Clinic n° 09 du 01/09/2016

 

ENDODONTIE

Pierre COLON*   Nancie COUGOT**   Katherine SEMENNIKOVA***  


*PU-PH
**AHU
***AHU
Université Paris-Diderot
Service d’odontologie
de l’hôpital Rothschild (Paris)
Laboratoire LMI UMR CNRS 5615, Lyon 1

Les pâtes d’obturation canalaire comportant des dérivés formolés et des dérivés de corticoïdes sont désormais interdites. De nouveaux matériaux minéraux, dérivés de sels de calcium, se multiplient sur le marché, mettant en avant des propriétés bioactives. Beaucoup d’endodontistes restent cependant fidèles aux techniques de compactage de la gutta-percha. Quels sont les éléments de décision et quelles solutions de remplacement existent-ils pour les praticiens utilisateurs des anciennes pâtes dont la plupart sont retirées du marché ?

Les traitements endodontiques ont considérablement évolué ces dernières années, en particulier en raison de l’évolution des instruments mécanisés de mise en forme canalaire, avec comme corollaire la possibilité de plus en plus fréquente de réaliser les traitements en une séance. Depuis peu, on assiste à l’évolution des ciments et/ou pâtes d’obturation canalaire justifiée non seulement par l’évolution des biomatériaux mais aussi par la mise en application des nouvelles directives interdisant l’usage des dérivés formolés et des corticoïdes dans les pâtes d’obturation canalaire.

La mise au point simultanée de matériaux minéraux d’obturation canalaire présentant des propriétés biologiques intéressantes, voire des propriétés bioactives, serait-elle liée à cette interdiction des anciennes formules ? Pas si sûr mais… peut-être. Quoi qu’il en soit, les habitudes d’un certain nombre de praticiens devront changer ; une bonne occasion de faire un point sur ce sujet.

Les objectifs des traitements endodontiques sont bien définis depuis longtemps : éliminer les débris organiques et le maximum de bactéries et obtenir, par une instrumentation adaptée, une conicité permettant la mise en place d’une obturation de l’endodonte hermétique et pérenne [1].

La difficulté principale de l’endodontie vient de la complexité et de la variété des anatomies canalaires, des canaux latéraux et accessoires, des deltas, des bifurcations, des courbures et des configurations en C qui compliquent singulièrement le travail des omnipraticiens comme, parfois, celui des endodontistes les plus talentueux. Si on prend un peu de recul, on peut cependant schématiser trois approches bien différentes.

Première approche

L’ancienne approche, qui consiste à utiliser une pâte « d’obturation » à laquelle est adjoint un désinfectant redoutable, un dérivé formolé, pour éliminer les bactéries est aujourd’hui très limitée en raison de l’application de la directive 2007/47/CE, accompagnée de sa nécessité d’évaluation QSU (qualité, sécurité, utilité), et de la réglementation REACH (registration, evaluation, authorization and restriction of chemicals). Afin d’éviter des réactions postopératoires douloureuses, on ajoute à la formulation des anti-inflammatoires puissants sous forme de dérivés de corticoïdes. L’adjonction d’un cône de gutta à ces pâtes permet d’exercer une légère pression pour améliorer le remplissage de l’espace canalaire. Sauf exception, les canaux latéraux et autres ramifications apicales ne sont pas obturés mais les bactéries n’ont, a priori, pas survécu !

Cette méthode, très largement répandue, est agressive pour les tissus péri-apicaux, retardant les phénomènes de cicatrisation. Si la pâte d’obturation n’est pas vraiment compactée, le risque de percolation apicale est bien présent en cas d’anatomie canalaire complexe.

Enfin, ces matériaux se délitent avec le temps en présence d’humidité, ce qui implique une perte d’étanchéité des obturations endodontiques.

La méthode présente cependant l’avantage d’une mise en œuvre facile et rapide, ce qui explique une utilisation encore très répandue.

Deuxième approche

L’endodontie moderne enseignée dans toutes les facultés d’odontologie en France consiste à « condenser » un matériau stable dans le temps, la gutta-percha, en assurant l’étanchéité de l’interface gutta/parois radiculaires par un « ciment » endodontique dépourvu d’agents agressifs sur le plan biologique. Ces matériaux sont, pour l’essentiel, des dérivés d’eugénolate de zinc ou des résines époxy (fig. 1 et 2). Les techniques de condensation de la gutta-percha peuvent alors se décliner sous forme de condensation latérale à froid, condensation verticale à chaud, thermocompactage, gutta sur tuteur… L’intérêt de ces techniques est d’exercer une pression sur le film de ciment qui va alors s’insinuer dans toutes les anfractuosités pourvu que le travail de nettoyage et de mise en forme, bien conduit, ait rendu perméable ces structures. On comprend aisément le rôle prépondérant d’élimination des débris de ces orifices et, parallèlement, le nombre de publications qui ont décrit des techniques et des passages successifs de solution d’irrigation permettant de se débarrasser de la « boue dentinaire » [2, 3].

Il faut retenir de ces techniques que le matériau de remplissage canalaire est, cette fois, la gutta-percha, scellée par un ciment de faible épaisseur, tandis que dans le cas des pâtes d’obturation, c’est bien la pâte qui obture l’espace endodontique, le cône de gutta améliorant le remplissage complet du canal.

L’expression « ciment endodontique » est justifiée lorsqu’on utilise une technique de compactage car ce ciment assure l’herméticité de l’interface entre la gutta-percha et les parois dentinaires [4, 5].

La dénomination « pâte d’obturation » est justifiée lorsque cette pâte, même complétée d’un cône de gutta-percha, constitue l’essentiel du matériau d’obturation endodontique.

Quelles que soient les techniques de compactage utilisées, les résultats sont excellents mais la mise en œuvre peut sembler difficile et chronophage.

Il convient en effet d’ajuster précisément un cône qui va s’adapter au diamètre apical après mise en forme, d’enduire les parois canalaires avec le ciment endodontique, puis de compacter la gutta, selon les techniques, avec d’autres cônes ou en compactant, à chaud, le cône principal.

Dans tous les cas de compactage « conventionnel », il faut utiliser des fouloirs endodontiques, latéraux ou verticaux en fonction de la technique utilisée.

Une possibilité intéressante est offerte par la gutta sur tuteur qui permet en un seul temps de retrouver les avantages de la condensation verticale à chaud.

Ces techniques de compactage de la gutta-percha restent les préférées des « endodontistes » pour plusieurs raisons :

• ce sont les seules qui permettent de mettre en évidence, après le traitement, l’aspect tridimensionnel de l’obturation. Les deltas, canaux latéraux et courbures apicales sont parfaitement objectivés par le cliché postopératoire (fig. 3) ;

• le temps consacré à l’obturation est faible si celle-ci est réalisée par un opérateur entraîné travaillant sous champ opératoire ;

• les taux de succès sont très élevés et parfaitement validés par des publications internationales [5].

Troisième approche

Les matériaux dits biocéramiques ou minéraux sont des composés dérivés de silicate de calcium ou de phosphate de calcium qui présentent des propriétés biologiques supérieures à celles des ciments endodontiques et même des propriétés bioactives avec stimulation cellulaire permettant d’accélérer les processus de réparation des lésions d’origine endodontique (fig. 4). Leur pH fortement alcalin durant la prise permet d’attaquer spécifiquement la portion organique de la boue dentinaire et, donc, de rendre perméables les orifices des canaux accessoires mais, aussi, des tubuli dentinaires pour obtenir une très bonne étanchéité. La confusion commence ici car certains considèrent que l’on dispose, avec ces produits, de ciments de scellement endodontique sophistiqués destinés à remplacer les ciments eugénolate de zinc, évoqués précédemment. Ce n’est pas vraiment le cas car les propriétés bioactives de ces matériaux sont favorisées par une épaisseur suffisante de matériau pour permettre la diffusion d’ions calcium du matériau vers les espaces endodontiques et former des précipités sous forme de phosphate de calcium [6]. Une qualité majeure de ces produits est le mode de durcissement qui s’effectue par réaction d’une poudre avec un liquide constitué essentiellement d’eau, ce qui paraît plus facile à gérer dans l’espace endodontique. De plus, cette réaction de prise se poursuit, après durcissement, durant plusieurs semaines, même si la cinétique à terme est très lente. On peut comparer l’effet de ces produits à celui d’un hydroxyde de calcium dont le pH alcalin serait réduit dans le temps et surtout la stabilité du produit après la prise parfaite.

Il ne faut donc pas considérer ces matériaux comme des ciments de scellement mais plutôt comme des ciments d’obturation endodontique bioactifs [7, 8].

Dans ces conditions, la mise en œuvre des matériaux évoqués dans l’ancienne approche reprend du sens : remplissage de l’espace endodontique par un ciment, cette fois-ci « biologique », complété par la mise en place d’un cône de gutta-percha ajusté au niveau apical et, cette fois, pour deux raisons :

• améliorer le remplissage endocanalaire ;

• faciliter, si nécessaire, les procédures de retraitement car ces ciments sont insolubles.

Cela reviendrait donc à reprendre le premier protocole avec un matériau biologique et même bioactif ?

Oui pour ce qui concerne la phase finale de remplissage, ou obturation canalaire, mais définitivement non pour ce qui concerne les étapes de nettoyage et de mise en forme. En effet, le faible pouvoir bactéricide de ces matériaux ne peut pas compenser un nettoyage endocanalaire insuffisant et une durée d’action trop faible des solutions d’irrigation telles que l’hypochlorite de sodium [9].

Cependant, ces matériaux, mêmes radio-opaques, ne permettent pas de visualiser l’obturation des canaux latéraux et autres deltas pour la bonne raison que ces derniers ne sont pas obturés au moment où l’on effectue la radiographie de contrôle. Les réactions aux interfaces tissus dentinaires/ciment vont cependant permettre, secondairement, de sceller ces espaces par formation de phosphate de calcium et/ou d’hydroxyapatite [6].

On peut donc résumer la situation de la façon suivante : l’ancienne approche est désormais très limitée avec l’application de la directive 2007/47/CE et la nécessité d’évaluation QSU.

La technique d’obturation utilisée pour cette « ancienne approche » appliquée aux ciments « biocéramiques ou au silicate de calcium » pourrait faire l’unanimité tant du côté des omnipraticiens que des endodontistes exclusifs. On attend cependant la publication d’études longitudinales à long terme mais cette solution devrait se répandre rapidement.

Attention cependant : un traitement endodontique ne se limite pas à l’obturation canalaire. Les pâtes formolées pouvaient « compenser » un nettoyage imparfait. Il n’en est rien avec ces matériaux biologiques. Le nettoyage et la mise en forme devront être effectués avec soin.

Désobturation et retraitements endodontiques

Les anciennes pâtes d’obturation constituées de dérivés d’eugénolate de zinc sont solubles si l’on utilise des solvants spécifiques.

Les ciments de scellement canalaire, dérivés de l’eugénolate de zinc, sont solubles dans les mêmes conditions.

La gutta-percha peut être ramollie par chauffage ou en présence de solvants spécifiques tels que l’eucalyptol.

Les ciments de scellement à base de résine époxy sont insolubles, d’où la nécessité de retirer la gutta-percha pour effectuer un retraitement et retrouver la perméabilité apicale.

Les ciments d’obturation bioactifs sont insolubles, ce qui explique leur pérennité et les difficultés à effectuer des retraitements. La mise en place d’un cône de gutta-percha jusqu’à l’apex permet de retrouver la perméabilité canalaire et d’instrumenter le canal. Il reste probablement à améliorer l’utilisation de limes ultrasonores pour fragmenter ces ciments et faciliter la réintervention.

Et l’hydroxyde de calcium ?

L’hydroxyde de calcium reste indiqué comme obturation temporaire en présence d’exsudat inflammatoire qui interdit de sécher correctement la portion apicale des canaux radiculaires, dans la prévention des résorptions en cas de traumatisme ou dans les techniques d’apexogenèse et d’apexification (fig. 5).

Après élimination complète, ce matériau sera remplacé par un ciment d’obturation biologique associé à un cône de gutta ajusté à l’apex (fig. 6 à 8) ou par une obturation en gutta-percha compactée.

Un récapitulatif des propriétés des différents matériaux est synthétisé dans le tableau 1.

Conclusion

Les objectifs des traitements endodontiques restent inchangés. Les techniques récentes de mise en forme mécanisée permettent un gain de temps et une excellente sécurité des traitements. L’obturation endodontique peut désormais être réalisée avec remplissage de l’espace endodontique par un ciment d’obturation biologique complété par un cône de gutta-percha ou par une obturation en gutta-percha compactée, scellée par un ciment de scellement endodontique.

Dans tous les cas, l’irrigation canalaire avec une solution d’hypochlorite de sodium pour désinfecter l’espace endodontique et éliminer les débris issus de la mise en forme est essentielle

Bibliographie

  • [1] Simon S. Endodontie. Vol. 1. Traitements. Rueil-Malmaison : CdP, 2008.
  • [2] Rôças IN, Provenzano JC, Neves MA, Siqueira JF Jr. Disinfecting effects of rotary instrumentation with either 2,5 % sodium hypochlorite or 2 % chlorhexidine as the main irrigant : a randomized clinical study. J Endod 2016;42:943-947.
  • [3] Azim AA, Aksel H, Zhuang T, Mashtare T, Babu JP, Huang GT. Efficacy of 4 irrigation protocols in killing bacteria colonized in dentinal tubules examined by a novel confocal laser scanning ?microscope analysis. J Endod 2016 ;42:928-934.
  • [4] Silva EJ, Perez R, Valentim RM, Belladonna FG, De-Deus GA, Lima IC et al. Dissolution, dislocation and dimensional changes of endodontic sealers after a solubility challenge : a micro-CT approach. Int Endod J 2016 (accepté pour publication).
  • [5] Schäfer E, Schrenker C, Zupanc J, Bürklein S. Percentage of gutta-percha filled areas in canals obturated with cross-linked gutta-percha core-carrier systems, single-cone and lateral compaction technique. J Endod 2016; 42:294-298.
  • [6] McMichael GE, Primus CM, Opperman LA. Dentinal tubule penetration of tricalcium silicate sealers. J Endod 201;42:632-636.
  • [7] Chen I, Salhab I, Setzer FC, Kim S, Nah HD. A new calcium silicate-based bioceramic material promotes human osteo- and odontogenic stem cell proliferation and survival via the extracellular signal-regulated kinase signaling pathway. J Endod 2016;42:480-486.
  • [8] Martins CM, Gomes-Filho JE, de Azevedo Queiroz ÍO, Ervolino E, Cintra LT. Hypertension undermines mineralization-inducing capacity of and tissue response to mineral trioxide aggregate endodontic cement. J Endod 2016;42:604-609.
  • [9] Gonçalves LS, Rodrigues RC, Andrade Junior CV, Soares RG, Vettore MV. The Effect of sodium hypochlorite and chlorhexidine as irrigant solutions for root canal disinfection : a systematic review of clinical trials. J Endod 2016;42: 527-532.