Clinic n° 02 du 01/02/2014

 

AVANT-PREMIÈRE

Nous avons décidé d’ouvrir nos colonnes aux initiatives professionnelles qui nous semblent pertinentes et susceptibles de faire avancer la profession. Il s’agit d’une initiative de formation qui semble s’inscrire dans une volonté de repenser la formation continue. Le Dr Jean-Pierre Attal, responsable de cette journée, a bien voulu répondre aux questions de Clinic.

Clinic : Bernard Lapostolle, un agitateur d’idées, bien connu dans la formation odontologique, vous a proposé d’animer une formation un peu spéciale. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Jean-Pierre Attal : D’abord, je confirme que Bernard Lapostolle est un agitateur d’idées. En effet, c’est lui qui a organisé les premiers travaux pratiques « Les batailles de l’adhésion » conçus par le Pr Michel Degrange. Cette fois-ci, c’est après avoir assisté à la séance du Serious Game de l’ADF (en 2012), sur une idée de Serge Armand, de Franck Renouard et de Laurent Gineste, qu’il m’a demandé s’il était possible de renouveler l’expérience dans son cercle de formation. J’ai accepté avec plaisir d’adapter cette formule à un organisme local de formation continue.

Clinic : En quoi consiste cette séance ?

JPA : Il s’agit d’une journée centrée sur le patient et l’omnipraticien car son déroulement consiste en une succession d’analyses de cas cliniques sur des thématiques d’omnipratique. Pour chacun de ces cas cliniques, plusieurs options thérapeutiques sont envisageables. Les praticiens munis de boîtiers, comme dans le Serious Game de l’ADF, décideront des options diagnostiques et thérapeutiques. Grâce à des simulations bidimensionnelles, réalisées par notre équipe, les options cliniques choisies par les congressistes seront visualisables. Ainsi, les cas cliniques seront décortiqués au point d’envisager, non seulement le déroulement normal des traitements, mais aussi les aléas thérapeutiques propres à chaque option. Et évidemment, il faudra faire appel à différents domaines de la dentisterie.

Clinic : Et vous serez en nombre suffisant pour répondre à toutes les options thérapeutiques et toutes les questions qui s’y rapportent ?

JPA : Oui, car on garde l’équipe que nous avions constituée l’an dernier avec, autour de Martin Brient et Florent Trévelo, les deux omnipraticiens qui orchestreront la réflexion, des praticiens orientés en endodontie (Dr Sandrine Dahan), en parodontie et en implantologie (Dr David Nisand), en orthodontie (Dr Christine Muller) ou en esthétique et en adhésion (moi-même).

Clinic : Mais ne craignez-vous pas que cela donne l’impression d’une journée consacrée à une certaine dentisterie élitiste, un peu éloignée de la « vraie vie », avec l’intervention de beaucoup de spécialistes ?

JPA : C’est tout le contraire. Nous nous concentrerons sur l’omnipraticien et ses problématiques quotidiennes. Comme l’omnipraticien doit pouvoir proposer (ou « présenter ») à son patient toutes les solutions médicales permises par notre profession, il se doit d’avoir une approche pluridisciplinaire. Parfois, il devra faire appel à des praticiens spécialisés et travailler main dans la main avec eux. Et ça, c’est inévitable. Mais nous montrerons, au cours de cette journée, que pluridisciplinarité ne veut pas forcément dire spécialisation.

Clinic : Pouvez-vous nous expliciter un peu mieux le rôle des deux omnipraticiens, les Dr Florent Trévelo et Martin Brient ?

JPA : En pratique, l’omnipraticien est la plupart du temps le premier clinicien en contact avec le patient. C’est lui qui recueille ses souhaits et identifie ses besoins. Ensuite, il accompagne le patient dans le processus de décision médicale partagée et doit déterminer quand et comment il doit déléguer une partie du traitement à d’autres intervenants. Si on reprend la comparaison avec l’aéronautique, qui est à la mode en ce moment, l’omnipraticien aide le patient à choisir la destination puis est à la fois l’aiguilleur du ciel et un des pilotes de l’avion. Au cours de cette journée, Florent et Martin contribueront donc à expliquer comment rationaliser la décision thérapeutique et, ensuite, comment acquérir les capacités à utiliser des techniques avancées au sein d’un plan de traitement cohérent. Ce sont des éléments majeurs de leur quotidien parce que, et je les cite, « tandis que les techniques spécifiques évoluent et se complexifient sans arrêt, apprendre à planifier un traitement, c’est universel et indémodable ».

Clinic : Au total, vous allez passer la journée à réfléchir sur les traitements de quatre patients ?

JPA : Oui et ce n’est pas si mal de laisser plus de place à la réflexion dans nos formations. Cela dit, en dehors de cet aspect « cérébral », le praticien ressortira avec beaucoup d’informations applicables. En effet, les cas cliniques sélectionnés faisant appel, en fonction de la solution choisie, à de très nombreux champs de la dentisterie, le participant assistera à près d’une quinzaine de courtes interventions (3 minutes) aux thématiques très variées. Par exemple à l’occasion d’une difficulté de diagnostic pulpaire, le Dr Sandrine Dahan va nous rappeler en quelques points synthétiques l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur ces sujets (tests électriques notamment). Autre exemple, dans une situation où un implant est prévu, le Dr David Nisand fera le point sur les données actuelles de l’implantation immédiate. L’originalité de ces interventions réside dans leur caractère synthétique.

Clinic : L’orthodontie, c’est original dans une séance de formation pour l’omnipraticien.

JPA : Oui, vous avez raison, mais c’est essentiel. L’orthodontie est souvent le grand absent des formations pour les omnipraticiens. Nous le répétons tous les jours avec mon compère le Dr Gil Tirlet dans nos conférences et à nos étudiants. L’orthodontie permet une très grande préservation tissulaire lors de nos traitements. Elle peut souvent simplifier grandement le traitement prothétique ou même, parfois, l’éviter. Je reviens d’un superbe congrès à Bruxelles, le CIDAE, excellemment organisé par le Dr Alain Perceval, où des conférenciers de renom étaient présents. Mais il nous a semblé que de nombreux cas montrés à cette occasion auraient été grandement simplifiés par un temps orthodontique.

Clinic : Mais quel est plus exactement le rôle du Dr Christine Muller dans cette journée ?

JPA : La conception de cette journée lui permettra de mettre en avant la place de l’orthodontie dans le plan de traitement. Elle proposera un des quatre cas de cette journée qu’elle a traité avec un omnipraticien. Par ailleurs, elle en profitera pour montrer des exemples cliniques concrets où l’orthodontie simplifie considérablement le traitement prothétique (par exemple un alignement dentaire permet une harmonisation parodontale sans chirurgie). Elle donnera aux praticiens des arguments pour leurs patients dans des situations fréquentes, rarement traitées dans les cours d’esthétique, comme l’impact de la fermeture de diastèmes antérieurs.

Clinic : Pouvez-vous nous donner un ou deux exemples cliniques pour nous montrer comment les intervenants vont interagir ?

JPA : Voici deux cas qui seraient susceptibles de figurer dans cette journée :

Cas n° 1 : Loïc, 14 ans (fig. 1), vient de finir un traitement orthodontique de 2 ans. Une extrusion orthodontique a été tentée mais la dent s’est fissurée, créant des épisodes infectieux à répétition. Cette dent est finalement extraite et Loïc demande une solution sans orthopédie dento-faciale. Il découvre peu lors du sourire.

Vous imaginez bien que nous allons explorer chacune des différentes options thérapeutiques (implant, bridge collé, prothèse amovible…), décrire leurs difficultés, leur pronostic et leurs étapes d’élaboration. Tout cela en se laissant guider par les choix des praticiens inscrits à cette journée. Dans cet exemple, le Dr Sandrine Dahan nous donnera des éléments de diagnostic (notamment sur la radio initiale) sur la lésion latérale visible sur la 11 à mi-hauteur de la racine en mésial ou sur une éventuelle fissure. Le Dr Christine Muller nous dira quelles seraient les contraintes d’un traitement d’orthopédie dento-faciale pour optimiser la largeur mésio-distale de l’édentement qui est, à ce stade, trop importante. Dans cette situation d’extraction difficile, le Dr David Nisand nous apportera des éléments techniques sur la meilleure modalité opératoire et des éléments scientifiques sur le choix d’un éventuel biomatériau de comblement. Les Dr Martin Brient et Florent Trévelo nous donneront des conseils sur la réalisation du berceau de l’intermédiaire de bridge (dans le cas où les participants nous orienteront vers un bridge) et sur la meilleure façon de communiquer entre tous les intervenants, s’il y en a plusieurs. Et de mon côté, je développerai évidemment le choix des matériaux et des techniques de collage. Encore une fois, nous montrerons qu’un traitement comme celui de Loïc est, pour certains omnipraticiens, à leur portée sans avoir recours à des spécialistes.

Cas n° 2 : Mme M. 42 ans (fig. 2), présente une couronne sur 11 qu’il faut refaire (adaptation, esthétique…). Elle présente une demande esthétique en rapport avec ses malpositions antérieures qui évoluent. La préparation initiale (Dr Brient et Dr Nisand) a été mise en œuvre. Le traitement canalaire sur 11 a été repris (Dr Dahan) puis une consultation pour un avis orthodontique a été conseillée à la patiente. L’orthodontiste propose les objectifs suivants : coordination des arcades dentaires, correction d’une latéro-déviation mandibulaire liée à une interférence (objectif fonctionnel) et correction de la classe II.2 et des malpositions antérieures (objectif esthétique) pendant une période de 18 mois à 2 ans ; le tout associé à des minivis d’ancrage puis à la réalisation de la couronne permanente et de la contention.

Les praticiens pourraient avoir à répondre aux questions suivantes.

• La préparation initiale parodontale est-elle du ressort d’un praticien spécialisé ?

• Quelles sont les possibilités chirurgicales d’alignement des collets ?

• Pourquoi l’omnipraticien a-t-il délégué le traitement radiculaire ?

• Quel est le pronostic d’une restauration prothétique à long terme dans ce contexte de classe II.2 ?

• Peut-on imposer un déplacement dentaire à une dent dépulpée ? Combien de temps après le traitement canalaire ? Quelles sont les précautions à prendre ?

• Quels peuvent être les résultats esthétiques orthodontiques escomptés de face et de profil ? Peut-on les prévisualiser ? Quel pourrait être l’apport des mini-vis d’ancrage dans ce cas ?

• Qui doit gérer la contention ?

• Combien de temps une couronne provisoire peut rester sur l’arcade ?

• Quels sont les critères esthétiques à connaître pour la réalisation d’un seul élément antérieur (une incisive centrale dans ce cas) ? Quel matériau choisir ? Comment communiquer au mieux avec le prothésiste ?

Clinic : Une petite conclusion ?

JPA : Nous avons tous hâte d’y être et nous espérons que les participants y prendront autant de plaisir que nous en avons eu à préparer cette journée.