ODONTOLOGIE RESTAURATRICE
Geneviève GRÉGOIRE* Mathieu DELANNÉE** Marie-Paule LACOMBLET***
*Professeur des Universités,
praticien hospitalier
Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse Cedex 4
**Assistant hospitalo-universitaire
Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse Cedex 4
***Technicienne
Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse
3, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse Cedex 4
Les fabricants ont récemment mis au point des systèmes adhésifs universels ou multimodes qui peuvent être utilisés soit après application d’un gel de mordançage, soit directement en automordançants. Ces produits, de même que leur conception, sont nouveaux. Ils donnent à l’utilisateur la possibilité de choisir librement la manière de conditionner les tissus dentaires selon la situation clinique.
Un des enjeux de la dentisterie restauratrice est de recréer le scellement périphérique de la dentine qui existait avant la pathologie de la dent, grâce à la présence de l’émail sur la dentine coronaire et du cément sur la dentine radiculaire. La résine adhésive va permettre de sceller la dentine en créant une interface étanche.
Le praticien a le choix entre plusieurs principes de systèmes adhésifs : ceux qui sont précédés d’un mordançage à l’acide phosphorique ou ceux qui sont automordançants et adhésifs, dits universels, mis au point récemment.
Ces nouveaux adhésifs peuvent être utilisés avec un protocole d’adhésif à mordançage préalable ou un protocole d’automordançant. Leur concept est nouveau. Leur avantage vient du fait qu’un adhésif, qui peut être appliqué selon les deux protocoles, permet au chirurgien-dentiste de décider, en fonction du cas clinique et de la cavité réalisée, quel type de matériau de restauration il va utiliser et comment il va conditionner les tissus dentaires pour obtenir un résultat optimisé.
Les deux tissus dentaires concernés par les adhésifs, l’émail et la dentine, sont fondamentalement différents : l’émail est constitué de 95 à 96 % de minéral, de 1,7 % de protéines et de 2,3 % d’eau, alors que la dentine est constituée de 69 % de minéral, de 17,5 % de protéines et de 13,2 % d’eau.
L’adhésion sur l’un ou l’autre fera forcément appel à des mécanismes distincts [1]. Il y aura toujours recherche de rétention micromécanique, que ce soit sur une surface amélaire ou dentinaire, mais aussi adhésion chimique entre phase minérale et adhésif et, en plus pour la dentine, besoin d’une interpénétration du faisceau de collagène par la résine de l’adhésif.
Les systèmes adhésifs à mordançage préalable ont une action remarquable sur l’émail en particulier. Mais leur limite est la difficulté pour l’opérateur d’obtenir un émail sec garant d’une bonne étanchéité marginale et, surtout, une dentine humide mais non « mouillée ». En effet, un séchage trop appuyé entraîne un collapsus des fibres de collagène qui sont alors impénétrables par la résine et, à l’inverse, un excès d’eau signifie la formation de lacunes au sein de l’interface.
Par ailleurs, la pénétration de la résine peut ne pas aller jusqu’au front de déminéralisation réalisé par l’acide, d’où des sensibilités postopératoires.
Les adhésifs automordançants, qu’ils soient à deux ou une étapes, présentent des caractéristiques (tableau 1) qui les feront choisir pour de nombreux cas cliniques [2-4].
Différentes hypothèses ont été proposées de façon à bénéficier des avantages des deux protocoles :
• mordancer les bords de l’émail à l’acide phosphorique avant l’application d’un adhésif automordançant [5-7], mais, dans les lésions cervicales non carieuses notamment, ce protocole n’améliore en rien l’adhésion des adhésifs automordançants, comme l’ont démontré Perdigão et al. [8] et Peumans et al. [9]. L’hypothèse évoquée pour cette absence de résultat est que le clinicien peut, par inadvertance, mordancer la dentine, surtout s’il utilise un gel de mordançage de basse viscosité. Il y a maintenant un consensus sur le fait que les forces d’adhésion diminuent quand les adhésifs automordançants sont appliqués sur une dentine déjà mordancée par de l’acide phosphorique [9, 10]. Plusieurs auteurs ont expliqué cette baisse d’adhésion par une mauvaise infiltration du collagène par la résine de l’adhésif [11-13]. Certains opérateurs également sèchent l’émail pour obtenir une surface appropriée mais bien entendu, par cette manœuvre, ils sèchent aussi la surface dentinaire. Il en résulte une mauvaise infiltration du collagène par la résine de l’adhésif, ce qui conduit à une dégradation du joint par hydrolyse et une diminution de la longévité de l’étanchéité de la restauration [9] ;
• mordancer volontairement la dentine avant l’application d’un adhésif automordançant. Les résultats sont controversés [12, 14-16]. Ils sont en fait très dépendants du système adhésif utilisé [11]. En particulier, le risque vient du fait que l’acide phosphorique déminéralise la dentine sur une profondeur plus importante que celle que l’adhésif automordançant viendra ensuite pénétrer. Il y a alors une interface non étanche avec hiatus et, cliniquement, des sensibilités postopératoires.
L’intérêt des adhésifs universels, ou multiprotocoles, consiste donc dans le fait, comme nous l’avons dit, qu’ils permettent à l’opérateur de placer le système adhésif soit avec une approche entièrement « automordançant » soit avec « mordançage préalable » [17-20].
Le choix se fera en fonction du cas clinique qui permettra à l’opérateur d’estimer quel est le protocole le plus adapté. Par exemple, pour les restaurations nécessitant une forte adhésion amélaire ou lorsqu’on est en présence d’une dentine sclérotique, on préférera une technique avec mordançage préalable. En effet, appliquer un gel de mordançage permet de moduler le temps d’application et donc de l’augmenter quand on est en présence d’une dentine très minéralisée. Avec un adhésif automordançant, on ne bénéficie plus de cette possibilité car on ne maîtrise pas la durée de l’action de mordançage.
En revanche, dans les situations cliniques de restaurations postérieures où il peut y avoir des difficultés de manipulation (accès difficile, temps de travail court, patient coopérant difficilement – en particulier un enfant…), il est préférable de bénéficier pleinement des avantages d’une technique automordançante.
Nous avons évalué un système adhésif universel avec ses deux stratégies de collage : avec ou sans mordançage préalable.
Pour ce test, nous avons choisi le Futurabond U (Voco) (tableau 2) pour évaluer l’influence éventuelle de ces différents modes d’application sur les résultats attendus.
Nous avons choisi d’étudier la variation de perméabilité dentinaire obtenue avec les deux protocoles. Cette méthode permet de prévoir la qualité de la future interface entre dentine et composite de restauration. Pour cela, nous avons mesuré la perméabilité dentinaire par conductance hydraulique de dentine provenant de dents de sagesse extraites pour pathologie de l’évolution.
Pour chaque protocole d’utilisation du Futurabond U, nous avons testé 10 échantillons (tableau 3). Les échantillons sont des tranches de dentine de 1 mm d’épaisseur préalablement obtenues par découpe des dents de sagesse [21-28].
La technique utilisée compare la perméabilité dentinaire avant et après la mise en place du système adhésif. L’application du système adhésif va obturer une partie des tubules dentinaires, entraînant une diminution de la perméabilité dentinaire initiale qui sera plus ou moins importante en fonction du niveau de collage de l’adhésif : plus cette perméabilité est basse, plus le collage est important et donc étanche. Chaque tranche de dentine non traitée possède une perméabilité différente car de nombreux facteurs font varier la perméabilité dentinaire (âge du patient, nombre et diamètre des tubules, minéralisation, etc.), raison pour laquelle les résultats sont donnés en pourcentage de diminution de la perméabilité en fonction de la perméabilité initiale de chaque échantillon (fig. 1).
Les résultats de l’étude sont donnés dans le tableau 4 et la figure 2.
Lorsqu’il est utilisé avec mordançage préalable, le Futurabond U diminue la perméabilité dentinaire de 47,4 % et, lorsqu’il est utilisé en automordançant, il la réduit de 50,0 %.
Cette étude a été suivie d’une analyse statistique avec test a posteriori pour comparer ces valeurs.
Les résultats avec la méthodologie utilisée ne montrent pas de différences entre les deux protocoles. Le test a posteriori de Duncan (bien que les protocoles obtiennent – 50,0 % pour l’un et – 47,4 % pour l’autre) prouve que cet écart de valeurs n’est pas significatif (p > 0,05).
Il est intéressant pour le lecteur de comparer ces valeurs avec celles que nous avons obtenues pour l’ensemble des systèmes adhésifs automordançants testés dans nos précédentes publications [1-9] (fig. 3).
Elles vont de – 16,3 à – 68,9 % en efficacité de diminution de perméabilité. Les valeurs de diminution de perméabilité obtenues par le système adhésif testé dans cette étude font partie de la fourchette haute obtenue par les systèmes adhésifs automordançants.
Ce positionnement est vrai pour le protocole automordançant mais également pour celui à mordançage préalable, où les résultats sont très souvent moins optimaux du fait de l’ouverture des tubules par l’acide phosphorique [29-31].
Notre étude permet d’affirmer que les deux stratégies de collage ne présentent pas de différences significatives et que chacune assure une herméticité satisfaisante.
Les systèmes adhésifs universels récemment mis au point permettent une variété et une flexibilité d’utilisations cliniques.
Les résultats d’études déjà effectuées montrent leurs bonnes performances quel que soit le protocole, pour obtenir une adhésion et une étanchéité satisfaisantes.
Des études cliniques évaluent actuellement le comportement de ces systèmes à long terme [7].