ENDODONTIE
Jean-Charles MICHONNEAU* Anne-Charlotte FLOURIOT**
*Certificat d’endodontie
(Université libre de Bruxelles)
Assistant universitaire en endodontie
(Université libre de Bruxelles)
Coresponsable de la formation
en endodontie (Université Libre
de Bruxelles)
20, rue de la Clef
75005 Paris
**Master BCPP parcours endodontie
DUEE et DUEEC Paris 7
Attachée au DU d’endodontologie,
Paris 7
20, rue de la Clef
75005 Paris
Les taux de succès en endodontie rapportés dans la littérature médicale sont d’une extrême variabilité et peuvent laisser perplexe le praticien qui chercherait à les interpréter.
Outre le manque de standardisation lié au matériel et au protocole de traitement utilisés, la plupart des études menées jusqu’à présent disposent d’une évaluation radiographique qui présente certaines limitations, de critères de succès qui diffèrent souvent et de taux de rappels extrêmement variables. Tous ces facteurs, associés au manque fréquent de prise en compte du facteur temps, compliquent l’analyse des données publiées et rendent difficile l’évaluation du succès en endodontie.
Dans les études évaluant le succès du traitement endodontique, on cherche généralement à mettre en évidence une disparition totale de l’image radio-claire apicale ou, dans le meilleur des cas, sa régression.
Pour y parvenir, la radiographie intrabuccale est, aujourd’hui encore, l’outil de base utilisé pour établir l’état de santé péri-apicale de la dent. Il est cependant démontré que cet examen présente d’importantes limitations pour diagnostiquer un péri-apex sain [1, 2].
En raison de la superposition des structures anatomiques attenantes, la présence d’une pathologie péri-apicale pourtant bien réelle peut clairement passer inaperçue (fig. 1 à 3). Ainsi, tant que la lésion reste confinée à l’os spongieux, elle sera très difficilement détectée sur un cliché péri-apical. Plus l’épaisseur de corticale est importante, plus la détection en deux dimensions est difficile [1, 2]. Sur un simple cliché péri-apical, l’absence de radio-clarté péri-apicale ne signifie donc pas pour autant une absence systématique de lésion osseuse [3] (fig. 4 et 5).
Ces limitations de la radiographie intrabuccale en matière de diagnostic sont devenues encore plus évidentes avec l’émergence du scanner et du cone beam (CBCT, cone beam computed tomography) qui possèdent une sensibilité nettement supérieure.
D’après les travaux de Patel et al. [4], la sensibilité, c’est-à-dire la capacité à détecter une lésion alors qu’elle existe réellement, approcherait 100 % lors de tests ex vivo sur mandibules humaines sèches. Les chiffres rapportés par De Paula-Silva et al. [5] vont aussi dans ce sens avec un taux de détection de dents avec pathologie apicale de seulement 71 % à l’aide de clichés péri-apicaux contre 84 % par le CBCT.
Par rapport à une sensibilité de seulement 28 % pour la radiographie panoramique et de 55 % pour les clichés péri-apicaux, le CBCT est le meilleur outil diagnostique radiographique [6].
On comprend donc aujourd’hui le manque évident d’objectivité des résultats rapportés par toute étude se fondant sur la radiographie conventionnelle uniquement. Le recours au CBCT peut sembler s’imposer pour une évaluation la plus exacte possible de l’état de guérison des tissus péri-apicaux après traitement, au risque d’offrir une vision plus pessimiste des choses.
Lorsque Estrela et al. [6] rapportent des taux de succès 30 % plus faibles en utilisant le CBCT plutôt que des clichés péri-apicaux, ou qu’ils montrent des images radio-claires de taille augmentée en 3 dimensions alors qu’on observait un début de guérison en 2 dimensions, on comprend en effet que toutes les études publiées jusque-là puissent donner des taux de succès très probablement surestimés lorsque seul le critère radiographique est pris en compte.
Le CBCT possède cependant quelques limites. Aucune distinction n’est en effet possible par le biais de cet examen entre un tissu inflammatoire et un tissu cicatriciel subsistant parfois après une chirurgie. On peut alors se demander si toutes les radio-clartés péri-apicales détectées par CBCT sont à interpréter systématiquement comme l’existence d’une réelle pathologie ou simplement comme du tissu inflammatoire en voie de cicatrisation [7] (fig. 6 et 7).
Pope et al. [8] ont également montré que des dents ayant une pulpe vivante pouvaient présenter une image apicale visible sur un CBCT. Sur 166 dents vivantes asymptomatiques présentes dans leur étude, 119 présentent une image apicale nettement visible au CBCT.
Par ailleurs, l’état inflammatoire de la dent peut entraîner une modification de l’espace desmodontal pouvant aller jusqu’à l’apparition d’une lésion péri-apicale d’origine endodontique visible au scanner et parfois à la radiographie intrabuccale (fig. 8 à 10).
L’hétérogénéité des résultats rapportés dans la ?littérature médicale s’explique aussi par une certaine ambiguïté dans la définition du succès en endodontie.
Sur le plan biologique, la lésion apicale, de nature granulomateuse ou kystique, représente une défense de l’organisme contre les bactéries contenues dans l’endodonte. Le traitement endodontique vise à diminuer significativement la quantité de bactéries présentes dans l’endodonte. L’objectif est de permettre qu’un équilibre se développe entre la quantité de bactéries résiduelles, leur virulence et les défenses immunitaires. Lorsque l’équilibre est atteint, la résorption du kyste ou du granulome est engagée et laisse place à la régénération osseuse. Les cas d’échec thérapeutique sont donc facilement repérables puisqu’ils se traduiront soit par l’apparition, soit par la persistance (qu’elle ait augmenté en volume ou non) d’une image radio-claire.
La définition du succès reste cependant plus délicate. Certains auteurs considèrent comme succès la disparition totale de l’image apicale, ne prenant en compte que le critère radiographique. On aboutit par ce biais à des taux de succès faibles, incomparables aux taux de « survie » utilisés par exemple en implantologie.
Friedman propose, dans la Toronto study, une nouvelle définition de la notion de succès en endodontie [9]. Trois catégories permettent de définir le succès :
• en voie de guérison : absence de signes cliniques et diminution de la taille de la lésion péri-apicale ;
• guérison : absence de signes cliniques et radiologiques ;
• échec : persistance de la lésion péri-apicale ou de signes cliniques.
Ces critères permettent de définir de façon plus précise les résultats du traitement endodontique. Cette définition du succès prend en compte les signes cliniques et ne se fonde plus seulement sur les résultats radiologiques. En effet, une dent « en voie de guérison » présente encore une lésion péri-apicale mais sans aucun signe clinique. Elle ne peut cependant être considérée comme un échec. Friedman [9, 10] considère qu’une dent asymptomatique présentant encore une lésion péri-apicale réduite est donc considérée comme « fonctionnelle ». Le terme « succès » est ainsi remplacé par l’expression « dent fonctionnelle », regroupant les termes « guérison » et « en voie de guérison » et permettant une appréciation plus fine du pronostic en endodontie (fig. 11 à 15).
Sans intégration du facteur temps, il est impossible de parler de succès ou d’échec en endodontie. L’important est avant tout d’observer un engagement de la dent et des tissus environnants dans le processus de cicatrisation. Sans historique de soin et de documents radiographiques initiaux, il sera ainsi difficile pour le clinicien de statuer à un temps T de l’état apical de la dent lorsqu’une lésion asymptomatique est découverte. L’engagement vers la cicatrisation est en effet un processus lent et il est important de ne pas confondre une dent en voie de guérison avec un processus infectieux actif (fig. 16 à 19).
Les récents travaux d’Huumonen et Orstavick [11] vont dans le sens des résultats obtenus par la Toronto study, qui tendraient à montrer que le taux de succès du traitement endodontique augmente avec le temps. Ces deux auteurs [11] ont analysé l’état de santé péri-apical de dents traitées endodontiquement pendant 4 ans. Radiographiquement, ils ont obtenu un pic de guérison des lésions variant entre 3 mois et 2 ans mais avec une amélioration significative de l’état péri-apical jusqu’à la 4e année de suivi.
Wu et al. [7] ont récemment établi une analyse critique des revues systématiques publiées en matière de succès endodontique.
Les taux de succès rencontrés dans la littérature médicale souffrent d’un biais important : les « perdus de vue ». Ainsi la Toronto study présente un taux de succès de 44 % au bout de 1 an contre 82 % au bout de 4 ans. Ces taux de succès sont associés à un nombre de perdus de vue toujours plus important au fur et à mesure des années si bien qu’au bout de 4 ans, seul 1 patient sur 3 restait inclus dans l’étude. Toujours selon l’analyse de Wu et al. [7], 88 % des racines pour lesquelles une réduction de taille de la pathologie présente initialement était objectivée au bout de 4 ans montraient déjà des signes de ce type dans la première année suivant le traitement. Il a ainsi été proposé par ces auteurs, dans un souci d’aide à la décision thérapeutique et d’amélioration du suivi des patients, de catégoriser plutôt les cas par rapport à l’efficacité thérapeutique supposée du geste au bout de 1 an. Les dents guéries ou en voie de guérison seraient ainsi classées au rang de traitement efficace à l’issue de cette courte période de suivi de 1 an. A contrario, les cas présentant l’apparition d’une pathologie ou une augmentation de taille de la lésion seraient à considérer comme traitements inefficaces, ce qui guiderait donc le praticien vers un choix de réintervention, de chirurgie endodontique ou d’extraction.
La réduction de la charge bactérienne lors du traitement endodontique permet de faire basculer l’équilibre en faveur des défenses de l’hôte. Le pronostic restera cependant intimement lié autant à des facteurs extrinsèques, comme le type de bactéries et de biofilm présent, qu’à des facteurs intrinsèques comme les cellules immunitaires et les médiateurs qui vont constituer les défenses du patient et sur lesquels le clinicien n’a aucune influence [12]. La recherche doit donc s’orienter vers la mise au point de procédures cliniques permettant de faire pencher la balance en faveur de l’hôte en stimulant, par exemple, la libération dentinaire de médiateurs anti-inflammatoires [13].
Si la radiographie tridimensionnelle apparaît aujourd’hui comme le meilleur outil dans l’évaluation du succès en endodontie, il est important de garder aussi une vision clinique et fonctionnelle de la guérison de la dent.
Si la dent ne présente aucun signe clinique et une absence de signes de détérioration radiographiques à la radiographie classique lors du contrôle, elle sera considérée comme en voie de guérison et fonctionnelle ou guérie et fonctionnelle (fig. 20). Le critère radiologique seul n’est effectivement pas suffisant pour appréhender au mieux l’état de santé endodontique d’une dent.
Les mécanismes de guérison sont des processus physiologiques longs, dépendants de la réponse immunitaire du patient et qui nécessitent un suivi clinique et radiographique à long terme.