L’offensive menée par un groupement d’élus Europe Écologie Les Verts (EELV) et de responsables associatifs pour interdire l’utilisation d’amalgames dentaires fait réagir Michel Goldberg : la dangerosité des amalgames dentaires n’a « jamais été établie par des moyens scientifiques » alors que les matériaux de remplacement s’avèrent « potentiellement très dangereux ».
Comment réagissez-vous aux déclarations d’EELV ?
L’argumentaire des écologistes est étonnant. Ils posent en axiome que le mercure des amalgames dentaires est toxique et très dangereux et que l’on doit l’éliminer dès lors que l’on dispose de solutions de remplacement. Or, la dangerosité du mercure des amalgames dentaires n’a jamais été établie sérieusement, par des moyens scientifiques. Toutes les études présentées jusqu’à présent par les opposants au mercure sont d’une inconsistance notoire. De plus, les risques encourus avec les solutions de remplacement sont bien pires.
D’ailleurs, la convention de Minamata* montre bien qu’aucune démonstration scientifique ne justifie la suppression des amalgames des restaurations dentaires. Il y a bien entendu des problèmes environnementaux. Il a été démontré que les personnes qui consomment beaucoup de poissons présentent des intoxications au mercure, mais cela n’a rien à voir avec les traitements effectués par les chirurgiens-dentistes. La convention veut éviter l’exposition des femmes enceintes et des enfants. Cela a été décidé au nom du principe de précaution, car il n’y a aucune évidence scientifique. Dès les premières analyses préparatoires des groupes d’experts, les troubles néphrologiques ont été retirés de la liste car tous les néphrologues qui participaient aux commissions ont été formels : ils ont estimé que pas un seul cas ne pouvait établir un lien avec le mercure.
Y a-t-il des pratiques qui permettent de minimiser l’exposition pour les patients ?
On peut faire de la prévention. L’exposition des patients à l’amalgame a été revue à la baisse grâce à plusieurs évolutions et, notamment, grâce à l’usage de capsules prédosées. Et puis, en France, chaque unit est obligatoirement doté d’un séparateur d’amalgame. Il ne reste que les déposes faites par fraisage qui sont plus délicates. Mais lors de cette étape, la pose d’une digue est obligatoire.
L’usage de matériaux de substitution prôné par les écologistes est-il une solution ?
La communauté scientifique est de plus en plus persuadée que les matériaux de substitution, en particulier toutes les résines, sont cancérigènes. Elles libèrent du bisphénol A au sujet duquel nous avons les plus grands doutes. Nous nous interrogeons en effet sur quatre points précis :
- les dosages réalisés jusqu’à présent tendaient à montrer que la toxicité du bisphénol A augmente avec la quantité utilisée dans une dose. Or, cette toxicité est inversement proportionnelle à la dose utilisée. Autrement dit, moins il y en a, plus les risques sont grands ;
- les dosages de bisphénol A ne peuvent être effectués à partir du sang ou des urines. Les incidences ne sont repérables qu’à partir d’analyses de la sueur. Cela signifie qu’en termes de métrologie, toutes les analyses réalisées jusqu’à présent sur les résines sont fausses ;
- la transmission de la toxicité se fait par les gènes, mais en sautant plusieurs générations. En réalité, des altérations se produisent au niveau de l’ADN. L’altération sera donc transgénérationnelle. On a montré sur la souris qu’elle n’apparaîtra pas à la première génération mais principalement à la troisième. On détecte alors des cancers de la prostate, du sein et des ovaires, du diabète de type 2 et d’autres effets parfaitement identifiés aujourd’hui chez l’animal ;
- enfin, en ce qui concerne les chirurgiens-dentistes, des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique de Toulouse ont démontré que le bisphénol A libéré par les composites passe par le plancher de la bouche. C’est par cette voie que diffuse de façon massive tout ce qui est toxique pour l’organisme. Il est alors à l’origine de troubles pathologiques.
Pour conclure sur ce point, contrairement à ce qu’expliquent ces illuminés de Verts, les matériaux de substitution ne sont pas sains. Il n’est pas question de supprimer un amalgame qui, en plus de 150 ans, n’a pas donné de pathologies reconnues scientifiquement. En revanche, le bisphénol A contenu dans les résines a un potentiel très toxique et il est cancérigène, même si ses effets ne seront observés que dans deux ou trois générations.
Les opposants au mercure soutiennent aussi que le recours à des matériaux de remplacement est moins mutilant…
C’est vrai à court terme. Mais la durée de vie d’un composite va de 3 à 6 ans. Lorsqu’il faut le refaire, on découvre parfois des récidives de carie. En conséquence, le nouveau composite va occuper un espace plus important. Et, la troisième fois, l’apparition de nécroses pulpaires conduira à des traitements canalaires puis à des prothèses…
Le groupe d’écologistes recommande les ciments verre ionomère (CVI). On sait que ces matériaux ne peuvent être, aujourd’hui, que temporaires ; ils ne deviennent pérennes que lorsqu’on leur rajoute des résines ! Quand EELV dit vouloir une médecine dentaire fondée sur la prévention, nous sommes mille fois d’accord. Mais s’il faut faire de la thérapeutique, attention aux matériaux de remplacement !
Comment expliquer que d’autres pays vont supprimer les amalgames ?
Une des raisons est la dentisterie esthétique. Sous prétexte d’esthétique, on ne fait plus d’amalgames mais des ciments de la couleur des dents. En termes de santé publique, les dépenses seront beaucoup plus importantes que lorsqu’on pratique de la bonne dentisterie avec de l’amalgame d’argent.
Je précise aussi que ce n’est pas le ministère de la Santé qui a interdit les amalgames dans certains pays scandinaves, mais le ministère de l’Écologie. Ce qui se conçoit dans ces pays entourés d’eau et où la contamination provenait des poissons et en particulier du thon. À l’exception de la Norvège, les praticiens des pays scandinaves ont le droit de poser des amalgames. Ils doivent expliquer les avantages et les inconvénients à leurs patients avant que ceux-ci ne choisissent, mais en sachant que les amalgames ne sont pas remboursés.
Que recommandez-vous aujourd’hui aux chirurgiens-dentistes ?
Les amalgames d’argent sont infiniment supérieurs aux matériaux composites pour les dents postérieures. La difficulté concerne le secteur antérieur car nous n’avons pas de produits de substitution. Les CVI et résines n’offrent qu’une solution de très court terme. Les préconisations de l’American Dental Association (ADA) sont infondées. Effectuer une obturation avec de la résine et passer un pinceau pour retirer des exsudats qui contiennent du bisphénol A est risible. Cela ne mettra personne à l’abri.
Pour l’avenir, des industriels qui sont conscients des risques travaillent sur des ciments qui ne libéreront pas de bisphénol A.
Mais pour le moment, en tant que scientifique, je n’ai pas de réponse. Dans cette situation extrêmement embarrassante, la seule arme est la prévention.
*Cette convention, signée en octobre 2013, vise à encadrer et à réduire au niveau mondial les émissions de mercure sur l’ensemble de son cycle de vie, de l’extraction au stockage.Elle prévoit notamment une réduction progressive de l’utilisation des « plombages » contenant du mercure mais sans précision de dates ni de volumes.
Des élus EELV veulent « en finir » avec les amalgames dentaires en raison de l’effet toxique du mercure sur la santé et l’environnement. Ce métal est un « neurotoxique, un néphrotoxique, un immunotoxique et un perturbateur endocrinien. Le mercure est classé cancérigène, mutagène et reprotoxique », affirme un groupement d’élus écologistes et de responsables associatifs qui demande une loi interdisant l’utilisation des amalgames dentaires à l’horizon 2018 pour pouvoir les remplacer par des dispositifs existants exempts de substances toxiques. Les élus EELV Michèle Rivasi, député européen, Aline Archimbaud, sénateur, Jean-Louis Roumegas, député, comptent sur la loi de santé publique qui doit être présentée au Parlement en 2014 pour obtenir gain de cause.