Clinic n° 09 du 01/09/2016

 

ENDODONTIE

Grégory CARON  

Ancien hospitalo-universitaire, Paris 7Ancien interne en odontologie, Paris 7Pratique limitée à l’endodontie, Paris
endocaron@gmail.com

L’objectif de cet article est de mettre en évidence les « freins cliniques » pouvant retarder la réalisation de la restauration définitive dans un cadre de dents nécrosées avec lésion ou retraitées et de montrer que l’approche restauratrice doit être la même quel que soit le statut pulpaire : dents vivantes, dents avec lésion.

La discipline endodontique vise à maintenir la dent traitée sur l’arcade dans un contexte physiologique : bonne santé des tissus péri-apicaux, dent fonctionnelle en occlusion statique et dynamique. Toute intervention par voie orthograde va engendrer un délabrement qui nécessite, à terme, une restauration coronaire, voire corono-radiculaire définitive. L’importance de la restauration est fonction du délabrement initial de la dent associée à la cavité d’accès réalisée. Sa réalisation rapide et minutieuse permet d’optimiser le pronostic du traitement endodontique dans le temps [1].

Autant il apparaît logique d’entreprendre le plus rapidement possible la restauration définitive sur des dents vitales sans lésion, autant de nombreuses réticences apparaissent lorsqu’il s’agit de restaurer définitivement et rapidement des dents nécrosées avec lésion ou des dents retraitées. La volonté est alors de temporiser pour attendre la cicatrisation osseuse, la restauration définitive étant assemblée quand une complète disparition de l’image radio-claire est obtenue.

Pourquoi restaurer rapidement ?

Peu de disciplines médicales présentent un taux de succès aussi élevé que l’endodontie, taux qui peut s’avérer supérieur à 90 % sur dents vitales [2]. Même si les données de la littérature scientifiques sont parfois différentes sur le pourcentage du taux de succès, les notions principales à retenir sont les suivantes :

• les dents vitales ont le meilleur taux de succès ;

• les dents nécrosées avec lésion ont un taux de succès diminué d’environ 10 % par rapport aux dents vitales ;

• les dents retraitées présentent un taux de succès similaires aux dents nécrosées avec lésion si la trajectoire canalaire n’est pas altérée (par exemple, perforations, stripping, fausse route…) [3].

De ces données, il ressort que le taux de succès des dents nécrosées avec lésion ou retraitées est finalement lui aussi très élevé (autour de 80 %). Il est donc très étonnant de faire une différence aussi marquée dans l’approche restauratrice de ces cas en retardant la restauration définitive.

Il est essentiel de comprendre que la cause principale des échecs endodontiques reste la percolation par manque d’étanchéité coronaire. Une voie de passage coronaire permet aux bactéries de la flore commensale d’infecter ou de réinfecter le traitement endodontique réalisé. Selon Nair [4], les différentes raisons d’un échec endodontique sont au nombre de six :

• présence bactérienne résiduelle, soit à cause d’un traitement endodontique perfectible soit par une percolation bactérienne coronaire ;

• infection extra-radiculaire ;

• extrusion de matériau d’obturation ou exogène (réaction à des corps étrangers) ;

• accumulation de cristaux endogènes de cholestérol ;

• lésion kystique vraie ;

• cicatrisation fibreuse.

Sur ces six causes évoquées, seule une est sous l’entière responsabilité du praticien : la présence bactérienne résiduelle.

La qualité du traitement endodontique et sa bonne conduite [5] permettent d’abaisser dans la majorité des cas le seuil bactérien à un niveau compatible avec la bonne santé des tissus péri-apicaux [6].

Le deuxième volet de la gestion bactérienne passe par le bon scellement coronaire des voies de percolation. Il n’est donc pas nécessaire, dans la plupart des cas, de temporiser sous peine de favoriser une recontamination coronaire.

Remarquons que toutes les autres causes évoquées d’échec endodontique ne sont pas gérables par voie orthograde. Soit une thérapeutique rétrograde soit l’avulsion pourra, dans ces cas d’échecs, apporter une cicatrisation osseuse.

Aspects biologique et économique

Face à une dent nécrosée avec lésion ou face à une dent retraitée, il est plus favorable pour la cicatrisation de réaliser la restauration définitive. Il est à ce stade important de dissocier l’aspect biologique de l’aspect économique. Au niveau biologique, un continuum endo-prothétique de bonne qualité et rapidement conduit assure une étanchéité optimale et permet de réduire les voies de réinfection. Ce scellement global permet aussi de bloquer toute voie de percolation qui faciliterait les échanges nutritifs des bactéries emmurées au sein de l’obturation canalaire.

Le niveau biologique correspond au traitement idéal : endodontie puis restauration définitive dans la foulée, mais il peut être modulé par un autre aspect plus prosaïque : l’aspect financier.

Au niveau économique, il existe des réticences à réaliser une restauration définitive s’il existe un risque d’échec. Il est toujours difficile d’expliquer à un patient que la dent traitée récemment nécessite une réintervention. Comme cela a déjà été évoqué, ce risque d’échec reste limité (moins de 20 %) et ne conduit pas nécessairement à l’avulsion. De nombreux cas peuvent être gérés par voie chirurgicale qui présente un fort taux de succès. L’investissement économique du patient peut s’avérer élevé et celui-ci a alors tendance à confondre obligation de moyens et obligation de résultat. Cela est d’autant plus marqué que le traitement endodontique a été réalisé par un spécialiste avec honoraires supérieurs au tarif de la convention.

Pour éviter les désillusions du patient, il est primordial de lui expliquer en termes simples l’importance de l’étanchéité à tous les stades du traitement, endodontie et restauration constituant un ensemble indissociable. Pour confirmer que ces données sont bien assimilées par le patient, il est fortement conseillé de lui présenter un consentement éclairé reprenant ces principaux éléments [7]. L’objectif est de lui faire comprendre que le traitement d’une dent infectée passe par le traitement endodontique mais aussi par une restauration définitive rapide. Une présentation des possibles échecs et de leurs conséquences ainsi qu’un devis exhaustif permettent au patient de prendre une décision libre et éclairée.

Ces prérequis peuvent sembler superflus mais si l’on remplace les mots « dents avec lésion » par « implant » tout semblerait plus acceptable. Or, la littérature scientifique ne démontre pas de différence significative dans le taux de survie entre implants et dents traitées à long terme [8]. Il n’y a donc aucune raison biologique et économique de mésestimer la prise en charge de dents avec lésion par rapport à la solution implantaire.

Comment temporiser si nécessaire ?

La temporisation souvent mise en place par les praticiens vise à s’assurer que la lésion cicatrise complètement avant la restauration définitive. Cette conception est intéressante intellectuellement : l’objectif est de s’assurer que les « fondations » (racines traitées) peuvent recevoir une « maison » (restauration coronaire) dans les meilleures conditions possibles. Cependant, cette phase de temporisation est particulièrement périlleuse et peut mettre en danger le traitement endodontique. En effet, la dynamique de cicatrisation osseuse peut mettre plusieurs mois, voire plusieurs années, pour une reconstruction osseuse ad integrum [9].

Dans les cas de dents avec lésion, il est plus intéressant d’évaluer la fonctionnalité de la dent. Il ne s’agit plus d’un taux de succès avec disparition de l’image radiologique mais plutôt d’un taux de survie : dent fonctionnelle sur l’arcade sans symptômes mais avec possible image radio-claire résiduelle. Le suivi est alors entrepris pour objectiver la disparition de l’image radio-claire dans le temps.

Le choix du matériau de temporisation est donc un facteur crucial pour pérenniser le traitement endodontique et éviter une recontamination de la dent traitée (fig. 1 à 5) si l’on souhaite avoir une complète cicatrisation avant la restauration définitive.

Très souvent, une confiance trop grande est apportée aux matériaux utilisés. Naoum et al. [10] décrivent, dans une revue de la littérature, les différents matériaux les plus indiqués pour une temporisation : ciment phosphate de zinc, ciment polycarboxylate, ciment oxyde zinc/sulfate de calcium (Cavit™, 3M-ESPE), ciment oxyde de zinc/eugénol (par exemple IRM®, Dentsply). Tous ces matériaux montrent une perte d’étanchéité à court terme (maximum : 1 mois). En d’autres termes, leur utilisation est très intéressante en interséance endodontique mais ne peut en aucun cas être envisagée sur une période longue de temporisation. Naoum et al. [10] ont aussi montré que l’étanchéité d’une couronne provisoire avec ou sans tenon est fonction de l’adaptation de celle-ci ainsi que du ciment utilisé lors de l’assemblage. Or, les ciments utilisés comme décrit précédemment sont le « talon d’Achille » de l’étanchéité. Si une reconstitution corono-radiculaire de type inlay-core, ou reconstitution corono-radiculaire par matériau inséré en phase plastique (RMIPP), n’est pas réalisée au préalable, la couronne provisoire doit seulement se concevoir comme une temporisation courte de 1 mois maximum.

Toujours d’après Naoum et al., le seul matériau transitoire pouvant être envisagé pour une temporisation longue est le ciment verre ionomère (fig. 6 à 10). Malgré ses bonnes propriétés physiques, il est soumis à des phénomènes d’usure dans le temps. Des contrôles réguliers sont nécessaires pour s’assurer de l’intégrité du joint et de l’absence de fracture du matériau.

Protocole

Une temporisation peut s’avérer nécessaire après un traitement endodontique pour diverses raisons :

• volonté du praticien et/ou du patient de constater une complète cicatrisation osseuse avant de réaliser la restauration définitive (fig. 11 à 13) ;

• volonté du patient de retarder la mise en place de la restauration définitive (déplacement, raison financière…) ;

• difficulté d’intervention par voie chirurgicale. Dans les secteurs postérieurs, l’accessibilité et/ou l’anatomie peuvent empêcher une chirurgie endodontique. Il est alors intéressant de temporiser pour s’assurer d’une bonne cicatrisation. Dans les secteurs antérieurs, la chirurgie endodontique peut entraîner des récessions disgracieuses sur des restaurations très esthétiques. Il est alors préférable de temporiser car si un échec survient, les modifications parodontales liées à la chirurgie ne seront pas préjudiciables au stade de la couronne provisoire ;

• cas « limite » à pronostic réservé. La dent présente une lésion endodontique mais aussi un contexte difficile : support parodontal affaibli ou pathologique, instrument fracturé non éliminé, perforations… (fig. 14 à 17).

Une fois le traitement terminé et la temporisation indiquée, il faut évaluer la perte de substance. Si celle-ci est faible (1 ou 2 parois), une temporisation à l’aide d’un ciment verre ionomère ou d’un composite direct est à réaliser. Si la perte de substance est plus importante (supérieures à 2 parois), il est nécessaire de réaliser la restauration corono-radiculaire définitive (inlay-core ou RMIPP). Une couronne provisoire directe ou extemporanée au laboratoire permet de stabiliser le contexte parodontal et occlusal dans le temps. L’avantage de la couronne de laboratoire sera la précision d’ajustage et le meilleur comportement mécanique.

Le suivi sera radiologique et clinique tous les 6 mois. Un examen attentif de la restauration temporaire sera toujours réalisé pour se prémunir de modification entraînant des pertes d’étanchéités (fig. 18).

Conclusion

La lésion endodontique ne doit pas apparaître comme un risque majeur d’échec des traitements. Si un protocole opératoire rigoureux est appliqué, la cicatrisation péri-apicale reste dans la plupart des cas très prédictible. Cette notion a déjà été évoquée par un des « pères fondateurs » de l’endodontie moderne, le Dr Herbert Schilder, sous la forme d’une équation : 100 % - x = taux de succès. En d’autres termes, chaque lésion endodontique possède une faculté de cicatrisation de 100 %. Le facteur diminutif x correspond aux éléments extérieurs pouvant influer négativement sur le pronostic : patient, dent, praticien, restauration… Ces variables ne sont pas toutes sous la coupe du praticien, telle par exemple une anatomie radiculaire complexe. D’autres en revanche sont le fait du praticien, telles l’évaluation de son plateau technique qui peut imposer de référer un retraitement avant des déconvenues peropératoires et la réalisation d’une restauration définitive rapidement après l’endodontie.

L’étanchéité corono-radiculaire doit donc se concevoir comme la dernière étape du traitement endodontique. Sa réalisation rapide (le mieux étant une gestion dans la séance endodontique) permet d’optimiser la cicatrisation des tissus péri-apicaux.

Un deuxième volet de cet article sera publié prochainement pour présenter les différentes possibilités restauratrices afin d’assurer l’étanchéité corono-radiculaire.

Bibliographie

  • [1] Gillen BMG, Looney SW, Gu LS, Loushine BA, Weller RN, Loushine RJ et al. Impact of the quality of coronal restoration versus the quality of root canal fillings on success of root canal treatment : a systematic review and meta-analysis. J Endod 2011;37:895-902.
  • [2] Sjogren U, Hagglund B, Sundqvist G, Wing K. Factors affecting the long-term results of endodontic treatment. J Endod 1990;16:498-504.
  • [3] Gorni FG, Gagliani MM. The outcome of endodontic retreatment : a 2-yr follow-up. J Endod 2004;30:1-4.
  • [4] Nair PN. On the causes of persistent apical periodontitis: a review. Int Endod J 2006;39:249-281.
  • [5] Haute Autorité de santé. Traitement endodontique. Saint-Denis-la-Plaine : HAS, 2008.
  • [6] Siqueira JF Jr, Rôças IN. Clinical implications and microbiology of bacterial persistence after treatment procedures. J Endod 2008;34:1291-1301.
  • [7] Zinman EJ. Endodontic records and legal responsibilities. In : Hargreaves KM, Berman LH (eds). Cohen’s pathways of the pulp. Toronto : Elsevier, 2006.
  • [8] Setzer FC, Kim S. Comparison of long-term survival of implants and endodontically treated teeth. J Dent Res 2014;93:19-26.
  • [9] Molven O, Halse A, Fristad I, MacDonald-Jankowski D. Periapical changes following root-canal treatment observed 20-27 years postoperatively. Int Endod J 2002;35:784-790.
  • [10] Naoum HJ, Chandler NP. Temporization for endodontics. Int Endod J 2002;35:964-978.