Une douceur particulière émane de cet endodontiste dont la rigueur et la sensibilité vont de la bouche de ses patients aux rivières poissonneuses. Pour Ludovic Pommel, diplômé de la faculté dentaire de Marseille et qui exerce aujourd’hui dans son cabinet de Montfavet, la pêche à la mouche est plus qu’une passion, c’est un art de vivre la nature et le monde.
Très tôt, j’avais 5 ans. J’appartiens à une famille de pêcheurs passionnés qui aime la nature d’un amour inconditionnel. Et puis, c’est devenu pour moi aussi une passion, plus grande que la raison… Je m’échappais à bicyclette et j’observais le comportement des poissons, de la nature, sur les berges de toutes les rivières du coin. À 15 ans, j’ai vu un vieux monsieur - qui se déplaçait en Solex - pêcher à la mouche, avec ce geste que l’on voit dans le film Et au milieu coule une rivière de Robert Redford. J’ai trouvé cela extraordinaire. La mouche qui se pose délicatement sur l’eau… J’ai acheté des livres, j’ai appris tout seul. J’ai bien dû accrocher une bonne centaine de leurres sur la ligne téléphonique qui passait au-dessus de l’endroit où je m’exerçais !
Pour pêcher « à la mouche », il faut savoir leurrer le poisson à l’aide de mouches artificielles fabriquées à partir d’éléments le plus souvent naturels. Le plaisir de pêcher débute dès cette conception qui est sans limites comme toute créativité. N’importe quel matériau fait l’affaire pourvu qu’il ait de la couleur et qu’il bouge : laine, plumes d’oiseaux, poils de lapin. Ensuite, on attache tout cela avec de petits fils de soie. Le leurre doit donner l’impression d’être vivant. On peut l’acheter, mais quel plaisir de le fabriquer pendant les longues soirées d’hiver.
Après avoir pêché à la mouche toutes sortes de poissons - notamment de rivière -, j’ai découvert la pêche des salmonidés migrateurs. En Terre de Feu tout d’abord pour les truites fario anadromes (Salmo trutta fario), puis en Europe du Nord pour le saumon atlantique (Salmo salar) - le « père » de tous les salmonidés - et en Colombie Britannique pour les truites arc-en-ciel anadromes (Oncorhynchus mykiss). La difficulté à approcher et à leurrer ces poissons dans un environnement quelquefois hostile et dangereux, mais magnifique, s’ajoute à la puissance de leur lutte en eau vive pour représenter un défi exceptionnel.
Les pêcheurs appellent cela la saumonite. C’est magnifique de voir la tête d’un saumon attraper son leurre, quelque chose que l’on a fabriqué et que lui, l’animal sauvage, n’a pas vu. D’avoir réussi à se fondre avec la nature. La pêche, c’est cela : arriver à être admis des éléments sauvages et naturels. Je ressens à chaque fois une grande émotion et beaucoup de respect en voyant ce poisson qui peut atteindre 40 kg se bagarrer avec mon leurre. Dans ce combat, tout le corps du pêcheur participe : c’est un élément important du plaisir comme le swing du golfeur. La maîtrise des techniques de lancer est une condition essentielle dans la réussite. Elle est conditionnée par la présence d’obstacles naturels comme les frondaisons rivulaires, les rochers, les intempéries, le vent. Bien sûr, une fois le combat remporté, on remet le saumon en liberté.
La forme extrêmement hydrodynamique de ce poisson, qui vit les trois quarts du temps en mer, lui permet de parcourir des milliers de kilomètres, de franchir les courants puissants, les chutes. Il remonte les rivières en automne, vers son lieu de naissance - on ne sait toujours pas pourquoi -, pour pouvoir y frayer en hiver. Son instinct de reproduction est extrême. Le saumon est un athlète.
Ces deux passions sont indissociables. Elles exigent de la patience, de la réflexion, de la minutie, de l’hygiène - que l’on soigne une bouche ou que l’on pêche, on fait cela avec ses doigts. L’endodontie exclusive que je pratique depuis 12 ans est une école d’humilité : on apprend et on se remet en question tous les jours. Et puis, on doit anticiper, raisonner. C’est la même chose pour la pêche à la mouche : on dissèque les petits courants, les cours d’eau, on observe les petits rochers…
Les parcs naturels ne suffisent pas à préserver la flore et la faune. La pollution atteint tous les espaces, elle est capable de tout modifier. Mais, au-delà de ça, c’est le comportement de l’homme qui m’inquiète le plus : quête perpétuelle de consommation, dépense énergétique, traitement des déchets… Pour respecter, comprendre, être admis dans la nature, il faut communiquer avec elle, entrer en communion.
La Symphonie n° 25 de Mozart me fait penser à une rivière. Un enchaînement de notes très caractéristiques, en particulier le premier mouvement assez torrentueux, puis le second plus régulier, calme comme une rivière de plaine. Le dernier mouvement devient plus puissant comme un fleuve riche de ses affluents, majestueux. Lorsqu’elles étaient enfants, mes filles l’avaient baptisé « le morceau de la rivière ».