Clinic n° 09 du 01/09/2016

 

Gilbert BOUTEILLE Président de l’ordre national des chirurgiens-dentistes

Le grand entretien

Anne-Chantal de Divonne  

Gestion des suites de la mise en liquidation de Dentexia, organisation du Grenelle de la santé bucco-dentaire, publication d’un livre blanc, lancement d’un « pôle patient », changement de statut des assistantes dentaires… Un an après avoir pris les rênes de l’instance ordinale, Gilbert Bouteille fait le point pour Clinic sur les nombreux dossiers pris en main par l’Ordre et revient sur le rôle joué par l’institution « qui a été capable de fédérer toutes les composantes » de la profession pour porter 23 propositions.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant cette première année de présidence ?

L’affaire des patients Dentexia. Je ne pensais pas que tant d’obstacles empêcheraient les patients de retrouver leurs droits. Depuis la mise en liquidation de la société le 4 mars, l’Ordre s’est employé avec assiduité à trouver des solutions pour permettre aux patients de récupérer leur dossier. Cette phase de restitution a été complexe. Tout en respectant le secret médical, il a fallu rassembler les différents éléments des dossiers des patients : papiers, informatiques, empreintes. C’est grâce à la présence de l’Ordre, de l’agence régionale de santé (ARS), d’un huissier et d’un archiviste agréé que le secret professionnel a pu être préservé lors de la reconstitution des dossiers. Reste le délicat problème de la restitution et de la reprise des traitements.

Ce sont les centres de Lyon qui posent le plus de difficultés avec 16 000 dossiers en instance !

Et pourtant, l’Ordre a été mis en accusation par l’association des patients de Dentexia et par la Fédération nationale des centres de santé (FNCS)

S’agissant du collectif de Dentexia, c’est surprenant car nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir. Nous avons permis la récupération des dossiers et nous avons mis au point, avec l’accord du Ministère, les documents pour la reprise des soins avec le certificat de situation et le courrier d’accompagnement. L’Ordre n’a rien à se reprocher dans cette affaire, bien au contraire.

En cautionnant le fait que certains centres peuvent s’affranchir de toutes les règles déontologiques, la FNCS ne rend pas service aux autres centres de santé.

La position de l’Ordre est très claire. Nous ne nous opposons qu’aux centres de santé structurés comme ceux qui ont entraîné les dérives que l’on connaît. Ce sont des centres qui, sous couvert de fausses associations loi 1901, ne respectent pas les projets de santé pour lesquels ils ont été conçus mais dont le seul but est la rentabilité et le profit au détriment de la qualité des soins.

Il va de soi que nous les distinguons bien de la majorité des autres centres de santé.

Quelles solutions proposez-vous pour qu’un tel scénario ne se reproduise pas ?

La réécriture de l’article L. 6323-1 de loi concernant les centres de santé est indispensable. Il nous faut revenir à un agrément préalable à toute création de centre. Cet agrément devra être délivré par les ARS qui auront pour mission de vérifier les projets de santé et les règlements intérieurs présentés.

Mais il faut aussi fixer les limites pour une information objective et correcte concernant les centres de santé. Les règles d’information doivent être les mêmes qu’il s’agisse d’un centre de santé ou d’un chirurgien-dentiste. Car, en effet, c’est bien un marketing à outrance dans les médias qui a attiré de nombreux patients dans ces centres dits low cost.

Nous souhaiterions tout mettre en œuvre pour que la gestion partielle ou totale de ces associations loi 1901 ne soit pas confiée à des sociétés commerciales dont l’unique objet est la rentabilité. Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) doit apporter des solutions.

De plus, compte tenu de notre expérience, il paraît indispensable que le contrat d’assurance responsabilité civile professionnelle de tout praticien et de tout centre prévoie, dans le cas d’une cessation d’exercice sans repreneur, les conditions d’archivage et de restitution des dossiers médicaux.

L’Ordre est sollicité sur le changement de statut des assistantes dentaires. Quelles sont les options que vous défendez ?

Le Ministère veut une transposition rapide du métier dans le Code de la santé publique pour entériner le passage prévu par la loi de modernisation de notre système de santé. Nous sommes en négociation depuis le mois de mai avec les différentes composantes de la profession et le Ministère. Il ne faut cependant pas se précipiter car chaque mot a son importance. Quoi qu’il en soit, le passage dans le Code de santé publique ne devrait pas changer fondamentalement le mode d’exercice des assistantes dentaires dans un premier temps puisqu’il se fera sans doute à activité et compétences constantes. Nous pensons que cette transposition pourra satisfaire 70 ou 80 % des cabinets dentaires. Mais pour l’Ordre, il faut tendre rapidement vers un système à l’allemande, avec un niveau supérieur d’assistante dentaire aux activités et compétences plus importantes. Pour ce nouveau métier, le niveau de formation initial va devoir évoluer. Le BEPC ne sera plus adapté. Un niveau baccalauréat semble pouvoir répondre à de nouveaux besoins : de radiologie, d’informatique, organisationnels, de prévention, d’hygiène…

Mais, pour l’Ordre, il faudrait que tous les praticiens s’adjoignent une assistante dentaire. C’est un objectif ordinal. On compte 25 000 assistantes. C’est encore trop peu !

L’exercice partiel fait l’objet d’un projet de transposition de la directive sur la qualification professionnelle contre lequel vous avez pris position…

Effectivement, nous jugeons que le projet d’ordonnance du gouvernement qui prévoit d’appliquer l’accès partiel à la profession est d’autant plus inacceptable qu’il va à l’encontre de la lettre et de l’esprit de la directive sur les qualifications professionnelles. À quoi sert l’acquisition de qualifications si l’on organise son contournement pour donner accès en partie à la profession ?

Cela ferait disparaître le dispositif de reconnaissance automatique des qualifications professionnelles. Nous tomberions alors dans un régime général extrêmement complexe nuisant à la mobilité et à la sécurité. La profession de chirurgien-dentiste est une profession réglementée dans l’ensemble de l’Union européenne (UE) et bénéficie d’une reconnaissance automatique des diplômes. Quid de la visibilité pour le patient qui devra faire la différence entre chirurgien-dentiste et professionnel qui aurait l’autorisation de pratiquer certains actes sans être chirurgien-dentiste ?

De plus, nous avons des doutes quant à certaines formations dispensées dans quelques facultés de pays de l’UE.

Quel contrôle avons-nous sur les formations de ces autres professionnels ?

Par ailleurs, c’est faire fi de la réglementation européenne sur les textes concernant les professionnels de santé et la reconnaissance automatique des diplômes desdits professionnels de santé.

En fait, pour nous, il peut exister un exercice partiel intraprofessionnel (c’est-à-dire la pratique exclusive d’une discipline de la chirurgie dentaire par un chirurgien-dentiste) et non pas un exercice partiel interprofessionnel. Nous avons bon espoir de voir aboutir notre point de vue.

Les praticiens s’inquiètent de l’arrivée massive de jeunes ayant un diplôme étranger et de la qualité très inégale de certains diplômes. L’Ordre a-t-il des moyens d’agir ?

Parfois, on veut nous prêter des pouvoirs que nous n’avons pas. C’est le cas quand on nous reproche de laisser entrer des diplômés européens sur le territoire.

La directive européenne 2005-36 CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles contraint le Conseil national de l’Ordre à reconnaître les diplômes figurant dans ladite directive et ses annexes.

La Fédération des autorités compétentes et régulateurs dentaires européens (Fedcar), qui rassemble les Ordres européens et les organismes compétents pour l’inscription, la réglementation et la surveillance des praticiens de l’art dentaire, se préoccupe depuis longtemps de ces questions. Mettre en œuvre des instruments de régulation prendra beaucoup de temps.

Pour éviter de telles inégalités, il nous faudra alerter, conjointement avec les autres organisations européennes, la Commission européenne sur ces disparités. Il faudra en outre modifier les conditions d’organisation des études qui ne pourront se faire que par la modification de la directive et de ses annexes, ce qui bien évidemment devra prendre un certain temps.

L’Ordre a beaucoup misé sur les contrats de service public (CSP) pour améliorer la répartition des praticiens sur le territoire. Est-ce suffisant ?

Il y a eu une centaine de CSP cette année. C’est une belle réussite. Mais bien entendu cela ne suffit pas. L’Ordre est favorable à la mise en place d’une année de tutorat, en fin de formation initiale, dans les régions très sous-dotées. Cette année conditionnerait le conventionnement du jeune diplômé.

Mais, de manière plus générale, comment demander à un chirurgien-dentiste de s’installer dans des zones où il n’y a plus ni médecin ni pharmacien, quand l’État se désengage de tous ses services dans la plupart des villages ?

De plus, il n’y a pas suffisamment de postes offerts dans les structures hospitalières pour les diplômés de la spécialité en médecine bucco-dentaire qui a justement été créée pour alimenter les services hospitaliers. Il faudrait une vraie prise de responsabilité. Car quand des postes hospitaliers dans des endroits très sous-dotés seront pourvus, des étudiants pourront y effectuer des stages. Ce serait un autre moyen, identique à celui mis en place avec les services des centres hospitaliers régionaux (Dijon, Le Havre, Rouen, Amiens…).

Mais toutes ces mesures ne pourront pas remplacer un réaménagement régional complet de l’ensemble du territoire.

Vous venez de lancer un « pôle patient » à l’Ordre. Qu’en attendez-vous ?

Effectivement, il s’agit d’une satisfaction de cette première année de mandat d’avoir, en même temps que la réactivation des réseaux départementaux de référents handicap créés par Alain Moutarde en 2012, mis en place ce pôle patient pour rencontrer et dialoguer avec les associations représentant les patients, faire des recommandations d’exercice aux confrères (identifier les attentes des différentes catégories du public et les transmettre aux chirurgiens-dentistes), et, enfin, unifier et coordonner, sur le plan national, les actions de soins spécifiques envers les personnes âgées, dépendantes, en situation de handicap ou de précarité.

Ce pôle patient est une volonté personnelle. Au moment où l’on parle de démocratie sanitaire, où se posent des questions d’accès aux soins en fonction des différents types de la population, il me paraît logique d’entendre, de discuter et de proposer des solutions. En effet, il y a 40 000 chirurgiens-dentistes qui sont à l’écoute et qui soignent 800 000 patients par jour, ce n’est pas négligeable. Mais au niveau de la profession, nous n’avions pas de cadre d’écoute. Le processus est enclenché. Il nous faut instaurer un climat de confiance avec les diverses associations. Ces rencontres doivent être régulières et déboucher sur des avancées concrètes.

S’agissant des référents handicap, l’esprit est de les instituer au niveau régional.

De nombreux praticiens s’inquiètent de l’avenir du libéral en observant l’embauche massive de jeunes en tant que salariés. L’Ordre est-il prêt à défendre l’exercice libéral ?

Tout d’abord, l’Ordre rassemble tous les chirurgiens-dentistes, quel que soit leur mode d’exercice. L’exercice libéral est très bien représenté par les syndicats.

S’agissant de l’avenir du libéral, je ne suis pas pessimiste. Mais c’est maintenant un lieu commun que de dire que l’exercice en groupe sera le seul moyen d’exercer en libéral tandis que l’exercice individuel paraît en grand danger ne serait-ce qu’à cause des investissements importants à réaliser.

Bien au-delà de cette mise en commun des coûts, les échanges entre praticiens sont recherchés.

Beaucoup de jeunes, c’est vrai, deviennent salariés. Mais, au bout de quelque temps, ils retournent vers le libéral. La part des salariés progresse cependant et s’établit maintenant à 10 % de la profession. Mais à l’avenir, les salariés ne seront pas embauchés uniquement dans les centres ; on les retrouvera aussi au sein des structures libérales. À n’en pas douter, il y aura un changement profond de l’exercice libéral.

L’Ordre est-il vraiment dans son rôle lorsqu’il diffuse un livre blanc ?

Bien évidemment. Le « Grenelle de la santé bucco-dentaire » ayant abouti à ce livre blanc est aussi l’une des satisfactions de cette première partie de mandat.

Après avoir entendu toutes les doléances de très nombreux confrères à l’occasion du congrès de l’ADF en 2014, l’Ordre a, pour la première fois, manifesté sous la bannière « Sauvons nos dents » et a organisé la journée portes ouvertes des cabinets dentaires pour enrayer le « dentiste bashing ». Mais, au-delà de cette contestation, la profession se devait de faire des propositions concrètes. Ce livre blanc n’est pas le fruit de l’unique réflexion de l’Ordre. Il fait écho aux revendications de tous ceux qui ont participé au « Grenelle de la santé bucco-dentaire » que nous avons organisé. C’est en soi une grande victoire pour l’Ordre qui a été capable de fédérer toutes les composantes.

En revanche, dès que les revendications sont catégorielles ou relèvent de négociations conventionnelles, l’Ordre estime ne pas devoir s’immiscer.

Néanmoins, l’Ordre constate que toutes les dérives tournent autour du paradigme prothèse-implant versus soins de prévention et conservateurs, paradigme qu’il faut inverser. En effet, les centres mutualistes, les réseaux assurantiels, le tourisme médical, les centres dits low cost et les sites d’achats groupés s’intéressent principalement à l’implantologie et à la prothèse plutôt qu’aux soins conservateurs et de prévention.