ENDO…AUTREMENT
Pierre-Yves COUSSON* Martine HENNEQUIN**
*MCU-PH
CHU Clermont-Ferrand – Service d’odontologie
Hôtel-Dieu
63000 Clermont-Ferrand
**PU-PH
Clermont Université
Université d’Auvergne, EA 4847
Centre de recherche en odontologie clinique
BP 10448 – 63000 Clermont-Ferrand, France
La lésion apicale est une pathologie complexe que nous avons précisément décrite sur le plan physiopathologique récemment dans notre rubrique (voir Clinic, novembre 2013:527-533). L’attitude thérapeutique à adopter n’a rien de systématique et ne fait l’objet d’aucun consensus. Dans cet article d’Endo… Autrement, deux auteurs de l’université de Clermont-Ferrand présentent une approche intelligente pour une réflexion pragmatique autour de ces situations complexes et proposent des arbres décisionnels qui pourraient faire jurisprudence en la matière.
Différentes études épidémiologiques transversales rapportent que la prévalence des lésions apicales d’origine endodontique (LOE) varie de 40 à 68 % pour les dents traitées selon les pays [1-4]. En France en 2002, les examens de radiographies panoramiques ou périapicales de patients fréquentant le service d’odontologie à Nice et à Paris ont permis d’évaluer respectivement l’état périapical de 1429 et 1026 dents traitées, et établissent une prévalence de 30 % [5, 6]. La plupart des auteurs de ces publications utilisent ces données pour justifier la reprise systématique du traitement endodontique lorsque le traitement ne répond pas aux critères académiques définis par la HAS. Des études récentes permettent de discuter les indications systématiques de reprise de traitement face à une lésion apicale d’origine endodontique. Cet article vise à faire le point sur ces données bibliographiques et à préciser pourquoi et comment il faut suivre les lésions d’origine endodontique.
Une lésion apicale d’origine endodontique correspond à une réponse inflammatoire chronique du périapex. Anatomiquement, c’est une conséquence extraradiculaire d’une infection bactérienne intracanalaire qui, histologiquement, correspond au développement d’un tissu granulomateux ou kystique [7]. Cette réponse inflammatoire est entretenue par la persistance du processus infectieux. Ainsi, la lésion apicale d’origine endodontique révèle l’état d’un équilibre entre la persistance de stimuli inflammatoires et la réponse de l’hôte à ces stimuli. C’est donc un phénomène dynamique pouvant passer d’une phase de quiescence à des phases aiguës avec l’apparition d’une symptomatologie clinique ou radiologique.
Toutes les dents non traitées qui présentent une lésion apicale d’origine endodontique et celles qui sont déjà traitées et qui présentent une symptomatologie aiguë doivent systématiquement faire l’objet d’un traitement endodontique immédiat. Ainsi, le problème de l’évolution potentielle d’une lésion apicale d’origine endodontique ne concerne que les dents traitées endodontiquement et qui sont asymptomatiques cliniquement.
Quelques publications récentes suggèrent que la lésion apicale d’origine endodontique pourrait contribuer au développement d’une inflammation systémique par la mise en place d’une réaction immunitaire acquise et innée. Une étude montre que le processus inflammatoire périapical entraîne, au niveau sanguin, la libération de certaines molécules de l’inflammation telles que la protéine C réactive, les interleukines (IL) 1, 2 et 6, le diméthyl arginine asymétrique (DMAA) ainsi que les immunoglobulines A, G et M [8]. D’autres études tendent à souligner que la lésion apicale d’origine endodontique pourrait présenter des comorbidités avec certaines maladies systémiques telles que les maladies cardio-vasculaires et le diabète du fait de l’état d’inflammation chronique [1, 9-11]. Ce phénomène serait lié à l’activité de la lésion. La lésion apicale d’origine endodontique étant un processus actif, il est important d’en évaluer la dynamique et de préciser quels critères cliniques ou radiologiques permettent cette évaluation, afin de justifier l’indication de reprise de traitement.
L’évaluation de la dynamique de la lésion ne peut se faire que par comparaison des limites anatomiques de la lésion apicale d’origine endodontique entre 2 clichés radiologiques réalisés avant et après une période de suivi. La morbidité d’une telle lésion peut être caractérisée par l’évolution de l’indice périapical (communément désigné par son sigle anglais PAI, pour peri-apical index) s’échelonnant de 1 (périapex sain) à 5 (présence d’une lésion apicale d’origine endodontique avec des signes cliniques exacerbés) [12]. De nombreux auteurs rapportent que la sensibilité de cette évaluation dépend de la technique radiologique. En effet, l’imagerie bidimensionnelle issue du cliché rétroalvéolaire est une procédure de routine, simple, peu irradiante, peu invasive, peu onéreuse et accessible à tout praticien. Bien que sa faible sensibilité par rapport à la tomographie volumique par faisceau conique (cone beam computed tomography, CBCT) présente un désavantage pour la détection des lésions apicales d’origine endodontique, elle reste une procédure fiable pour l’évolution des lésions apicales d’origine endodontique sans signes cliniques puisqu’il s’agit alors d’évaluer non pas l’existence de la lésion mais l’évolution de la radioclarté apicale. Dans cette situation, le risque pris par le praticien qui choisit la radiographie bidimensionnelle est en fait de détecter l’évolution de la lésion apicale d’origine endodontique plus tardivement que s’il comparait 2 images produites par tomographie. Ainsi, le recours au suivi par CBCT peut se révéler utile, en cas de doute sur l’évolution d’une lésion apicale d’origine endodontique, pour mettre en place un suivi de courte durée, par exemple si les signes d’un état inflammatoire systémique apparaissent entre 2 contrôles radiologiques.
Quoi qu’il en soit, que les images des lésions apicales d’origine endodontique soient bidimensionnelles ou tridimensionnelles, leur interprétation diffère selon les auteurs et deux courants de pensée existent. Certains auteurs considèrent qu’une lésion apicale d’origine endodontique est une maladie qui n’est guérie que lorsque l’image radioclaire apicale a totalement disparu après une période de suivi donnée [13]. Ce concept implique que le succès du traitement endodontique soit nécessairement associé à l’absence de la maladie, donc de lésion apicale d’origine endodontique, et que par conséquent, lorsque l’image diminue de volume sans disparaître totalement, la lésion apicale d’origine endodontique soit simplement considérée comme étant en voie de guérison. Cette situation implique des périodes de suivi très importantes, l’intervalle le plus souvent préconisé étant d’au moins 4 ans [14]. Cependant, pendant ces longues périodes, des événements concomitants, altérant l’étanchéité coronaire, peuvent survenir, favoriser la recontamination canalaire et on ignore alors si l’on évalue la réussite du traitement endodontique ou l’échec de la restauration coronaire.
D’autres auteurs considèrent qu’il est inutile d’attendre la disparition totale de l’image radioclaire pour évaluer le processus inflammatoire puisque ce processus est lié à l’expansion de la lésion apicale d’origine endodontique. Ce concept est fondé sur plusieurs travaux qui mettent en évidence :
• que la majorité des changements au niveau radiologique survient dans les 6 mois suivant la réalisation du traitement endodontique ;
• que le pic d’incidence est à 1 an et que passé ce délai, seules quelques modifications surviennent [15] ;
• que la guérison des lésions périapicales préexistantes est plus prononcée dans un délai variant de 3 mois à 2 ans [16]. Ces auteurs considèrent le traitement endodontique comme « efficace » dès que la taille de la lésion diminue après un suivi de 1 an [17] et comme « inefficace » si la lésion a augmenté de volume. Si elle n’a pas changé de taille après cette période, le traitement endodontique est considéré comme « incertain » ; il est alors nécessaire de prolonger la période de suivi d’une année supplémentaire et de réaliser ensuite un nouveau contrôle. En pratique, le recours à la classification « efficace/incertain/inefficace » apporte un support argumenté à la décision de reprise de traitement et permet de réduire le nombre de retraitements inutiles. De plus, lorsque les délais d’une procédure de suivi sont courts, les patients respectent mieux l’application du traitement que dans le cas contraire. Ainsi, en l’absence de signes cliniques et sans modification de la taille de la lésion, il n’y aurait aucune indication systématique à reprendre un traitement endodontique (fig. 1). La seule indication qui le ferait reprendre serait l’apparition d’une symptomatologie clinique ou l’augmentation de la taille de la lésion après une période de suivi de 1 an.
Les données évoquées ci-dessus permettent de proposer des critères de décision pour guider le praticien qui vient de diagnostiquer une lésion apicale d’origine endodontique. Les figures 2 et 3 rassemblent ces critères sous forme d’arbres décisionnels qui prennent en compte la symptomatologie pulpaire et/ou périapicale, la cinétique de la lésion et le type de reconstitution coronaire.
La décision est de réaliser le traitement endodontique en raison de la présence d’un foyer infectieux chronique lié à la nécrose de la pulpe de la dent causale et à l’existence de bactéries intracanalaires.
Le choix du retraitement endodontique dépend de la symptomatologie clinique et radiologique ainsi que du type de reconstitution.
Si la dent présente une symptomatologie clinique, alors il convient de réaliser le retraitement endodontique. En effet, cela signifie qu’on est en présence d’une lésion active liée à la présence de bactéries intracanalaires. Le suivi radiologique régulier de cette dent s’impose ensuite.
Si la dent est asymptomatique cliniquement, la présence d’une image radiologique à un instant donné ne permet pas de connaître la dynamique de la lésion, c’est-à-dire de savoir si elle est en voie de régression ou d’apparition. Ainsi, il serait nécessaire d’inclure le patient dans un suivi au terme duquel sera décidée l’attitude clinique :
• Si, au bout de 1 an, la lésion a augmenté de volume, il convient de faire le retraitement endodontique ;
• Si elle n’a pas évolué, il faut poursuivre le suivi radiologique tous les ans et s’abstenir de tout retraitement.
Si la dent est asymptomatique mais qu’elle nécessite une intervention prothétique, la situation est beaucoup plus complexe. L’un des éléments dont il faut tenir compte est l’indication d’une reconstitution corono-radiculaire :
• Si la restauration implique un ancrage radiculaire, il faut prendre en compte la qualité du traitement endodontique ;
• Si ce dernier ne répond pas aux critères académiques de qualité, alors il convient de faire le retraitement.
Si la reconstitution n’indique pas la réalisation d’un ancrage radiculaire, alors il est possible de s’abstenir de reprendre le traitement et procéder à la restauration coronaire.
Quel que soit le choix, le patient doit faire l’objet d’un suivi radiologique permettant d’évaluer la dynamique de la lésion.
Une lésion apicale d’origine endodontique est un phénomène inflammatoire qui se développe en réponse à une infection intracanalaire et qui participe à la réponse immunitaire systémique. À ce titre, elle doit être traitée dans les situations où le praticien a établi le risque de morbidité qu’elle représente. Ce risque est directement lié à la dynamique de la lésion, elle-même caractérisée soit par des signes cliniques, soit par une évolution de sa taille. Ainsi, en l’absence de signes cliniques, une simple image radiologique de lésion apicale d’origine endodontique ne suffit pas pour indiquer un retraitement endodontique, et la morbidité d’une telle lésion sans signes cliniques ne peut être établie qu’après mise en évidence radiologique de son augmentation de taille au cours d’une certaine période de suivi. Le non-respect de ce critère induit un surtraitement avec des conséquences individuelles, liées au risque d’échec augmenté du retraitement, et médico-économiques, tant individuelles que sociétales. L’arbre décisionnel établi ici propose au praticien une aide à la prise de décision thérapeutique face au diagnostic d’une lésion apicale d’origine endodontique.