Odontologie restauratrice
Romain CEINOS* Caroline DORICIC** Marie-France BERTRAND*** Étienne MEDIONI****
*Ancien assistant hospitalier universitaire
en odontologie conservatrice
et endodontie
Université de Nice Sophia-Antipolis,
UFR d’odontologie
24, avenue des Diables-Bleus
06357 Nice cedex 04
**Pratique libérale
6, rue Victor-Hugo
06240 Beausoleil
***PU-PH en odontologie conservatrice et
endodontie
Université de Nice Sophia-Antipolis,
UFR d’odontologie
24, avenue des Diables-Bleus
06357 Nice cedex 04
****PU-PH en odontologie conservatrice et
endodontie
Université de Nice Sophia-Antipolis,
UFR d’odontologie
24, avenue des Diables-Bleus
06357 Nice cedex 04
Quels sont les outils et les techniques mis à la disposition du chirurgien-dentiste lui permettant l’intégration colorimétrique des restaurations avec l’environnement gingivo-dentaire du patient ?
La demande esthétique actuelle de nos patients est réelle et touche toutes les tranches d’âge, des plus jeunes patients jusqu’aux seniors. Parmi les divers facteurs convergents vers cet objectif esthétique, la couleur est primordiale. Le praticien doit pouvoir être à même de la reproduire de la manière la plus fidèle possible. Cependant, la couleur dentaire se révèle être complexe et chargée de caractéristiques individuelles essentielles pour l’intégration globale. Le but de cet article est de présenter les différents matériaux et méthodes disponibles pour le maquillage des restaurations directes en résines composites par stratification anatomique.
L’aspect visuel d’une dent naturelle est lié à sa nature stratifiée. Sa définition colorimétrique ne peut être réduite au simple modèle « teinte, saturation, luminosité » (TSL). Son comportement optique est une combinaison de nombreux paramètres comme la translucidité, l’opalescence, la fluorescence, la texture de surface, les « défauts » colorimétriques ponctuels et un possible effet nacré [1]. Les caractérisations sont indissociables de la description de la couleur d’une dent naturelle. Il s’agit d’aspects colorés particuliers et localisés comme des taches blanches opaques de déminéralisation, des effets laiteux en surface, des fissures claires de l’émail ou des infiltrations couleur caramel, ocre ou mordorée, et des sillons des tables occlusales des molaires et prémolaires [2].
Le praticien peut faire appel au maquillage lors de la réalisation de ses restaurations pour venir imiter certaines dimensions de la couleur propres à la dent naturelle.
Le Dictionnaire de la langue française donne, pour le terme « maquiller », la définition suivante : « Procéder au maquillage esthétique ou artistique. Modifier l’aspect de quelque chose, falsifier pour camoufler. » Ainsi, le maquillage revêt une double signification. Il correspond non seulement à une mise en valeur des qualités esthétiques (dissimulation des défauts) mais il vient aussi tromper l’œil de l’observateur. En odontologie, le « maquillage » consiste en des caractérisations appliquées aux restaurations dentaires provisoires ou définitives par le biais d’un maquillant dans le but d’obtenir un rendu optique le plus naturel possible [3].
La caractérisation est une « personnalisation » de la restauration par de petites touches de colorants, de fissures, de fêlures ou de taches qui ont pour but d’imiter les défauts naturels des dents pour un rendu colorimétrique optimal. À l’extrême, le maquillage peut par ailleurs être synonyme de caractérisations très marquées, parfois excessives, destinées à reproduire des dyschromies ou des décalcifications afin d’intégrer une restauration au sein d’un sourire atypique.
Le praticien peut donc être amené à utiliser, pour caractériser ses restaurations, des colorants dont la composition implique l’intervention de pigments. Ces produits de maquillage sont communément réunis sous la dénomination « modificateurs de couleur » (tableau 1). On distingue les opacifiants (pour masquer les dyschromies) et les produits de maquillage intensifs (venant personnaliser la restauration d’une couleur particulière en surface ou en profondeur). Ces deux types de modificateurs de couleur sont retrouvés dans la littérature anglo-saxonne respectivement sous les termes opaquers et stains (ou encore tints) [4].
Les différents produits de maquillage employés ont tous pour point commun d’utiliser les mêmes types de pigments (tableau 2), majoritairement des oxydes métalliques mais aussi des terres rares. Les opaquers ou les stains/tints présentent des pigments d’origine minérale ou synthétique, mais il existe également des pigments d’origine organique.
On trouve des modificateurs de couleur sous forme de résines composites. Les pigments font partie des additifs présents au sein de leur phase organique.
Pour assurer la bonne couleur et la translucidité du maquillant, ces pigments doivent être correctement dispersés au sein de la matrice résineuse. Leur concentration au sein du matériau composite correspond en moyenne à 4 % du poids total, mais cette valeur peut augmenter sensiblement pour certains produits intensifs.
Attention, tous ces modificateurs optiques affectent la transmission de la lumière à travers le composite. Les plus opaques devront être appliqués en plus fines couches et soumis à un temps d’insolation plus long que les autres pour permettre leur bonne photopolymérisation.
Les produits de maquillage sont pour la plupart des résines composites microchargées, micro-hybrides et micro-hybrides nanochargées.
La viscosité des produits de maquillage en résine composite varie de modérée à faible pour permettre une meilleure application au sein des restaurations (fig. 1).
Il est nécessaire de disposer :
• de pinceaux, qui sont utilisés pour déposer les produits de maquillage et les opacifiants. Il est intéressant d’en disposer de plusieurs tailles en fonction des besoins de la restauration dentaire : travailler au niveau d’un détail ou, au contraire, appliquer largement sur une surface. On retiendra les formes plates et à brosse large pour travailler les faces vestibulaires des incisives centrales sur les surfaces importantes et les pinceaux en silicone à pointe fine ou bien encore à poils en forme de flamme pour les détails punctiformes (taches, distribution d’une couleur au sein d’un sillon) [5] (fig. 2) ;
• d’instruments applicateurs de produits de maquillage. Parmi les instruments dévolus à la stratification des résines composites, on peut trouver des spatules spécialement conçues pour l’application précise des produits de maquillage telle la spatule LM-Fissura® (LM-Arte®, LM-Instruments Oy®, Parainen, Finlande) [6]. De même, les limes K endodontiques de petit calibre (n° 08) peuvent être utilisées afin d’appliquer les modificateurs de couleur (reproduction des fissures et des sillons colorés) [7] (fig. 3) ;
• d’un support de travail pour produits de maquillage. Il s’agit d’un récipient alvéolé en céramique qui permet aisément de positionner les modificateurs de couleur, de les protéger de la lumière ou encore de les mélanger entre eux.
Sur les dents antérieures
Les colorants et opacifiants sont essentiellement utilisés pour la caractérisation interne des restaurations directes. Cette méthode s’inscrit dans la technique de stratification anatomique des résines composites [8]. Le praticien doit apporter toute son attention au choix des zones à maquiller ainsi qu’à la couleur du produit de maquillage à utiliser. Il est fortement recommandé, pour le maquillage des restaurations des dents antérieures, de suivre une charte colorimétrique [9] ayant pour but de reproduire les dimensions propres de la dent naturelle (fig. 4).
Sans être la règle absolue, on peut retenir ce qui suit :
• la zone cervicale représente une zone plus saturée que les autres, elle est reproduite avec des colorants marron, orange ou jaune miel ;
• les régions interproximales sont plus saturées, les colorants ambrés leur permettent de donner de la « profondeur » à la restauration ;
• la translucidité du bord incisif est obtenue grâce à des colorants violet, gris, blanc, bleu et transparent [10] ;
• le bord incisif reste la zone de haute animation dentaire et peut par conséquent être marqué de diverses caractérisations, majoritairement de légères taches blanches de fluorose reproduites à l’aide de produits de maquillage intensifs blancs. Il peut en être de même au tiers moyen de la dent pouvant être marqué de diverses caractérisations blanches (taches, bandes…) [11] ou marron et ocre (fêlures) [12]. Une couche diffuse de colorant blanc peut également être appliquée à la surface du corps du composite pour piéger l’œil et donner une sensation d’augmentation de la luminosité de la restauration [13]. L’utilisation de produits de maquillage doit rester subtile et ces derniers doivent toujours être recouverts par une couche émail de résine composite pour une meilleure pérennité des caractérisations [8]. Une restauration composite complète doit donc inclure la réalisation d’une couche émail et d’une couche dentine sur laquelle les produits de maquillage sont appliqués pour donner un aspect final naturel à la restauration (fig. 5 à 15).
In fine, le rendu mimétique de la restauration aux résines composites est donc, d’une part, assujetti à la bonne épaisseur des diverses couches de composite, aux bonnes position et quantité des produits de maquillage au sein de la couche dentinaire et, d’autre part, à la couleur intrinsèque du support dentaire. En effet, seul un passage optimal de la lumière à travers la restauration permet d’obtenir le rendu colorimétrique souhaité. Si le support dentaire est décoloré, on peut faire appel aux opacifiants afin de masquer la couleur d’origine du support [4]. Les opacifiants sont très hautement pigmentés, ils peuvent masquer une structure dentaire sous-jacente trop sombre réfractaire aux éclaircissements conventionnels. Ils permettent d’obtenir un changement de teinte en éclaircissant la teinte initiale [14].
Tout comme pour le maquillage des dents antérieures, les produits de maquillage doivent être placés dans la couche de dentine et recouverts d’une fine couche émail. La couche terminale de résine composite émail va ainsi améliorer la répartition des couleurs à travers la restauration et protéger d’une usure prématurée les effets de caractérisation.
Les zones à maquiller sont moins nombreuses que pour le secteur antérieur mais restent stratégiques pour l’obtention d’une restauration à l’aspect naturel [15] (fig. 16 à 27).
Sans être la règle absolue, on peut retenir ce qui suit :
• le faîte des cuspides et le bombé des crêtes marginales peuvent être finement marqués de colorants blancs et gris ;
• en ce qui concerne les sillons et les fonds de sillon, un maquillage « profond » via une teinte ocre est appliqué dans les régions prédéterminées (sillons Ir, IIr). Après l’application de cette teinte ocre, on réalise sa photopolymérisation puis on applique « superficiellement », à l’aide d’un instrument fin (pointe effilée, lime endodontique), un produit de maquillage marron/brun supplémentaire plus soutenu pour créer l’illusion d’un fond de sillon coloré [16]. Ces variations subtiles de couleur permettent d’obtenir une apparence tridimensionnelle de la restauration. Cependant, bien que le défi artistique puisse être plus satisfaisant pour le praticien, c’est finalement le patient qui détient le choix d’avoir une reconstitution avec des surfaces occlusales naturelles ou monochromatiques.
Les opacifiants peuvent être utilisés pour masquer une structure claire ou foncée sous-jacente (en fond de cavité) [4] et peuvent être appliqués pour reproduire des structures telles que des hypocalcifications de l’émail. Ils sont majoritairement utilisés en secteur postérieur pour venir camoufler les décolorations à l’amalgame à la suite de la reprise d’une restauration.
L’esthétique du sourire est intimement liée aux caractères anatomiques du parodonte. Les contours gingivaux venant délimiter le bord cervical des dents, le design papillaire, l’équilibre des festons gingivaux, la couleur ou bien encore la texture de la gencive sont autant de paramètres indissociables de la réussite d’un sourire.
Lorsqu’une récession gingivale ne peut pas être traitée par le biais de soins parodontaux (greffe, repositionnement tissulaire), l’utilisation de produits de maquillage composites peut être une solution intéressante [17, 18]. On peut masquer les récessions parodontales au niveau dentaire à l’aide de modificateurs de couleur particuliers : les résines composites « gingivales » roses (tableau 3, fig. 28). Ces produits de maquillage ont pour caractéristique non pas de venir reproduire les particularités colorimétriques dentaires mais de mimer les différentes nuances de couleurs des tissus gingivaux [19]. Tout comme les résines composites classiques, leur utilisation s’effectue de façon conventionnelle après conditionnement des tissus dentaires.
La réplique précise des différents aspects de la couleur des dents naturelles est une des choses les plus difficiles à obtenir lors de restaurations directes en résine composite. La reproduction des sillons, puits et fissures, des taches d’hypocalcification, des fissures de l’émail, du bord incisif avec halo translucide et des autres colorations propres à une dent nécessite du matériel aisé à manipuler avec une large gamme de nuances. Le produit de maquillage doit aussi pouvoir être rapidement mélangé pour obtenir des teintes combinées, être facilement éliminé si nécessaire et correctement photopolymérisable au sein des masses dentinaires. Le secteur antérieur reste un véritable défi en termes d’esthétique, tout particulièrement au niveau de la région du bord incisif qui peut revêtir de nombreuses formes et couleurs. Le secteur postérieur est relativement plus simple à aborder avec une palette de couleurs plus limitée.
Les conditions sine qua non du succès thérapeutique dans l’application des produits de maquillage sont conjointement une bonne connaissance des paramètres régissant la couleur dentaire et une stricte application d’un protocole clinique rigoureux et reproductible.