« Il ne suffit pas de dire non à un système que tout le monde s’accorde à dire moribond, nous devons faire des propositions », a lancé Gilbert Bouteille, président de l’Ordre, en ouvrant la séance plénière du Grenelle de la santé bucco-dentaire organisé sous sa houlette le 28 janvier dernier. Les 5 ateliers du matin – Formation, Démographie, Prévention, Cabinet du futur et Financement – ont présenté leurs propositions qui ont été suivies d’une discussion avec la salle. Échos.
Le « grand nombre de doléances concernant l’état d’âme » des confrères reçus sur le stand de l’Ordre lors du congrès de l’ADF de 2014 est à l’origine de ces assises. Au cœur des plaintes, « l’ubérisation du seul secteur rentable » de la profession : l’implantologie et la prothèse. Les cabinets mutualistes puis les réseaux d’assurances, les « vendeurs de soins », les destinations à l’étranger et « certains centres dentaires » ont ciblé ce créneau, a rappelé Gilbert Bouteille.
Mais ce n’est pas tout. L’ouverture de ces centres a donné lieu à des publicités et articles au « slogan dévastateur » : le renoncement aux soins dentaires d’un tiers des Français pour des raisons financières, alors que, chaque jour, 40 000 chirurgiens-dentistes font des soins de premier recours, de proximité et totalement remboursés à 800 000 patients. Les praticiens « ont l’impression que certains s’affranchissent du Code de déontologie », remarque Gilbert Bouteille. À cela s’ajoute un sentiment d’étatisation de la santé, une formation privée « illégale et fondée sur une sélection par l’argent » et le fait d’être « parfois traité d’empoisonneur » par l’amalgame, sans que sa nocivité ait été démontrée. « Stop au basching dentaire », a martelé le président de l’Ordre. Ordre qui s’est associé à la manifestation du 15 mars, puis qui a mené une opération portes ouvertes des cabinets et, enfin, qui a organisé ce Grenelle. Toutes les parties prenantes de la santé bucco-dentaire ont été rassemblées pour faire des propositions qui seront reprises dans un livre blanc destiné aux autorités de tutelle.
Toutes les parties ? Sauf les pouvoirs publics, ont relevé plusieurs intervenants. Des représentants du ministère de la Santé étaient bien présents dans les différents ateliers de la matinée. Mais c’est la volonté politique qui fait encore défaut. « La santé bucco-dentaire est-elle essentielle ou accessoire ? », a demandé Fabrice Henry, président de l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie (UNOCAM). « Tant qu’il n’y aura pas une affirmation des pouvoirs publics, on restera à discuter entre professionnels de santé, entre financeurs, à ce que nous pouvons faire mais sans avoir tous les moyens » a-t-il estimé.
En attendant, les 5 ateliers composés chacun d’une dizaine de participants représentant les différentes parties prenantes de la profession (Ordre, université, syndicats, association, Caisse nationale d’assurance maladie, mutualité…) ont mis en lumière les points d’accord et les points en discussion.
L’atelier « Financement » – le nerf de la guerre –, qui regroupait les partenaires conventionnels – syndicats dentaires et financeurs (Assurance maladie et complémentaires) – ainsi que des représentants des prothésistes et de l’industrie, « a permis d’avoir un échange très complet », s’est félicité le rapporteur, Éric Haushalter, chef du Département des actes à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). A quelques mois des négociations conventionnelles, « l’objectif n’était pas de négocier et de fixer des montants mais de rechercher quelles seraient les priorités d’affectation du financement, » a précisé le rapporteur. Et la première priorité est « la nécessité de changer de paradigme » et « d’impliquer l’ensemble des acteurs institutionnels autour de cette question du financement de la santé dentaire ».
La prévention vient aussi en tête de liste. Il s’agit d’« amplifier le financement » tout en se dotant de moyens pour évaluer le dispositif. Le but est non seulement d’intensifier la prévention à des âges clés au-delà des âges de l’examen bucco-dentaire (EBD), mais aussi d’examiner des actes ou des dispositifs spécifiques de prévention ou de dépistage comme le test salivaire, par exemple, et d’améliorer le suivi du patient en recherchant la meilleure manière d’amener les adultes dans un cabinet dentaire. « La perception du risque n’est peut-être pas suffisante quand on sait que 39 % seulement des gens se rendent une fois par an dans un cabinet dentaire alors que 70 % déclarent s’y rendre », remarque ce responsable à la CNAM. Le groupe est d’accord pour rendre possibles des consultations différenciées suivant l’état du patient, son âge, son handicap… En clair, « sortir des consultations à prix unitaire dont on ne connaît pas le contenu ».
Une amélioration de la valorisation des soins précoces et conservateurs afin de rééquilibrer la pratique a fait consensus dans le groupe. Le panier de soins nécessaires doit être économiquement rentable pour que les professionnels aient intérêt à effectuer ce type d’acte. « Au-delà du financement, il faut trouver un moyen de réorienter la pratique », insiste le rapporteur. « Car ce n’est pas parce qu’on met plus d’argent que la pratique va forcément revenir vers le soin conservateur… C’est un grand champ de négociations qui s’ouvre pour garantir une pratique de qualité pour les soins conservateurs », continue le rapporteur en évoquant un outil, le prix des soins prothétiques.
Autre question « compliquée et politique » : dans quelle condition responsabiliser les assurés ? En les accompagnant par exemple par un système de rappel de l’Assurance maladie ? La mise en place d’un système de bonus/ malus n’emporte pas l’accord. Le malus intéresse peu. Le bonus a plus la faveur des assureurs. Pour l’Assurance maladie, la question reste complexe. « C’est un des défis qui va peser sur la future négociation », conclut Éric Haushalter.
Dans la discussion qui a suivi, évoquant le panier de soins de la CMU-C imposé à la profession depuis l’an 2000, Catherine Mojaïsky, présidente de la Confédération nationale des syndicats dentaires (CNSD), a insisté sur la nécessité d’une évolution régulière des forfaits en faveur des catégories de population précaires. « C’est un préalable très fort… sinon, rien ne pourra se faire. »
Jean de Kervasdoué, économiste de la santé, suggère un débat permanent sur le contenu du panier de soins et la façon dont est revue la nomenclature. « Il n’est pas raisonnable de laisser traîner des cadavres d’actes surcotés ou sous-cotés. » Il demande aussi que l’Assurance maladie investisse dans « l’intelligence » du système de financement pour que les discussions soient « un peu moins de principe et plus concrètes ». Au-delà, l’économiste de la santé fait aussi appel à la volonté politique en demandant aux pouvoirs publics de mettre en place un programme pour la santé bucco-dentaire, comme il en existe un pour le cancer.
Parmi ses propositions, l’atelier « Formation » a estimé prématurée la création de nouveaux métiers. Il s’est accordé sur le fait qu’il faut d’abord définir les compétences des assistantes dentaires.
L’atelier « Démographie » propose notamment de créer une année de tutorat ou année civique post-formation initiale pendant laquelle les jeunes diplômés travailleraient dans des zones sous-dotées. « Les étudiants ne seraient pas forcément opposés à ce que cette année conditionne le conventionnement de la Sécurité sociale », rapporte Marco Mazevet, membre de l’Association européenne des étudiants.