ENDODONTIE
Pr Martine GUIGAND* Dr Tara Mc MAHON** Pr Fabienne PÉREZ***
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**Bruxelles (Belgique)
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La préparation canalaire est une étape clé du traitement endodontique : elle en conditionne le succès. La complexité du système endodontique impose une préparation chimio-mécanique afin d’éliminer les tissus atteints d’inflammation irréversible ou infectés, ainsi que l’enduit pariétal généré par l’action instrumentale.
La mise en forme du système canalaire doit impérativement préserver l’anatomie initiale (longitudinale et transversale) et respecter les structures péri-apicales comportant les éléments cellulaires impliqués dans les processus de cicatrisation. Le maintien du foramen apical dans sa position originelle est essentiel.
Pour atteindre ces objectifs biologiques et faciliter l’accès des instruments et des solutions d’irrigation à la zone apicale, la préparation canalaire doit respecter des impératifs mécaniques :
• obtention d’une cavité d’accès permettant la visualisation et l’accès aux orifices canalaires ;
• obtention d’une préparation avec une conicité corono-apicale régulière ;
• préparation de diamètre et de conicité suffisants pour assurer un nettoyage et une obturation tridimensionnelle optimale mais raisonnée de manière à ne pas fragiliser les structures radiculaires.
Au cours des vingt dernières années, l’apparition de limes en nickel-titane (NiTi) utilisées en rotation continue a permis de franchir un pas décisif dans l’atteinte de ces objectifs. Les propriétés d’élasticité de cet alliage permettent une flexibilité importante des instruments tout en augmentant les conicités. Les systèmes de préparation canalaire à séquences pluri-instrumentales rendent difficile, d’un point de vue économique, un usage unique de ces instruments. L’utilisation répétée et non contrôlée d’instruments en nickel-titane provoque une diminution de la résistance à la fatigue de ces limes conduisant, dans la plupart des cas, à la fracture parfois sans déformation visible [1-4]. La prévalence des fractures instrumentales varie de 0,5 à 5 % [5]. Dans une étude réalisée en 2009, Alomairy montre que 78,1 % des instruments fracturés sont des instruments rotatifs en nickel-titane [6]. La flexibilité et l’élasticité de ces instruments rendent leur élimination plus difficile que celle des instruments en acier. Les procédures d’élimination utilisant des ultrasons ont tendance à provoquer des fractures répétitives du fragment compliquant considérablement l’acte opératoire. Le pronostic de succès du traitement peut par conséquent être très défavorable en fonction de la localisation de la fracture instrumentale et du type de canal.
Dans la majorité des cas, la fracture est une conséquence de forces combinées et « hybrides » [3]. En effet, lors de la préparation en rotation continue de canaux courbes, les instruments sont soumis à un phénomène de fatigue cyclique plus ou moins important en fonction de l’angle et du rayon de la courbure qui est difficile à évaluer par le praticien [7-11]. Dans le cas de canaux fins, l’étroitesse de la lumière canalaire peut entraîner un effet de gaine des parois sur la lime créant un blocage puis une torsion de la lime [12]. La plupart du temps, ces deux paramètres coexistent au sein d’un même canal.
Le concept de glide path, ou de pré-élargissement du canal, permet d’éviter ces risques de blocage et de sécuriser le travail des instruments de mise en forme [13-15]. Ce pré-élargissement peut être effectué à l’aide de séquences d’instruments manuels en acier ou rotatifs en nickel-titane.
Cependant, le contrôle du nombre de passages ne permet pas d’éliminer totalement le risque de fracture car les contraintes subies par un instrument en nickel-titane dépendent de nombreux facteurs, sont difficiles à apprécier et ne se traduisent pas obligatoirement par une déformation visible de l’instrument.
La mise au point d’instruments de pré-élargissement et de préparation canalaire à usage unique utilisables dans la majorité des situations cliniques permet de réduire a minima ce risque de fracture instrumentale. En termes d’asepsie et d’ergonomie, l’intérêt est évident car hormis la réduction du temps de travail du praticien (simplicité du protocole, gestion de la séquence endodontique facilitée, absence de comptage du nombre d’utilisations…), l’utilisation d’un instrument réservé à chaque patient permet d’éradiquer tout risque de contamination croisée. En effet, les procédures de nettoyage et de décontamination avant stérilisation requièrent beaucoup de temps et de méticulosité pour être efficaces et elles exposent le personnel non médical à des risques de blessures potentielles [16, 17]. De plus, certaines procédures de décontamination peuvent altérer les propriétés des instruments [18].
Peut-on, dès lors, combiner les nombreux avantages d’une instrumentation à usage unique, qui simplifie les procédures opératoires, et l’efficacité thérapeutique ?
Avant toute mise en forme canalaire, il est indispensable de réaliser le cathétérisme canalaire, première phase exploratoire du canal. Cette étape permet de pré-élargir le canal afin d’assurer un passage facilité de l’instrument rotatif suivant. Le cathétérisme peut être réalisé classiquement à l’aide de limes manuelles en acier inoxydable ou comme indiqué précédemment par des instruments rotatifs en nickel-titane [19]. Dans le concept de préparation One Shape® (MICRO-MEGA®), la préparation sera réalisée avec cet instrument après, en fonction du cas clinique, un cathétérisme manuel ou rotatif avec la lime One G.
Le One G est une lime mécanisée en nickel-titane pour le cathétérisme canalaire, sous blister stérile et à usage unique. Son diamètre apical est de 14/100 et sa conicité de 3 %. Cet instrument unique s’utilise à 250-400 tr/min et à un couple maximum de 1,2 Ncm (fig. 1).
La section est dissymétrique, c’est-à-dire que ses 3 arêtes de coupe sont situées sur 3 rayons différents par rapport à l’axe canalaire. Il a été montré que le risque de transport canalaire est réduit lors de l’utilisation d’un instrument très flexible doté d’une section asymétrique [20].
De plus, le One G possède un pas d’hélice variable. Le pas variable implique la présence d’angles d’hélice variables : plus l’angle est fermé et plus l’instrument est actif en rotation ; plus l’angle est ouvert et plus l’instrument est efficace en traction [21].
Toutes ces caractéristiques lui confèrent une grande flexibilité et efficacité ainsi qu’une diminution de l’effet de vissage [22].
Le One Shape® est un instrument de section dissymétrique en nickel-titane, utilisé en rotation continue à 400 tr/min, de diamètre apical 25/100, de conicité constante de 6 % ; il est proposé en trois longueurs : 21, 25 et 29 mm (fig. 2).
Le One Shape® présente la caractéristique innovante de posséder plusieurs formes de section instrumentale sur une même partie active de 16 mm.
La partie active est composée de 3 zones :
• une zone apicale de 2 mm ;
• une zone dite de transition de 7,5 mm ;
• une zone coronaire de 6,5 mm (fig. 3).
Les trois zones du One Shape® permettent de passer successivement d’une section dissymétrique en triple hélice avec 3 arêtes de coupe dans la zone apicale à une section en S dissymétrique avec 2 arêtes de coupe dans la zone coronaire.
L’intérêt de ces sections variables est de réaliser la mise en forme d’un canal avec un seul instrument en rotation continue, car chaque section répond à un objectif de la préparation canalaire :
• la section apicale à 3 angles de coupe facilite le guidage de l’instrument dans le canal pour assurer son meilleur centrage après l’utilisation du One G ou d’une lime K. La section en triple hélice des 2 mm apicaux lui confère aussi une résistance aux contraintes en torsion et augmente sa flexibilité pour la négociation des courbures canalaires [22] ;
• la zone de transition assure le passage de 3 à 2 arêtes de coupe par une modification progressive de la section (fig. 2) ;
• la zone coronaire présente une section dissymétrique en double hélice ou en S. Le principal avantage de cette forme est de coupler une efficacité de coupe à une bonne remontée et élimination des débris, l’espace libre entre l’instrument et la paroi canalaire étant plus important.
Parallèlement à cette section variable et dissymétrique, la flexibilité du One Shape® est assurée par un angle d’hélice et un pas variables. L’angle d’hélice est un paramètre essentiel pour déterminer non seulement l’efficacité de coupe mais aussi la résistance mécanique. Un angle plus important dans la zone coronaire limite les contraintes sur l’instrument et assure une coupe plus efficace.
Le pas variable est plus petit dans la zone apicale que dans la zone coronaire. De plus, ces deux éléments assurent une limitation des phénomènes de vissage. Grâce à ses caractéristiques, le One Shape® provoque moins d’extrusion de débris et de solution d’irrigation au niveau apical que les autres instruments uniques de mise en forme présents sur le marché [23].
De section en triple hélice, la pointe est inactive pour guider le One Shape® et accéder à la longueur de travail sans risque de fausse route ou butée (fig. 4).
Le One Shape® s’utilise selon les étapes suivantes :
• réaliser et analyser la radiographie préopératoire ;
• aménager la cavité d’accès (accès direct aux orifices canalaires et suppression des surplombs) et la remplir d’une solution d’hypochlorite de sodium (NaOCl) de 2,5 à 3,5 %. L’élimination des contraintes corono-radiculaires peut être obtenue par l’utilisation d’ENDOFLARE® (MICRO-MEGA®) sur les 3 premiers millimètres du canal ;
• effectuer l’exploration initiale des canaux à l’aide d’instruments en acier de faible diamètre précourbés (limes K10 ou MMC 10) qui fournissent des renseignements sur l’anatomie canalaire complémentaires à ceux obtenus par la lecture des clichés radiographiques préopératoires ;
• réaliser le cathétérisme canalaire à l’aide du One G :
– si le canal est perméable, le One G est amenée à la longueur de travail, déterminée auparavant avec une lime MMC 10 et à l’aide d’un localisateur d’apex,
– en revanche, si la perméabilité n’est pas obtenue, le One G pénètre par des mouvements verticaux de va-et-vient dans l’axe du canal jusqu’à la longueur atteinte par la lime MMC 10. Cela permet l’élimination des contraintes situées dans les tiers coronaire puis médian du canal. La lime 10 est ensuite précourbée pour rechercher la perméabilité. Lorsque la longueur de travail est déterminée, elle est reportée sur le One G qui pénètre jusqu’à cette longueur à une vitesse de 250 à 400 tr/min et à un couple maximum de 1,2 Ncm (fig. 5),
– un gel chélatant lubrifiant (du type MM-EDTA Cream®, MICRO-MEGA®) peut être utilisé avec la lime 10 ;
• réaliser la mise en forme canalaire grâce au One Shape® selon la dynamique suivante :
– le One Shape® est inséré en rotation continue à une vitesse de 350 à 450 tr/min et à un couple maximum de 2,5 Ncm. Cet instrument peut donc indifféremment fonctionner en rotation continue sur un moteur classique ou sur celui de l’unit à condition que la vitesse de rotation ait été contrôlée et soit parfaitement stable lors des manipulations,
– la mise en forme canalaire se fait en 3 étapes, avec la progression du One Shape® :
– aux deux tiers de la longueur de travail,
– à longueur de travail moins trois millimètres,
– à la longueur de travail (fig. 5),
– si l’instrument rencontre une résistance ou ne progresse plus, sortir l’instrument du canal, irriguer, nettoyer les spires avant de redescendre dans le canal ;
En ce qui concerne l’irrigation :
• pendant la préparation, irriguer avec une solution de NaOCl entre chaque passage du One Shape® à raison de 1 ml par canal et vérifier la perméabilité avec une lime 10 ;
• après la préparation, irriguer chaque canal avec 10 ml de NaOCl pendant au moins 15 minutes. L’activation ultrasonore et le renouvellement de la solution vont assurer l’antisepsie du réseau canalaire [24] ;
• ensuite, irriguer avec une solution chélatante (EDTA ou acide citrique) de 3 ml pendant 1 à 3 minutes pour éliminer l’enduit pariétal généré par l’instrumentation.
Une irrigation finale du canal à l’aide de NaOCl peut compléter la phase d’irrigation qui est l’étape essentielle de la préparation canalaire.
Le One Shape® est conçu pour traiter tous les ?canaux d’une même dent. Cependant, il est important de vérifier son intégrité entre chaque passage et de le jeter si la moindre imperfection est visible.
Le One Shape® doit être considéré comme un instrument permettant de simplifier la gestion de l’instrumentation endodontique. Il peut, grâce à son conditionnement sous blister stérile, éliminer les contraintes à la fois d’ergonomie et de stérilisation tout en assurant une préparation respectueuse des objectifs biologiques et mécaniques. Il réalise la préparation canalaire plus rapidement que d’autres systèmes de lime unique [25]. Cependant il ne doit pas être utilisé par le praticien dans une optique de gain de temps. Si, effectivement, la phase de mise en forme est plus rapide du fait de l’instrument unique, ce temps doit être mis à profit pour parfaire la phase d’irrigation canalaire, seule étape du traitement endodontique véritablement discriminante lors du traitement d’un canal infecté. L’étude de Rodriguez et al. [26] montre qu’une préparation apicale à 25/100 et une conicité de 6 % sont suffisantes pour qu’une aiguille d’irrigation de 30 G se positionne à 1 mm de la longueur de travail. Cependant, si le diamètre foraminal le nécessite, l’utilisation du One Shape® Apical 1 ou 2 peut compléter la mise en forme apicale (fig. 6). Possédant une partie active uniquement sur les 5 mm apicaux, le One Shape® Apical présente des contraintes limitées dans les canaux courbes car l’instrument ne travaille qu’en zone apicale. La conicité de 6 % de la partie travaillante ainsi que la conicité de 0 % de la portion coronaire de la lame confèrent flexibilité et centrage à l’instrument. Le One Shape® Apical 1 présente une section symétrique à trois arêtes de coupe tandis que le One Shape® Apical 2 présente une section dissymétrique, similaire à celle du One Shape®, permettant une meilleure remontée des débris du tiers apical. Il a été démontré, dans le cas de canaux ovalaires infectés in vitro, que pour un même diamètre de préparation, une même technique d’irrigation à la seringue (30 G) et avec un volume identique de NaOCl à 2,5 % (15 ml) d’une durée identique de contact, la quantité de bactéries résiduelles est comparable entre une séquence mono-instrumentale et une séquence plus complète de 4 instruments [27]. Ce n’est donc pas le type ou le nombre d’instruments qui conditionne l’antisepsie du canal mais bien le temps de contact avec les bactéries et le choix d’une solution d’irrigation antibactérienne (NaOCl) qui doit être placée au plus près de la longueur de travail et fréquemment renouvelée.
Le cas clinique ci-après (fig. 7 à 13) illustre l’utilisation du One Shape®.
Grâce à une utilisation en rotation continue, la solution One Shape® ne remet pas en question les habitudes opératoires du praticien. Proposé aussi sous la forme d’un blister unique stérile et prêt à l’emploi, le One Shape® Procedure Pack (fig. 14) permet d’allier simplification et sécurité tant au niveau clinique qu’à celui de l’organisation du cabinet.