Les extraits d’un rapport provisoire de la Cour des comptes, censé rester confidentiel, dressent un constat « accablant » du financement du secteur bucco-dentaire. Devant le tollé provoqué par cette « fuite », les syndicats ont été auditionnés. Si la profession a pu de nouveau s’exprimer, elle n’est pas pour autant rassurée sur le contenu du rapport définitif.
Dans ses colonnes du 28 avril, Le Figaro révélait la teneur d’un rapport provisoire de la Cour des comptes sur le financement du secteur bucco-dentaire. Il dressait le constat « accablant » du secteur, considéré comme étant un exemple de « faillite des politiques publiques face aux professionnels ». Le « désengagement » des pouvoirs publics, le « manque de transparence du secteur » ainsi que « l’indigence des contrôles de la profession » expliquent l’état de santé bucco-dentaire « médiocre » de la population française. Et pour les magistrats de la Cour des comptes, « les engagements pris par la profession n’ont en effet jamais été à la hauteur des efforts consentis par l’Assurance maladie. Ils n’ont par ailleurs pas été respectés ».
Le prérapport appelait donc l’Assurance maladie à un choix clair, celui de confier aux complémentaires de santé le remboursement des soins lourds pour concentrer ses moyens sur les actes de prévention et d’entretien. La Cour se disait aussi favorable à un développement plus large des réseaux de soins.
Aussitôt la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD) a réagi en demandant d’avoir accès à ce rapport : « Si la Sécurité sociale [qui dispose du prérapport] a bien le droit de réagir avant la publication finale, c’est également le cas des syndicats représentant les chirurgiens-dentistes qui ont contribué au travail de la Cour comme acteurs majeurs, négociateurs et signataires des conventions mises en cause. » La CNSD s’est aussi posé la question de « l’intérêt de ce rapport » divulgué 2 à 3 mois avant la parution des orientations du Gouvernement et de l’Assurance maladie pour la négociation de la convention, « sinon de venir troubler, voire torpiller les négociations, ou d’exercer un nouveau chantage sur les chirurgiens-dentistes ».
Dans la foulée, l’Union des jeunes chirurgiens-dentistes (UJCD) s’est élevée contre la mise en cause des chirurgiens-dentistes dans l’état de santé bucco-dentaire des Français qualifié de « médiocre » et contre « les prises de position et le caractère à charge ». Pour le syndicat, il est clair que la mission « est sortie de ses attributions officielles ».
Devant le tollé suscité par la divulgation de ce prérapport, la Cour des comptes a publié un communiqué dans lequel elle déplore cette « fuite » qui « porte atteinte au bon déroulement des procédures » ainsi qu’à « la bonne information des citoyens ». Et l’institution a annoncé de nouvelles auditions avec les syndicats, qui se sont tenues dans l’urgence le 4 mai, veille du week-end de l’Ascension ! Mais pas à la va-vite. Le dossier avait été soigneusement préparé par les magistrats. Chaque syndicat a reçu un questionnaire ciblé. Et les responsables syndicaux ont été reçus séparément par un aréopage de magistrats avec, à leur tête, le président de la 6e chambre, Antoine Durlemain.
Les magistrats ont confirmé, lors des auditions, leur opposition à fournir ce prérapport qui, ont-ils expliqué, n’est destiné qu’aux organismes institutionnels.
Lors des échanges, l’objectif de la CNSD a été de « restaurer la vérité sur les conventions dentaires », relate Catherine Mojaïsky, présidente de la CNSD. Et, surtout, « d’insister sur les objectifs et enjeux de la prochaine négociation », sur le fait qu’elle « doit être l’occasion de redonner une cohérence économique à toute l’activité » et sur la nécessité d’un « dialogue tripartite et des investissements conjugués » de l’assurance maladie obligatoire et des complémentaires. La CNSD a aussi alerté les responsables de la Cour des comptes sur les « effets délétères » de la régulation par la concurrence et les réseaux. « Le meilleur moyen d’avoir une dentisterie à deux vitesses est de laisser le secteur marchand réguler le secteur de santé », a prévenu Catherine Mojaïsky.
Que penser de ce rendez-vous ?
« L’écoute a été polie », a simplement remarqué la présidente de la CNSD.
« Est-ce une manœuvre de la Cour des comptes ou un retour à la raison ? Nous ne savons pas du tout à quoi ces entretiens vont aboutir », note Philippe Denoyelle, président de l’UJCD, qui a insisté auprès des magistrats sur la nécessité d’agir après de trop nombreuses années d’échanges sur les problèmes du secteur !
À la Fédération des syndicats dentaires libéraux (FSDL), Patrick Solera pense que l’audition n’était qu’une méthode visant à empêcher les syndicats de déposer plainte contre la Cour des comptes. Cette « convocation en catastrophe servait à éteindre l’incendie » !
Le rapport définitif est attendu pour le mois de septembre, à quelques jours de l’ouverture probable des négociations conventionnelles.