Clinic n° 02 du 01/02/2014

 

ESTHÉTIQUE

Éric BONNET  

792, RN 6
69760 LIMONEST
bonnet.e@wanadoo.fr

Blanchir, toujours et encore blanchir : des mots qui résonnent quotidiennement dans la presse, parmi les médias ou dans nos cabinets pour tenter de satisfaire des patients souvent trop exigeants. L’attente de nos contemporains vis-à-vis de ces techniques est très, voire trop importante : on veut des dents de plus en plus blanches, très alignées et vraiment longues ! L’esthétique ne serait-elle pas devenue une nouvelle pathologie dentaire ? En effet, la tentative de normalisation, voire de clonage, de la beauté impliquerait qu’un traitement bucco-dentaire soit susceptible à lui seul de résoudre l’ensemble des problèmes esthétiques. En d’autres termes, pouvons-nous donc prétendre modifier ou corriger l’esthétique au sens large par un simple éclaircissement ?

La modification de couleur d’une dent n’est qu’un des nombreux éléments au sein des critères esthétiques [1]. Lors d’un plan de traitement global, il devient indispensable de fixer les différentes étapes puis d’ordonner dans le temps l’ensemble des thérapeutiques permettant d’accéder aux objectifs fixés en collaboration avec le patient.

Actuellement, il est aussi indispensable de raisonner en termes de préservation des tissus dentaires, et c’est là que les techniques d’éclaircissement prennent toute leur place au sein du concept de gradient thérapeutique [2].

Pour compliquer un peu la situation, une nouvelle réglementation européenne vient d’arriver, fixant ainsi les possibilités de traitement des dyschromies dentaires.

À travers cet article, nous allons donc tenter d’« éclaircir » cette situation de telle sorte que nous puissions nous y retrouver dans cette jungle des produits de blanchiment et des protocoles qui les accompagnent.

Pour pouvoir comprendre les modes de fonctionnement de l’éclaircissement et les produits qui le génèrent, il semble nécessaire de répondre à de simples questions.

Quelles sont les différentes indications des traitements d’éclaircissement ?

L’acte le plus difficile dans un plan de traitement « esthétique », et plus précisément dans un éclaircissement, se limite souvent à poser une bonne indication. En raison de sa définition, « blanchir » une dent demeure un acte simple : action de rendre blanc. Mais « éclaircir » devient une intervention plus explicite : il s’agit de transformer des molécules foncées en molécules plus claires. À partir de cette définition, il est plus aisé d’expliquer à nos patients les actions attendues ainsi que les limites de nos traitements.

Inversement, si nous partons de la définition du blanchiment, les attentes du sujet traité ne sont plus du tout les mêmes : il s’agit ici de transformer une structure soit-disant foncée en une structure dont la couleur doit se rapprocher du « blanc » ; le niveau d’exigence n’est plus du tout le même.

Une explication « claire » permettra d’atteindre les objectifs communs fixés entre le patient et le praticien afin d’éviter des conflits ultérieurs.

Revenons à nos indications : plus la dent sera d’un « jaune » uniforme (teinte A3.5, A4-B3, B4 ; teintier Vita Classic), plus l’éclaircissement sera efficace. On vient de transformer une dent jaune foncée en une dent jaune claire… se rapprochant du « blanc ». En revanche, si nous partons d’une dent « grise » (teinte C3-C4 ; teintier Vita Classic), on part d’un gris foncé pour aller vers un gris clair ; ce résultat obtenu est loin d’être celui qu’espérait notre patient. Si nous souhaitons éclaircir des dyschromies hétérogènes (du type fluorose ou tétracyclines), il devient indispensable d’être très réservé sur le pronostic attendu. On se rend compte à cet effet que plus on a affaire à des colorations pathologiques, plus le niveau d’exigence du résultat est élevé.

Comment fonctionnent les produits d’éclaircissement et quels sont-ils ?

Le mode d’action des produits d’éclaircissement est bien connu.

Le seul produit qui éclaircit les dents est le peroxyde d’hydrogène, communément appelé eau oxygénée (ou H2O2). Son action va se faire sur les pigments (ou chromophores) contenus dans la dent. Ces particules plus ou moins colorées sont non seulement des éléments contenant des doubles liaisons mais aussi et surtout des composés organiques.

Le peroxyde d’hydrogène a le pouvoir de générer des radicaux libres très instables qui vont s’attaquer aux doubles liaisons des pigments organiques [3]. On le trouve sous différentes formes :

• en poudre, avec le perborate de sodium qui sera utilisé sur les dents dépulpées ;

• en gel avec, par exemple, le peroxyde de carbamide que l’on trouve à différentes concentrations, pour une utilisation dans le traitement des dents vitales. Les concentrations rencontrées sont les suivantes : de 10 à 16 % pour une utilisation en ambulatoire et à l’opposé, de 35 à 40 % pour une utilisation au fauteuil. Il existe bien sûr des concentrations intermédiaires.

Quel que soit le produit utilisé, en se dissociant, le produit final sera du peroxyde d’hydrogène. Pour information, une concentration de peroxyde d’hydrogène à 10 volumes (soit 3,3 % en poids sec environ) correspond à du peroxyde de carbamide à 10 %.

L’action du peroxyde d’hydrogène repose sur deux facteurs principaux : la concentration utilisée, en rapport avec son temps de contact avec la surface dentaire. Pour simplifier, plus la concentration choisie sera élevée, plus le temps de contact sera court [4, 5].

Il reste un dernier élément important à signaler : la notion de point de saturation. En effet, pour prétendre obtenir un résultat stable et reproductible, il convient d’atteindre ce point de saturation. Pour y arriver, il est nécessaire d’oxyder l’intégralité des pigments colorés contenus dans la dent et, donc, d’utiliser suffisamment de peroxyde d’hydrogène pour cela.

Qu’en est-il de la législation actuelle sur les produits de « blanchiment » et quelles en sont les conséquences thérapeutiques ?

Après de nombreuses discussions sur le sujet des concentrations que la profession dentaire pouvait utiliser, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a pris une position très ferme sur le sujet, avec une décision de police sanitaire. Selon sa décision du 9 juillet 2013, avec une publication au Journal officiel (n° 0184) du 9 août 2013 [6-8], il n’est possible d’utiliser que des concentrations de peroxyde d’hydrogène (ou produit équivalent) comprises entre 0,1 et 6 % : « La mise sur le marché, la distribution, l’exportation, l’importation, la fabrication, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit et l’utilisation de produits mis sur le marché sous le statut de dispositifs médicaux, destinés à être utilisés sur la face externe des dents en vue de les blanchir ou de les éclaircir, et dont la concentration en peroxyde d’hydrogène (présent ou dégagé) est supérieure à 6 %, sont interdites. »

Concrètement, les produits dont la concentration en peroxyde d’hydrogène est inférieure à 0,1 % sont des cosmétiques et peuvent être vendus directement au grand public. Les « bars à sourire » ne peuvent donc pas distribuer des produits dosés à plus de 0,1 %.

Les produits à usage externe dont la concentration en peroxyde d’hydrogène est comprise entre 0,1 et 6 % sont également considérés comme des cosmétiques. Ils ne peuvent être vendus qu’aux seuls professionnels de l’art dentaire et utilisés par le consommateur que sous leur contrôle. Ces produits sont interdits à la vente directe au grand public.

Les produits destinés à être utilisés sur la face externe des dents en vue de les éclaircir, et dont la concentration en peroxyde d’hydrogène (présent ou dégagé) est supérieure à 6 % sont interdits. Enfin, les produits destinés à un usage interne (donc sur dents dépulpées), dont la concentration en peroxyde d’hydrogène est supérieure à 6 %, sont des dispositifs médicaux qui peuvent être vendus aux professionnels de l’art dentaire et utilisés exclusivement par eux, dans leur cabinet, sur les patients.

En bref, seule une utilisation en ambulatoire reste possible actuellement pour éclaircir des dents.

À l’heure où nous publions cet article, le Conseil de l’Ordre des chirurgiens-dentistes souhaite exercer un recours contre cette décision qui ne fait pas l’unanimité au niveau européen. En effet, il se pose notamment le problème du traitement des dyschromies sévères (comme celles dues aux tétracyclines et celui des fluoroses…) qui nécessitent des concentrations bien supérieures à 6 % de peroxyde d’hydrogène.

Quelles sont les différentes techniques de traitements d’éclaircissement ?

Traitement des dents dépulpées

Les indications de traitement des dents dépulpées sont relativement bien codées : dents ayant subi un traumatisme, dents nécrosées, dents ayant subi une hémorragie pulpaire, dyschromies d’origine iatrogène (fig. 1 et 2).

Mais, dans tous les cas, il faut que les dents aient conservé du substrat dentinaire, donc de la matière organique, pour être susceptibles d’être éclaircies [9].

Le produit utilisé sera le perborate de sodium qui sera mélangé avec de l’eau pour obtenir un mélange du type crème fraîche épaisse. Ce mélange sera placé dans la chambre pulpaire de la dent concernée, après avoir au préalable positionné un ciment (du type ciment verre ionomère modifié par adjonction de résine par exemple) au niveau du tiers coronaire de la racine : le rôle de ce ciment est de protéger une zone sensible représentée par la jonction amélo-cémentaire. Une diffusion trop importante de radicaux libres à ce niveau serait susceptible d’induire des résorptions cervicales externes [10, 11]. Un pansement étanche fermera cette préparation [12]. Le produit sera laissé en place pendant 3 semaines et renouvelé si besoin, surtout dans le cas de colorations chroniques (fig. 3). Une fois le résultat obtenu, il est nécessaire de réaliser une obturation coronaire de qualité, à l’aide de résine composite, pour réaliser une consolidation de la dent et éviter une infiltration secondaire de substances colorantes : cette obturation se fait à distance de la dernière séance d’éclaircissement, à savoir une semaine après (fig. 4 et 5).

En 1 ou 2 séances, un résultat probant est obtenu dans la plupart des cas. Au-delà de 4 séances, il ne faut pas espérer une amélioration du résultat.

Se pose aussi la question de la stabilité dans le temps d’un tel traitement : celle-ci est bonne pendant 3 à 5 ans, en moyenne. En fait, plus le sujet est jeune, plus la récidive est courte, et inversement pour un sujet âgé : il faut donc toujours tenir compte du degré de minéralisation du patient lorsqu’on commence un éclaircissement interne. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un traitement temporaire.

Traitement des dents pulpées

Technique ambulatoire

Il s’agit de la technique communément utilisée par l’ensemble des praticiens. Décrite dès 1989, elle possède un recul scientifique important [13]. Elle est simple à mettre en œuvre, surtout lorsque les indications sont bien posées.

En ce qui concerne les indications, comme nous l’avons dit plus haut, plus les dents seront « jaunes » et uniformes, plus le résultat sera prévisible. Plus les dyschromies seront sévères et hétérogènes au sein d’une même dent, plus le pronostic de ce type de traitement devra être réservé.

Qui dit indications dit également contre-indications : une hypersensibilité initiale, la femme enceinte, les enfants de moins de 18 ans et les altérations de surface de la dent représentent des contre-indications (absolues ou relatives).

Sur le plan technique, il faut réaliser des empreintes à l’alginate des deux arcades, couler les modèles en plâtre dur, faire des réservoirs sur les dents à éclaircir et thermoformer deux gouttières. Dans un premier temps, on réalise l’éclaircissement au niveau maxillaire suivi immédiatement de l’éclaircissement à la mandibule [14]. On travaille ici avec un port nocturne de ces gouttières, à l’aide de peroxyde de carbamide dont la concentration varie de 10 à 16 %. Une durée moyenne de 1 mois de traitement (pour des dents « jaunes ») (fig. 6 à 10) permet de donner un résultat satisfaisant, stable et reproductible. En revanche, il s’agit là encore d’un traitement temporaire qui nécessite un entretien tous les 2 ans environ pour garder une luminosité satisfaisante (fig. 11 à 13).

Une remarque particulière peut être faite sur le traitement des dents antérieures calcifiées (fig. 14) : lorsqu’on est en présence de colorations unitaires importantes sur des dents asymptomatiques, on peut proposer de réaliser un traitement unitaire de la dent concernée, avec une gouttière et un réservoir qui intéresse « la » dent dyschromiée (fig. 15). Tout comme les traitements sur dents pulpées, il s’agit d’un traitement qui demande lui aussi un entretien régulier ; par contre, cette technique respecte parfaitement l’intégrité des tissus dentaires (fig. 16).

Technique au fauteuil (pour information…)

Comme son nom l’indique, le traitement est ou, plutôt, était réalisé au fauteuil, au cabinet. On utilisait des concentrations de peroxyde beaucoup plus importantes (de l’ordre de 30 %). Mais, avec la législation actuelle (une concentration de 6 % maximum), la technique au fauteuil est devenue obsolète.

Considérant le rapport concentration/temps de contact, on aura dans ce cas un temps de contact court avec des concentrations fortes.

Le principe de fonctionnement était le suivant : après avoir isolé les muqueuses selon les recommandations préconisées par chaque fabricant, on déposait le produit sur les dents, produit que l’on renouvelait en moyenne toutes les 15 minutes, et ce 3 fois en moyenne par séance. La plupart des techniques au fauteuil utilisaient des activateurs du peroxyde d’hydrogène, à savoir la chaleur et la lumière, raison pour laquelle on employait des lampes (UV, LED…) pour augmenter la réaction d’oxydation et éclaircir ainsi plus rapidement. En 1 ou 2 séances au fauteuil, on pouvait parfaitement déclencher un éclaircissement.

Le principal problème de cette technique était qu’elle induisait beaucoup plus d’hypersensibilités que la technique ambulatoire, ces hypersensibilités étant directement dépendantes de la concentration utilisée. Il ne faut pas oublier que toutes ces sensibilités étaient transitoires et, donc, qu’elles cessaient avec l’arrêt du traitement [15].

Si l’on utilisait uniquement une technique au fauteuil, il était impossible d’atteindre le point de saturation. Le résultat était donc moins « blanc » et surtout moins stable dans le temps.

Techniques combinées

Pour résoudre ce dernier problème, les techniques combinées avaient apporté une solution. On commençait par une séance au fauteuil qui était immédiatement suivie par la technique ambulatoire.

Cela permettait de diminuer le temps de traitement tout en garantissant un résultat plus stable dans le temps. Dans ce cadre-là, on divisait le temps de traitement par deux par rapport à une technique ambulatoire.

Conclusion

Comme nous l’avons vu tout au long de l’article, le seul produit qui éclaircit les dents reste le peroxyde d’hydrogène. Quels que soient les dérivés pour lesquels on opte, le produit final sera toujours de l’eau oxygénée. Seule la concentration et le temps de contact seront les facteurs importants dans le choix de la thérapeutique. En résumé, il s’agit bien d’un rapport temps de contact/concentration pour obtenir une efficacité dans un traitement d’éclaircissement.

On est donc en présence d’un traitement simple mais rigoureux. De l’indication au traitement, il ne faut jamais rien oublier… sous peine de ne pas atteindre les objectifs fixés.

Il est important de signaler que les patients désirent non seulement des résultats « blancs » mais aussi des traitements stables et reproductibles ! Il faut donc bien les prévenir qu’il s’agit d’un traitement temporaire qui nécessite un entretien régulier… comme l’essentiel de nos traitements par ailleurs !

Que nous réserve l’avenir dans le blanchiment ? Une affaire à éclaircir et à rebondissements, apparemment !

Bibliographie

  • [1] Magne P, Belser U. Restaurations adhésives en céramique sur dents antérieures : approche biomimétique. Paris : Quintessence international, 2003.
  • [2] Tirlet G, Attal JP. Le gradient thérapeutique : un concept médical pour les traitements esthétiques. Inf Dent 2009;41/42:2561-2568.
  • [3] Minoux M, Serfaty R. Vital tooth bleaching : biologic adverse effects. A review. Quintessence Int 2008; 39:645-659.
  • [4] Pélissier B. Le point sur l’éclaircissement. Chir Dent Fr 2012;1548:39-41
  • [5] Pélissier B. le point sur l’éclaircissement (suite) : produits cosmétiques et dispositifs médicaux Chir Dent Fr 2012;1553:39-41.
  • [6] Directive du 24 août 2012. JORF 2012 ;:4-72.
  • [7] Décision du 9 juillet 2013 portant suspension de la mise sur le marché, de la distribution, de l’exportation, de l’importation, de la fabrication, de la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit et de l’utilisation de produits mis sur le marché sous le statut de dispositifs médicaux destinés à être utilisés sur la face externe des dents en vue de les blanchir ou de les éclaircir, interdiction de ces mêmes activités pour d’autres de ces produits et retrait de ces derniers. Décret du 9 août 2013. JORF 2012;0184: 13591.
  • [8] Manual on bordeline and classification in the community regulatory framework for medical devices. Version 1.13. http://ec.europa.eu/health/medical-devices/files/wg_minutes_member_lists/borderline_manual_ol_en.pdf
  • [9] Miara A, Miara P. Traitements des dyschromies en odontologie. Rueil-Malmaison : CdP, 2006.
  • [10] Zimmerli B, Jeger F, Lussi A. Bleaching of non vital teeth : a clinically relevant litterature review. Schweiz Monatsschr Zahnmed 2010;120:306-313.
  • [11] Attin T, Paqué F, Ajam F, Lennon AM. Review of the current status of tooth whitening with the walking bleach technique. Int Endod J 2003;36:313-329.
  • [12] Lehman N, Bonnet E. Éclaircissement interne des dents dépulpées : les clés du succès. Clinic 2005;26:375-382.
  • [13] Haywwod VB. Tooth whitening : indications and outcomes of nightguard vital bleaching. Chicago : Quintessence Publ. Co, 2007.
  • [14] Kwon SR. Tooth whitening in esthetic dentistry:principles and techniques. Chicago : Quintessence Publ. Co, 2009.
  • [15] do Amaral FL, Sasaki RT, da Silva TC, França FM, Flório FM, Basting RT. The effects of home-use and in-office bleaching treatments on calcium and phosphorus concentrations in tooth enamel : an in vivo study. J Am Dent Assoc 2012;143:580-586.