montrer que de nombreuses espèces bactériennes prélevées sur dents traitées avec une pathologie périapicale présentent déjà des résistances au sein de biofilms intracanalaires [19].
L’usage des antibiotiques crée une pression de sélection et les mutations ont d’autant plus de chance de se produire que la dose d’antibiotique est faible et administrée de manière prolongée, ce qui rend particulièrement inquiétant les usages agroalimentaires. Le terme « supermicrobe » est actuellement employé aux États Unis pour les souches contre lesquelles il n’y a actuellement plus aucune molécule antibiotique efficace connue, ce qui révèle une augmentation de la morbidité et de la mortalité des maladies nosocomiales.
La British Society for Antimicrobial Chemotherapy a publié une étude examinant, au Royaume-Uni, la contribution des prescriptions d’antibiotique en odontologie à l’apparition de résistances des bactéries de la flore orale et qui concluait que la prescription inappropriée d’antibiotiques par les chirurgiens-dentistes constituait un facteur significatif de l’augmentation de la pression de sélection et donc de l’apparition de souches résistantes [20].
Au Canada, une enquête de l’American Dental Association, publiée en novembre 2000 et menée auprès de tous les praticiens en fonction, montrait clairement des habitudes de prescription confuses et inappropriées comme un dosage et une durée inadéquats pouvant contribuer au développement de résistances [21].
Le rôle du chirurgien-dentiste qui se sent le plus souvent en dehors de ces préoccupations médicales pourrait être beaucoup plus significatif qu’il ne le pense.
Face à notre préoccupation de soulager nos patients, les antibiotiques s’avèrent généralement inefficaces et leur prescription est non justifiée. Ainsi, certaines recommandations sont de notre ressort et de notre responsabilité en tant que prescripteur.
• gardons en mémoire la nature profondément inflammatoire de la majorité des pathologies pulpaires et périapicales ;
• privilégions l’acte à la prescription ;
• ne minimisons pas notre responsabilité de prescripteur et notre contribution aux résistances ;
• informons nos patients pour les aider à accepter la remise en question d’habitudes dont ils sont souvent aussi, naturellement, demandeurs, voire autoprescripteurs.