CARIOLOGIE
Michèle MULLER-BOLLA* Sophie DOMÉJEAN**
*Département d’odontologie
pédiatrique
UFR d’odontologie
Université de Nice-Sophia Antipolis UCA
URB2i-EA 4462
Nice
**Département d’odontologie
conservatrice-endodontie
UFR d’odontologie
Université d’Auvergne
Centre de recherche en odontologie clinique EA 4847
Clermont-Ferrand
Cet article se propose de faire la synthèse des dernières preuves scientifiques relatives aux dentifrices fluorés, topiques fluorés universellement reconnus. En effet, ils sont classiquement recommandés par de nombreuses associations nationales et internationales (ANAES, European Academy of Paediatric Dentistry, UFSBD…), mais le chirurgien-dentiste ne connaît pas toujours la concentration adaptée à l’âge et au risque carieux individuel ainsi que la méthode d’utilisation à conseiller.
L’utilisation régulière de dentifrice fluoré limite la déminéralisation liée aux chutes de pH qui suivent chaque prise d’aliments ; elle favorise la reminéralisation et peut agir sur les bactéries cariogènes en limitant leur métabolisme énergétique. Certains dentifrices fluorés à de haute concentration peuvent même avoir un effet thérapeutique, en favorisant la reminéralisation des lésions carieuses non cavitaires. Le brossage régulier, au moins biquotidien, avec un dentifrice fluoré est classiquement considéré dans l’évaluation du risque carieux individuel qui va influencer les choix thérapeutiques du praticien [1].
Fausse idée reçue : « Le dentifrice fluoré doit être systématiquement recommandé chez les enfants et les adolescents alors que chez les adultes, il perd de son intérêt. »
Il doit être utilisé à tous les âges chez les sujets dentés.
En référence à la fraction préventive (FP) (encadré 1) et par rapport à un placebo, les dentifrices fluorés à 1 000-1 250 ppm (FP : 22 % ; IC 95 % : 19 à 26 % ; 54 essais cliniques randomisés) sont moins efficaces que ceux à 2 400-2 800 ppm (FP : 37 % ; IC 95 % : 18 à 56 % ; 4 essais cliniques randomisés) en dentures mixte et permanente. Ainsi, comparés entre eux, les dentifrices fluorés à 1 000-1 250 ppm sont significativement moins efficaces que ceux à 2 400-2 800 ppm (FP : 12 % ; IC 95 % : 6 à 18 % ; 6 essais cliniques randomisés) [2].
De nouveaux dentifrices contenant de l’arginine sont commercialisés en grandes surfaces, du fait de leur concentration en fluor à 1 450 ppm. Ils se sont révélés significativement plus efficaces que des dentifrices de même concentration en fluor à l’issue d’un suivi de 2 ans. L’arginine métabolisée par les bactéries de la plaque dentaire entraîne la production d’ammoniaque limitant la baisse du pH [3, 4]. Comme les dentifrices à base d’arginine sont supposés avoir un rapport coût/efficacité supérieur à celui des dentifrices à 2 400-2 800 ppm exclusivement proposés en pharmacie, il serait donc intéressant de les recommander aux sujets à risque carieux individuel élevé.
En denture temporaire, l’efficacité cario-préventive des dentifrices fluorés à moins de 600 ppm n’a pas été démontrée (FP : 24 % ; IC 95 % : - 17 à 66 % ; 2 essais cliniques randomisés) contrairement à ceux à 1 000-1 500 ppm (FP : 16 % ; IC 95 % : 8 à 25 % ; 1 essai clinique randomisé) [5]. Ainsi, il y a augmentation du risque de lésions carieuses (risque relatif : 1,13 ; IC 95 % : 1,07 à 1,20 ; 3 essais cliniques randomisés) en cas d’utilisation de dentifrices à moins de 600 ppm par rapport à ceux à 1 000-1 500 ppm sans pour autant diminuer le risque de fluorose des dents permanentes antérieures supérieures (risque relatif : 0,32 ; IC 95 % : 0,03 à 2,97 ; 2 études) [6].
Les auteurs précédemment cités sont en faveur de l’utilisation des dentifrices à 1 000 ppm en denture temporaire en considérant l’effet cario-préventif mais aussi le risque de fluorose [2, 5, 6].
Le risque de fluorose est associé à la prise de dentifrice fluoré à une concentration inappropriée avant l’âge de 1 an [7] ou de 2 ans [8]. Pourtant, c’est l’âge de 3 ans qui est classiquement désigné comme la limite d’âge critique en deçà de laquelle la proportion de dentifrice ingérée est de l’ordre des deux tiers de la quantité utilisée (fig. 1). En pratique clinique, chez un enfant de moins de 6 ans à risque carieux élevé, le bénéfice d’un dentifrice fluoré à 1 000 ppm doit être considéré par rapport au risque de fluorose et la décision fondée sur la notion de bénéfice/risque doit être discutée avec les parents [7, 9]. Aussi, dans ce contexte, la quantité de dentifrice doit être supervisée pour réduire le risque de fluorose tout en renforçant l’effet cario-protecteur. Ainsi, une trace de dentifrice à 1 000 ppm peut être recommandée de 1 à 3 ans pour passer à une quantité équivalente à la taille d’un petit pois après l’âge de 3 ans [9] (fig. 2 et 3).
Fausse idée reçue : « Il faut recommander un dentifrice au goût fruité car il favorise la réalisation du brossage chez les enfants de moins de 6 ans. »
Ces dentifrices ont l’inconvénient d’être avalés en plus grande quantité du fait de leur agréable goût sucré.
Un dentifrice à 5 000 ppm utilisé deux fois par jour permet d’intercepter des lésions carieuses non cavitaires actives, coronaires et radiculaires, par comparaison à des dentifrices fluorés standard dans le cadre d’essais cliniques randomisés respectivement réalisés chez des adolescents [10] et des adultes affectés par des récessions gingivales [11]. De même, le dentifrice contenant 1 450 ppm de fluor et 1,5 % d’arginine est plus efficace qu’un dentifrice fluoré standard de même concentration dans l’interception des lésions radiculaires [12]. En pratique, l’interception des lésions non cavitaires grâce à l’utilisation biquotidienne d’un topique fluoré dépend également de la correction des facteurs prédisposant le sujet à un risque carieux élevé (par exemple, conseils visant à corriger une alimentation riche en sucre, scellements des puits et sillons anfractueux).
Il faut recommander aux parents d’effectuer ou de superviser le brossage de leur enfant pour une réduction significative de l’incidence carieuse (FP :- 10 % ; IC 95 % : - 17 à - 4 % ; 46 essais cliniques randomisés) [13]. Cette recommandation s’applique jusqu’à au moins 6 ans, même si elle est souvent difficile à imposer avec l’acquisition de l’indépendance de l’enfant en âge préscolaire (fig. 4).
Quel que soit l’âge, il faut au moins se brosser les dents 2 fois par jour (FP d’un brossage biquotidien comparé à un brossage quotidien : 14 % ; IC 95 % : 6 à 22 % ; 70 essais cliniques randomisés) [13].
Fausse idée reçue : « Il faut se rincer les dents après le brossage. »
Au contraire, le rinçage réduirait l’effet du dentifrice fluoré. Il suffit de recracher l’excès de dentifrice présent en bouche sans se rincer à l’eau [6].
La fraction préventive (FP) se calcule en référence à la différence d’augmentation du CAOF (D) ou du caof (d)*, pendant le suivi de l’essai clinique randomisé, entre le groupe de sujets « traités » avec le dentifrice fluoré testé et le groupe de sujets « contrôles » utilisant un placebo ou un dentifrice d’un autre dosage.
La fraction préventive indique le pourcentage de lésions carieuses évitées grâce au dentifrice fluoré testé comparé au contrôle. Son intervalle de confiance à 95 % (IC 95 %) ne doit contenir que des valeurs limites positives lorsque le dentifrice fluoré testé est efficace.
* CAOF (D) : nombre de faces (dents) permanentes cariées, absentes pour cause de carie et obturées. L’indice carieux écrit en lettres minuscules fait référence aux dents temporaires.