Clinic n° 09 du 01/09/2016

 

LE POINT SUR…

Actu

L’association de centres de santé Dentexia, aujourd’hui en liquidation judiciaire, laisse un grand nombre de patients avec des traitements payés mais non finalisés. Clinic vous propose de faire le point sur ce scandale sanitaire non reconnu avec Maître Audrey Uzel, avocate au Barreau de Paris.

Comment cela a-t-il été rendu possible ?

On doit noter trois phénomènes distincts :

• l’aspect juridique. Avant la loi Bachelot de 2009, la création de centres de santé supposait l’obtention d’un agrément, ce qui permettait un contrôle a priori de la structure. Cette procédure a été supprimée au profit d’une simple déclaration. L’agence régionale de santé (ARS) ne peut plus contrôler les centres avant leur création, mais seulement en cas de manquement aux obligations sanitaires, comme cela a été le cas du centre Dentexia de Lyon ;

• l’aspect économique. Dentexia a surfé sur la grogne des patients estimant l’offre de soins dentaires libérale trop chère alors qu’en fait, c’est l’absence de revalorisation des taux de remboursement des frais dentaires par l’État qui engendre un reste à charge important pour le patient. Dentexia a rogné sur les coûts, favorisé les soins « rémunérateurs » et imposé une méthode de travail inspirée du taylorisme, au détriment du principe de qualité et de la sécurité des soins ;

• la malhonnêteté. La santé n’étant pas un commerce, la volonté du législateur était de ne confier la création et la gestion des centres de santé qu’à des organismes non lucratifs, établissements de santé et collectivités territoriales. Dentexia a perverti ce système. Si c’est bien une association qui délivre les soins, elle a recours à de nombreux prestataires pour des services très variés allant de l’achat de prothèses à la société de conseil en recrutement, prestations qu’elle paye très cher… L’association ne devient qu’une plateforme où transitent les flux financiers, avant d’alimenter des sociétés commerciales, détenues et/ou gérées par Pascal Steichen (voir schéma p. 10), fondateur de Dentexia.

Comment assurer la prise en charge des patients ?

Si un professionnel libéral peut assurer la reprise des soins, il devra toutefois faire preuve de la plus grande vigilance pour éviter de voir sa responsabilité engagée pour des actes qui relèveraient de la responsabilité de Dentexia. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), saisie par l’État sur la question de l’indemnisation des patients, fera peut-être des préconisations pour favoriser la reprise des soins dans des conditions sécurisées. Dans l’attente, j’identifie deux moyens de protection :

• d’abord, le praticien doit impérativement réaliser le bilan bucco-dentaire mis en place par l’État et remboursé par la Sécurité sociale au bénéfice des victimes de Dentexia, et remplir le certificat de situation bucco-dentaire. Ce document lui permettra de dresser un constat précis des soins réalisés par Dentexia, du reste à faire, des éventuelles anomalies constatées… Il est indispensable qu’il soit le plus précis possible pour permettre au professionnel de dégager sa responsabilité si elle était mise en jeu par le patient lors de la reprise des soins. Le document permettra en effet de définir ce qui relèverait de la responsabilité de Dentexia, ayant commencé les soins, et du professionnel, qui les poursuit. Il pourra également servir de base au patient pour une demande d’expertise judiciaire en cas d’action en responsabilité contre Dentexia ;

• ensuite, le praticien doit présenter un devis détaillé, énumérant les actes à réaliser, leur coût et les fournitures nécessaires. Il me paraît important de lier le devis au certificat de situation bucco-dentaire car il s’agit, pour le professionnel, d’expliquer que tous les soins listés sont strictement nécessaires. Selon moi, il pèse sur le professionnel de santé une obligation d’information renforcée dès lors que les soins ne peuvent être, à ce jour, remboursés par la Sécurité sociale. Laisser un délai de réflexion au patient, sauf urgence médicale, me paraît également nécessaire. Le devis détaillé auquel sera annexé le bilan bucco-dentaire devra être signé.

Qui sont les responsables ?

Dentexia doit bien évidemment assumer la pleine responsabilité de ce scandale. Les patients sont contractuellement liés à cette association et toute inexécution des prestations doit conduire à l’engagement de sa responsabilité. Cependant, la liquidation judiciaire de l’association fait obstacle à l’espoir qu’ont les patients d’obtenir un remboursement de la somme versée pour les prestations non effectuées. La responsabilité personnelle du gérant de Dentexia pourrait être recherchée à condition de prouver l’existence d’une faute personnelle de gestion de l’association. Le rapport de l’IGAS pourra peut-être faire la lumière sur des manquements du dirigeant.

Ces obstacles conduisent aujourd’hui le collectif de patients à solliciter la mise en place d’un fonds de solidarité, à l’instar de ce qui a pu être fait pour les prothèses PIP. Cette solution devrait être examinée par l’IGAS dans le cadre de son rapport. L’État pourrait néanmoins refuser une telle option, arguant des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique, qui autorise la réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale lorsque le taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique est supérieur à 25 %. Or, les juges admettent un taux moyen de 10 à 15 % pour la perte de toutes les dents…

Pourrait alors être envisagée la création d’un fonds de garantie, à l’instar de ce qui existe en matière d’accident de la circulation. Ce fonds est exclusivement financé par les assureurs, donc par les assurés… Il faudrait qu’intervienne une négociation entre l’État et les assureurs, et plus particulièrement l’assureur de Dentexia, pour tenter d’obtenir la mise en place de ce fonds.

La question de la responsabilité de l’État doit enfin être posée. Concernant le contrôle des centres Dentexia, l’ARS semble avoir opéré les contrôles qui s’imposent, ce qui ferait obstacle à ce que sa responsabilité soit engagée. Pourrait-on envisager la responsabilité de l’État pour abstention fautive, c’est-à-dire défaut de diligence pour prendre une décision ou sanctionner une action, comme elle a pu être reconnue dans l’affaire du Mediator ? Contrairement à l’affaire du Mediator, rien ne laisse présager que l’État aurait fait preuve de légèreté dans le contentieux Dentexia. Seul le rapport de l’IGAS pourrait mettre en lumière des éventuels manquements.

Que préconiser pour éviter qu’un tel scandale se reproduise ?

Pour éviter les dérives, on pourrait revenir au système d’agrément antérieur à la loi Bachelot, ce que n’a pas fait la loi de modernisation du système de santé votée en janvier 2016. Néanmoins, cela ne saurait suffire car, en apparence, Dentexia répondait pleinement aux dispositions de la loi. En effet, l’ARS n’aurait, dans cette hypothèse, vocation qu’à vérifier que le centre de santé répond aux dispositions de la loi, aux conditions techniques de fonctionnement et aux « exigences déontologiques ». En revanche, elle ne saurait assurer un contrôle de gestion de la structure, sauf à élargir les pouvoirs des ARS. Encore faudrait-il pouvoir justifier cette ingérence.

Il a pu être évoqué de limiter le droit de constituer un centre de santé aux seuls établissements publics de santé et aux collectivités locales. Si une telle hypothèse conduisait inévitablement à supprimer les dérives, elle stopperait surtout toute initiative privée, ce qui serait préjudiciable aux patients.

À mon sens, il faut que l’État agisse à la source en révisant le barème de la Sécurité sociale, ce qui limiterait le jeu de la concurrence dans le secteur dentaire et permettrait aux patients de prendre conscience du coût des soins dentaires, notamment liés à l’évolution des techniques qui leur sont proposées. Réévaluer le taux de remboursement des soins dentaires favoriserait une mise à plat au bénéfice des patients qui disposeraient réellement d’un libre choix entre l’offre libérale et l’offre « centre de santé ».