Clinic n° 05 du 01/05/2014

 

L’entretien

Anne-Chantal de Divonne  

L’Union nationale patronale des prothésistes dentaires (UNPPD) continue de mener son combat contre la prothèse d’importation et veut fédérer autour d’elle pour promouvoir la prothèse française. Mais l’Union des prothésistes s’inquiète aussi de l’utilisation de machines d’usinage des prothèses dans les cabinets dentaires. Pour l’UNPPD, cette nouvelle forme de concurrence entre prothèsistes et chirurgien-dentistes ne se pratique pas « à armes égales ». Rencontre avec Bernard Detrez, président de l’UNPPD.

Comment se porte la profession ?

La profession doit toujours faire face à l’importation des prothèses. Mais nous voyons aussi apparaître un nouveau phénomène, l’arrivée des machines d’usinage dans les cabinets dentaires.

S’agissant de la prothèse importée, les réglementations n’ont-elles pas assaini le marché ?

Il n’y a pas eu de problème médical jusqu’à présent. Mais les prothèses PIP ne posaient pas de problèmes jusqu’à ce qu’on découvre le scandale ! Je ne dis pas que le risque sur les prothèses dentaires soit le même. Mais nous sommes dans l’incertitude. À l’UNPPD, nous pensons qu’à partir du moment où nous respectons tous les mêmes normes, la concurrence est commerciale. Au moins, nous nous battons avec les mêmes armes. Mais actuellement, nous n’en avons aucune certitude car il n’y a pas de moyens de contrôle efficace pour les prothèses.

Les règles de traçabilité n’ont-elles rien changé ?

Dans un laboratoire français, la traçabilité est claire. La facture prouve que le produit X a bien été acheté et qu’il provient d’un lot bien défini. Nous pouvons produire les documents. Si l’on se place dans une optique patient, ces contrôles sont une bonne chose. Car il est important de savoir ce que l’on met dans sa bouche. Avec les prothèses importées, les contrôles administratifs ne sont pas les mêmes. Les importateurs disent qu’ils ont la norme 9001. Mais comment s’en assurer alors que la prothèse est un produit unique ? Et puis, quelle valeur a l’inscription CE quand on sait que cela veut aussi dire China export

Je souhaiterais que les associations de consommateurs nous rejoignent. C’est aussi à la Sécurité sociale et aux mutuelles de s’exprimer sur ces prothèses d’importation. Si les processus de fabrication étaient les mêmes, la différence ne se ferait plus que sur le coût de la main-d’œuvre. Et dans ce cas, il y aurait des chances pour que l’importation de prothèses devienne moins intéressante compte tenu des frais d’acheminement.

Comment l’UNPPD défend-elle la prothèse française ?

Nous avons réagi en créant des coopératives, c’est-à-dire des groupements de laboratoires. Une des spécificités française est la multiplicité de petites structures de fabrication des prothèses. Nos quelques grosses structures atteignent 100 personnes. Ces groupements d’une vingtaine d’entreprises permettent d’acheter des machines ; chacun des adhérents est actionnaire du groupement. Aujourd’hui, il existe 14 coopératives créées sur ce modèle en France. À terme, nous pensons qu’il pourrait y avoir 200 à 300 groupements dans le pays.

Nous avons aussi mis en place une charte qualité avec nos laboratoires par laquelle nous nous engageons sur des procédés de fabrication et sur la traçabilité. Nous en discutons actuellement avec les syndicats des chirurgiens-dentistes, la CNSD (Confédération nationale des syndicats dentaires) et l’UJCD (Union des jeunes chirurgiens-dentistes), afin de trouver un accord. Car avec les chirurgiens-dentistes, nos obligations sont les mêmes. Notre combat doit donc être le même. Nous sommes en train de mettre en adéquation notre charte qualité et le kit de transparence de la CNSD. Cela montre que nous sommes deux professions connexes et non pas deux professions en opposition comme on a voulu à un moment le faire croire.

Quelles sont aujourd’hui les relations de l’UNPPD avec les chirurgiens-dentistes ?

Les chirurgiens-dentistes sont nos seuls clients. Les patients sont les clients des chirurgiens-dentistes et pas ceux des laboratoires. Nous ne passons que par des professionnels et il n’y a pas de raison pour que nous changions de circuit. Bien sûr, nous aimerions être reconnus comme des professionnels de santé. Mais notre but n’est pas d’être directement en rapport avec le patient. Sauf, bien entendu, si le praticien nous demande de venir prendre une teinte.

Il faut sortir du combat que certains veulent mener. Ils estiment que comme ils fabriquent, ils sont professionnels de santé. Quelques agitateurs veulent la facturation directe au patient. Pour moi, c’est un combat d’un autre temps. Et nous souhaitons dialoguer avec les syndicats de chirurgiens-dentistes.

Quel problème pose pour vous le développement de la fabrication de prothèses dans les cabinets dentaires ?

Un problème de réglementation. Si un chirurgien-dentiste fabrique des prothèses, il faut qu’il soit soumis aux mêmes contraintes que nous. Je pense au respect de la directive européenne qui va bientôt devenir une réglementation, à l’inscription à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui équivaut au titre de fabricant, et aux exigences en matière de traçabilité et d’enregistrement des lots dans les logiciels. D’un autre côté, un chirurgien-dentiste peut-il devenir en même temps un commerçant ? D’un point de vue déontologique, cela devient un peu gênant.

S’il produit juste pour sa propre consommation…

L’acte de commerce existe à partir du moment ou l’on achète de la matière première pour la transformer. Nous allons aborder ce problème avec les syndicats dentaires. C’est en dialoguant que nous trouverons une solution. La concurrence d’accord, à condition de se battre tous avec les mêmes armes.

Il y avait la concurrence déloyale due aux bas salaires. Nous y avons répondu en mettant au point des processus industriels, et cela fonctionne. Nous avons pu baisser ou au moins maintenir les coûts tout en améliorant la qualité. Je pense que si nous nous battons à armes égales avec les chirurgiens-dentistes qui fabriquent leurs prothèses, il deviendra moins intéressant pour eux d’avoir une machine dans leur cabinet dentaire.

Craignez-vous le développement de l’empreinte numérique ?

Si le fichier est envoyé dans un laboratoire, c’est simplement un nouveau type d’empreinte auquel il faut s’adapter. Dans ce cas, l’empreinte optique est juste une révolution qui va dans le bon sens pour le patient puisqu’elle améliore la qualité en supprimant les déformations des empreintes physiques.

Si cette empreinte part en Extrême-Orient sous prétexte que la main-d’œuvre y est moins chère, oui, cela commence à me gêner. Je veux alors être certain que les produits employés et les contrôles sont les mêmes que ce que nous pouvons avoir en France.

EN BREF

L’UNPPD, syndicat majoritaire représentant 38 % des prothésistes dentaires, est seul représentatif de la profession.