PARODONTIE
Ichai LANATI* Brice RIERA** Laurent DETZEN*** Marjolaine GOSSET****
*Master de parodontologie
Exercice libéral Paris
** MBD
*** MBD
****MCU-PH
Dans son exercice quotidien, le praticien est régulièrement confronté à la réalisation de restaurations dentaires complexes du fait de leur relation à la gencive. Citons pour exemple une carie étendue jusqu’au collet ou radiculaire (fig. 1), une résorption externe cervicale (fig. 2 et 3) ou encore une fracture sous-gingivale...
Dans son exercice quotidien, le praticien est régulièrement confronté à la réalisation de restaurations dentaires complexes du fait de leur relation à la gencive. Citons pour exemple une carie étendue jusqu’au collet ou radiculaire (fig. 1), une résorption externe cervicale (fig. 2 et 3) ou encore une fracture sous-gingivale (fig. 4). Les restaurations mises en œuvre seront compatibles avec le maintien de la santé parodontale et l’absence de récessions si l’interface dent/restauration est située au niveau supra-gingival ou intrasulculaire, c’est-à-dire au-dessus de l’attache épithélio-conjonctive. Cet espace biologique, qui a été largement étudié par Gargiulo et al. [1], est constitué de l’attache épithéliale et de l’attache conjonctive qui représente une hauteur moyenne de 2 mm. Notons qu’il peut exister une grande variabilité de la hauteur de l’attache épithéliale en raison de la cicatrisation par épithélium de jonction long dans les poches parodontales par exemple. Cela a été confirmé par l’étude plus récente de Vacek et al. [2] (fig. 5).
Il est admis que si l’attache parodontale n’est pas respectée lors d’une procédure restauratrice, une inflammation, une perte d’attache et une résorption osseuse incontrôlée se développent. Conventionnellement, la réalisation d’une élongation coronaire ou d’une égression orthodontique permet de recréer de l’espace biologique avant la réalisation d’une restauration. Le gold standard que constitue l’élongation coronaire répond à un recul clinique important et un haut niveau de preuve. Cette technique facile à mettre en place se caractérise, lors de sa mise en œuvre, par une perte tissulaire étendue au-delà de la zone d’intérêt, peu économe du support parodontal.
De nos jours, l’évolution des biomatériaux, des techniques adhésives (fig. 67 à 8) et du plateau technique (et avant tout des aides optiques) a permis de proposer, dans le cas d’une violation ponctuelle de l’espace biologique, la réalisation de restaurations sous-gingivales par la technique de la remontée de marge, ou deep margin elevation (DME), présentée par Dietschi et Spreafico en 1998 [3] (technique décrite dans le numéro Clinic 2015;36:423-429) (fig. 910111213 à 14). Les données concernant la nature et la stabilité de l’attache parodontale à la suite d’une relocalisation de marge sont rares. Cette technique, bien que décrite depuis 17 ans, dispose d’un faible niveau de preuve car elle est constituée à ce jour uniquement de séries de cas. Deux études princeps sur le sujet [4, 5] montrent, lors de violation de l’espace biologique et de la réalisation d’une remontée de marge respectivement au bout de 1 et 12 ans, une bonne santé parodontale caractérisée par une absence d’inflammation, de perte d’attache ou de résorption osseuse visible radiologiquement.
Placer une limite au sein de l’espace biologique soulève de nombreuses questions telles que le choix du biomatériau placé, le vieillissement de ce matériau et, bien entendu, la nature et la stabilité de l’attache parodontale en regard de ce matériau. Notons que les matériaux de choix lors de la réalisation d’une DME sont les matériaux composites (fluides et micro-hybrides) et, dans une moindre mesure, les ciments verre ionomère modifiés par adjonction de résine (CVIMAR).
On connaît depuis longtemps l’importance de la biocompatibilité du matériau, de la morphologie prothétique (permettant un bon accès à l’hygiène par respect des profils d’émergence), de l’adaptation marginale et de l’état de surface des restaurations périphériques sur le maintien de la santé parodontale. Tout particulièrement, la présence d’un bon polissage périphérique est indispensable à l’absence d’inflammation à court terme. Cependant, même dans ce cas, on note une inflammation liée au vieillissement du joint à moyen terme (3 ou 4 ans) [6]. En effet, la réalisation d’une restauration sous-gingivale, même sans atteinte de l’espace biologique montre une augmentation de la quantité de biofilm, contrairement à des limites supra-gingivales, plus faciles d’accès pour le polissage et le brossage. Certaines bactéries telles que Streptococcus mutans présentent une activité estérase et produisent des acides altérant la couche hybride, le composite et la dent, compromettant ainsi la longévité de la restauration [7, 8]. En d’autres termes, le biofilm crée une altération de la surface des biomatériaux (CVIMAR, résines composites…) ainsi que des micro-espaces favorisant l’infiltration, la colonisation et le développement bactérien.
La cavité orale est un milieu hostile pour les biomatériaux utilisés lors des reconstitutions. Ces matériaux n’étant pas totalement inertes, des échanges se créent et non seulement conduisent à leur délabrement/vieillissement mais aussi impactent les tissus adjacents. Ainsi, pour les restaurations sous-gingivales, les biomatériaux sont en contact permanent avec la salive et le fluide gingival résultant d’une absorption d’eau par leur phase résineuse. Ce phénomène contribue à un effet hygroscopique, à une hydrolyse, à une plastification ainsi qu’à une diminution des propriétés mécaniques de ces réseaux de polymères [9]. La salive est notamment suffisamment riche en estérases pour avoir un impact sur les résines composites et les CVIMAR [10]. Les résines composites présentent une lixiviation de monomères durant la polymérisation et lors du vieillissement du matériau, c’est-à-dire un relargage de TEGDMA (triéthylèneglycoldiméthacrylate) ou de bis-GMA (diméthacrylate glycidique de bisphénol A), molécules toxiques pour les cellules parodontales. Cela a également pour conséquences de modifier la structure et la biocompatibilité de ces matériaux de restauration. De plus, les monomères libres favorisent la prolifération bactérienne, notamment, celle de la flore cariogène, contribuant ainsi au développement de lésions carieuses secondaires.
Quand une remontée de marge est réalisée, le matériau est placé au sein de l’attache conjonctive et épithéliale. Il n’y a pas d’études histologiques portant sur la remontée de marge. Il est cependant probable qu’un remaniement ponctuel à la suite d’une inflammation localisée entraîne un remodelage de l’os alvéolaire à distance de la limite apicale du matériau, dégageant une attache conjonctive fonctionnelle apicale au matériau et, sur le matériau lui-même, une attache épithéliale par un épithélium de jonction long. Ce phénomène étant, dans le cas de la remontée de marge, très ponctuel et souvent localisé aux faces proximales, aucune conséquence clinique (récession inflammation) n’est perceptible.
Pour étayer ce raisonnement, on sait que l’attache conjonctive fonctionnelle est dépendante de la présence de cément sur la surface dentaire. En son absence, on peut avoir une attache conjonctive mais qui sera moins résistante car on n’aura pas d’insertion des fibres de conjonctives dans le matériau. C’est notamment le cas pour les tissus péri-implantaires très étudiés en histologie. De plus, on sait qu’on peut avoir des cicatrisations par épithélium de jonction long (après surfaçage) qui sont compatibles avec la santé parodontale à long terme.
Des études se sont intéressées au type d’attache lors de l’atteinte de l’espace biologique chez le chien. Après avoir réalisé une chirurgie de pleine épaisseur, il a été créé une encoche dans la dent au niveau de l’os crestal et une restauration en CVIMAR [11] ou en composite [12, 13] a été réalisée. La nature de l’attache a été étudiée histologiquement avec, pour contrôle, un groupe sans interposition de matériaux. On constate, en coupe histologique, la présence d’un épithélium de jonction long à la surface du matériau aussi bien en CVIMAR qu’en composite, une attache conjonctive non fonctionnelle sur la restauration et une résorption osseuse apicale à la restauration. Une attache conjonctive fonctionnelle de taille constante telle que décrite par Gargiulo [1] existe et est donc créée aux dépens du niveau osseux. Le groupe contrôle (sans restauration) présente, quant à lui, une attache épithéliale et conjonctive coronaire au défaut (fig. 15).
La mise en œuvre de la technique de remontée de marge dans le respect de son protocole exigeant permet de diminuer l’impact tissulaire lié à la réalisation d’une chirurgie parodontale. Cette démarche s’inscrit dans le gradient thérapeutique permettant de différer les techniques invasives de plusieurs années. Cependant, comme pour toute restauration, un suivi approprié doit être mis en place prenant en compte le moins bon accès au nettoyage et le vieillissement du matériau.
La relocalisation de la limite dentaire saine lors de restaurations sous-gingivales entraîne une violation de l’espace biologique très ponctuelle. Quelles en sont les conséquences pour le parodonte ? Et quelle est l’influence de cette situation sous-gingivale sur le vieillissement du matériau ? Comment cicatrise l’attache parodontale en contact du matériau ?