ODONTOLOGIE RESTAURATRICE
Caroline MOCQUOT* Ana CABRERA** Nelly PRADELLE-PLASSE***
*Docteur en chirurgie dentaire
Université Paris Diderot
Équipe Biomatériaux et Interfaces biologiques
Laboratoire Multimatériaux et Interfaces
(UMR CNRS 5615) Lyon 1
35, avenue Mac-Mahon
75017 Paris
**Docteur en chirurgie dentaire
Ancien AHU
Université Paris Diderot
Service d’odontologie
AP-HP hôpital Rothschild
8, rue de Jarente
75004 Paris
***Docteur en chirurgie dentaire, MCU-PH
Université Paris Diderot
Service d’odontologie
AP-HP hôpital Rothschild
Équipe Biomatériaux et Interfaces biologiques
Laboratoire Multimatériaux et Interfaces
(UMR CNRS 5615) Lyon1
5, rue Garancière
75006 PARIS
Le nombre de licenciés à la Fédération française d’étude et des sports sous-marins ne cessant d’augmenter depuis une vingtaine d’années, proposer des recommandations en odontologie restauratrice et en endodontie pour les patients plongeurs semble nécessaire tant pour les chirurgiens-dentistes que pour les patients. Le but ultime est de limiter les barodontalgies (douleurs pouvant survenir en plongée), ces dernières pouvant être à l’origine d’accidents faisant oublier les règles de base de la plongée.
Le nombre de licenciés à la Fédération française d’étude et des sports sous-marins (FFESSM) ne cesse d’augmenter depuis une vingtaine d’années (88 517 en 1986, 147 550 en 2013 [1]). Par conséquent, les praticiens sont de plus en plus souvent confrontés à des patients présentant des douleurs dentaires à la suite d’une plongée sous-marine, les barodontalgies, mais également à des patients s’interrogeant sur la possibilité ou la nécessité de réaliser des soins dentaires avant de plonger.
Les barodontalgies se définissent comme des douleurs dentaires provoquées par des variations de pression du milieu ambiant. Autrefois, ces douleurs étaient appelées « aérodontalgies » car elles concernaient essentiellement les pilotes en milieu hypobare (« aéro » signifiant air en grec). Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses études ont été menées pour étudier ce phénomène. En 1965, Shiller publie un article dans lequel il s’intéresse plus particulièrement aux douleurs dentaires en conditions hyperbares [2]. Il montre que les phénomènes impliqués dans les douleurs dentaires en conditions hypobares et hyperbares sont similaires. C’est à partir de cette date que le terme « barodontalgie » a été utilisé, « baro » faisant référence aux variations de pression.
Cet article se propose, après réalisation d’une expérimentation in vitro, de fournir des recommandations en odontologie restauratrice aux chirurgiens-dentistes car la littérature médicale actuelle est quasi inexistante dans ce domaine et les quelques articles sur le sujet ne sont pas adaptés aux techniques et matériaux actuels. L’expérimentation in vitro a été conduite afin d’évaluer l’impact d’une augmentation de pression simulée (milieu hyperbare, situation retrouvée en plongée), sur une interface dentine/composite.
En milieu hyperbare, les barodontalgies peuvent être associées à des fractures des dents ou des restaurations, voire à la perte des obturations. Le phénomène est appelé odontalgies barotraumatiques. Les variations de volume, impliquées dans les ?barotraumatismes, s’expliquent par la loi de Boyle-Mariotte. Selon cette loi, à température constante, le volume d’un gaz est inversement proportionnel à sa pression (pression × volume = constante) [3]. Les barotraumatismes peuvent se produire à la descente en plongée. Ce phénomène serait dû à la présence d’une cavitation sous une restauration : hiatus sous une obturation (avec ou sans reprise de lésion carieuse), présence d’un espace vide avec un coton, système canalaire non obturé, etc. L’augmentation de pression va entraîner une compression de l’obturation (fig. 1, flèches bleues) et, lors de la descente en plongée, le volume d’air sous la restauration va diminuer (fig. 1, flèches vertes). Ces deux phénomènes vont favoriser la fracture de la restauration [4]. Une lésion carieuse sous une restauration non étanche peut être à l’origine de barotraumatismes au cours d’une remontée en plongée. Dans un premier temps, lors de la descente (augmentation de pression), l’air pénètre en force dans la cavité carieuse (fig. 2, flèches bleues) puis dans un second temps, pendant la remontée (diminution de pression), l’air augmente en volume sous la restauration dentaire et entraîne la fracture de la restauration et/ou de la dent (fig. 2, flèches vertes) [4].
Des douleurs dentaires peuvent aussi survenir en plongée sans barotraumatismes associés. Elles sont l’expression aiguë d’une pathologie clinique préexistante (pulpite réversible, irréversible, nécrose pulpaire ou pathologies péri-apicales). Ce sont les odontalgies barogéniques. Une sinusite barotraumatique peut également être à l’origine de douleurs référées sur les prémolaires et molaires maxillaires. On appelle ces douleurs dentaires des barodontalgies d’origine sinusienne.
La conséquence ultime de ces barotraumatismes peut être, si la douleur est trop violente, un oubli des règles de sécurité, notamment le non respect des paliers de décompression, pouvant conduire à un risque mortel.
À ce jour, aucune étude ne répertorie les conséquences d’une variation de pression sur l’étanchéité de l’interface dentine/composite. L’objectif de ce travail a été d’évaluer l’impact d’un milieu hyperbare simulé sur une interface dentine/composite dans une situation clinique :
• où la restauration est en continuité avec les marges tissulaires : obturation idéale cliniquement ;
• où la restauration présente une porosité au sein du matériau entraînant un hiatus au niveau de l’interface : obturation présentant un défaut (fig. 3 à 5).
La moitié des interfaces (dont 50 % avec porosité et 50 % sans porosité) ont été placées à l’intérieur d’un cylindre en acier inoxydable, spécialement conçu pour cette expérimentation. Ce cylindre a été fabriqué dans le service Mécanique, Ultravide et Technologies associées du laboratoire SYRTE, de l’Observatoire de Paris, sous la direction de M. David Holleville (fig. 6 et 7). Les échantillons ont été soumis à 6 reprises à une pression comprise entre 5,5 et 6 bars, ce qui équivaut à une profondeur de 45 à 50 mètres en plongée.
Ensuite, un test simple de percolation de colorant a été réalisé sur l’ensemble des échantillons : plus le colorant pénètre au niveau de l’interface, plus les défauts d’étanchéité sont importants (fig. 8 et 9).
La pénétration du colorant est plus importante dans le lot soumis à un milieu hyperbare et comprenant une porosité puis dans le lot également soumis à un milieu hyperbare mais sans porosité. Ensuite le pourcentage de pénétration est quasiment similaire dans les lots laissés à pression ambiante (avec ou sans porosité) (fig. 10).
Les pourcentages de percolation supérieurs dans les lots soumis à un milieu hyperbare par rapport aux lots laissés à la pression ambiante mettent en évidence qu’un milieu hyperbare simulé augmente la perte d’étanchéité au niveau de l’interface, et ce d’autant plus que l’obturation présente un défaut.
Ces résultats montrent que les conditions hyperbares favorisent les pertes d’étanchéité au niveau du joint adhésif ; l’importance du choix du système adhésif et la qualité du respect du protocole sont donc primordiales. Selon les données de la littérature scientifique, concernant les valeurs d’adhérence et d’étanchéité des systèmes adhésifs, il sera préféré les systèmes avec mordançage et rinçage (M&R) et, particulièrement, ceux en trois étapes, les M&R III. Cependant, si un système automordançant est utilisé, son étanchéité peut être optimisée avec un mordançage sélectif préalable de l’émail [5, 6].
Concernant les deux lots soumis à un milieu hyperbare, la pénétration plus importante du colorant dans celui comprenant une porosité par rapport à celui sans porosité montre que la présence d’un défaut va favoriser l’ouverture d’une voie de passage et les échanges entre le centre et l’extérieur de l’interface. Pour limiter ce phénomène, il apparaît primordial d’obtenir une adaptation parfaite entre le matériau de restauration et les tissus dentaires. L’utilisation de composite fluide (sur des zones ne présentant pas de contraintes mécaniques importantes ou en fond de cavité) [7], d’instruments engendrant des vibrations sur les composites [8] ou le préchauffage des composites [9] peuvent constituer une solution pour limiter la présence de bulles d’air.
Lors d’un rendez-vous de contrôle, tout doute concernant l’étanchéité d’une restauration doit se traduire par une réintervention. En ce qui concerne les matériaux à privilégier, chez les patients plongeurs, la majorité des publications anciennes (avant 1990) préconisait de mettre en place un fond de cavité à base d’oxyde de zinc eugénol sous les obturations à l’amalgame [10]. Les matériaux actuellement disponibles nécessitent une réflexion, avant leur mise en place chez le patient plongeur, fondée sur leurs propriétés mécaniques et leur caractère poreux.
Le ciment verre ionomère (CVI) sera indiqué en tant que substitut dentinaire : c’est un isolant thermique et électrique, il adhère spontanément aux tissus dentaires par réaction de chélation, il permet de compenser la contraction de prise liée aux composites et il assure une bonne étanchéité avec les tissus calcifiés, ensemble des qualités recherchées dans la prévention des barodontalgies [7].
En raison des faibles propriétés mécaniques et d’adhérence de l’hydroxyde de calcium, son utilisation en fond de cavité est proscrite : il est inutile de multiplier les interfaces.
Il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’étude permettant de préconiser les restaurations à l’amalgame ou au composite dans un milieu hyperbare. Cependant, l’amalgame n’étant pas étanche, la tendance se tournerait plutôt vers une restauration adhésive.
Tout comme pour la population générale, il est conseillé chez les patients plongeurs d’avoir recours à des restaurations indirectes pour les cavités larges et profondes. En effet, le risque d’imperfections augmente avec le volume de la cavité. La contraction de polymérisation des composites en méthode directe sera d’autant plus importante que la cavité est volumineuse (tableau 1) [11].
Chez les patients pratiquant la plongée sous-marine, les coiffages pulpaires directs sont à proscrire. En effet, les variations de pression ont un impact négatif sur la régénération tissulaire de la pulpe [12]. Dans ces situations, il est recommandé de réaliser le traitement endodontique de la dent [13]. Il faudra respecter tous les principes de mise en forme canalaire afin de réaliser une obturation tridimensionnelle étanche. Cette obturation tridimensionnelle est primordiale afin d’éviter la présence d’espaces vides au sein de l’obturation qui pourraient provoquer une accumulation de gaz dans la racine lors de la plongée. Ces gaz, ne pouvant pas s’échapper à la remontée, pourraient entraîner ainsi une fracture radiculaire [14]. D’après l’étude de Stoetzer et al. [15], deux techniques d’obturation endodontique sont à privilégier en condition hyperbare : la gutta-percha préchauffée sur tuteur et la compaction verticale à chaud. En effet, ces techniques présentent une étanchéité supérieure à la condensation latérale à froid et l’obturation avec du Résilon®. Von See et al. ont également réalisé une étude in vitro dont l’objectif était d’évaluer l’influence des variations de pression sur la chambre pulpaire au cours des différentes étapes d’un traitement endodontique [16]. Ils ont montré qu’une obturation endodontique étanche, en combinaison avec un scellement du plancher pulpaire, fournissait un joint étanche dans des conditions hyperbares.
Le chirurgien-dentiste veillera à ce que les patients ne plongent pas pendant les différentes phases du traitement endodontique.
En préopératoire, le diagnostic d’une pathologie nécessitant un traitement endodontique (pulpite irréversible, nécrose pulpaire ou pathologies péri-apicales) contre-indique la pratique de la plongée sous-marine.
En peropératoire, au cours des étapes intermédiaires d’un traitement (pulpotomies et pulpectomies), la présence d’un vide caméral (boulette de coton) et celle de pansements temporaires qui présentent de mauvaises propriétés mécaniques sont des contre-indications à la plongée.
En postopératoire, un délai d’attente est nécessaire avant de plonger. Il est conseillé de laisser s’écouler 24 heures après l’obtention du silence clinique sur la dent traitée. Le silence clinique correspond à la disparition des symptômes postopératoires liés aux manœuvres canalaires (tableau 1) [17].
L’expérimentation réalisée a soulevé certaines interrogations non référencées dans la littérature scientifique. D’une part, que penser des matériaux à base de silicate de calcium actuellement disponibles (Biodentine®, ProRoot MTA®…) pour les techniques de coiffage pulpaire indirect (les coiffages directs étant déconseillés chez les patients plongeurs) ? Ils sont poreux en phase initiale de cristallisation et un délai après la mise en place et avant de plonger doit-il être indiqué afin d’attendre la fin de la réaction de prise [18] ? D’autre part, est-il possible d’envisager chez un patient plongeur les techniques actuelles de traitement des lésions carieuses profondes ? Elles consistent en une élimination sélective du tissu carieux, localisée au niveau des marges de la restauration, laissant en fond de cavité du tissu affecté, voire infecté. Ces tissus présentent des propriétés mécaniques moindres mais, surtout, un support déminéralisé et déprotéinisé donc poreux [19].
Les chirurgiens-dentistes devraient s’intéresser, lors de l’anamnèse, aux loisirs de leurs patients afin d’évaluer si leurs activités ont des conséquences sur la sphère oro-faciale. De même, les patients plongeurs ou pilotes doivent informer leurs dentistes des activités qu’ils pratiquent. La prévention des barodontalgies est primordiale étant donné les conséquences que peuvent entraîner la survenue de ces douleurs ainsi que la perte d’un fragment dentaire ou d’une restauration, particulièrement en situation isolée. Il convient donc d’adopter une approche plus interventionniste dans la prise en charge des pathologies dentaires chez les patients plongeurs qu’au sein de la population générale.