Clinic n° 02 du 01/02/2016

 

SOCIÉTÉ

Internet

Philippe DE JAEGHER  

ph.de-jaegher@orange.fr

Pourquoi le lancement d’un site proposant un deuxième avis médical en ligne a-t-il soulevé une telle vague d’indignation ?

Depuis fin 2015, un site Internet propose, dans un délai de 4 à 7 jours, un second avis sur l’une des 180 pathologies répertoriées. Les 3 fondatrices diplômées d’HEC, déjà engagées dans la création d’une association visant à faciliter l’accès au soin, entendent développer la « démocratie sanitaire » et soutiennent que l’accès à l’expertise est un droit (1).

Dès le lancement du site, les réactions ont été vives, la Confédération des syndicats médicaux français dénonçant un scandale et manifestant son « refus que la santé devienne un produit marchand », l’ordre des médecins mettant en garde contre un risque de dérive et annonçant la mise en place d’une mission sur « l’ubérisation de la santé ». Pourtant, ni les syndicats ni le Conseil de l’Ordre ne peuvent ignorer que l’expertise en centre de référence hospitalier pour les pathologies complexes est une pratique courante. En France, depuis octobre 2010, un décret définit 5 actes de télémédecine, dont la téléconsultation et la télé-expertise. Depuis 2014, les agences régionales de santé de 9 régions déploient une offre de télémédecine « dans le but de réduire les fractures territoriales » (2). En Languedoc-Roussillon, le Centre de soins d’enseignement et de recherche dentaires du CHRU de Montpellier propose un tel service à destination de 16 établissements, dont une maison d’arrêt et 8 EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées) (3).

Dénoncer, dans la télémédecine, une médecine déshumanisée qui ferait fi de la relation praticien-patient, c’est faire peu de cas de la réalité vécue par de nombreuses personnes confrontées à la recherche de professionnels dans des zones de désertification médicale. D’ailleurs, l’opinion des Français évolue rapidement. Alors que dans une enquête Viavoice réalisée en 2010, 17 % d’entre eux se disaient prêts à téléconsulter, en 2013 ils sont près de 70 % à penser que la télémédecine peut améliorer la qualité de la prise en charge médicale et pallier le manque de professionnels dans certains territoires.

La polémique porte également sur le prix élevé de ce second avis. Fixé à 295 €, dont 120 € destinés au praticien et 175 € aux frais de fonctionnement, il devrait trouver un équilibre financier avec 10 000 consultations par an. Ce prix, scandaleux pour certains, instaurerait une médecine à deux vitesses. Mais où est l’égalité entre un patient résidant dans une agglomération bien pourvue en centres hospitaliers et celui qui habite une zone rurale, pour qui le coût va être essentiellement celui des déplacements et de la perte de revenus associée ? Si, hors parcours de soins, la téléconsultation n’est pas un acte reconnu par la Sécurité sociale, les administrateurs du site instaurent des partenariats pour une prise en charge par des organismes complémentaires. La présence dans le conseil scientifique de personnalités comme le Pr Didier Sicard, ancien président du Comité national d’éthique, ou Claude Rambaud, vice-présidente du Collectif interassociatif sur la santé, devrait être un gage quant aux orientations éthiques de ce site.

En ces temps de généralisation du tiers payant, il est bon d’avoir un rappel sur le coût réel de la santé. En 2013, avec 11,7 % du produit intérieur brut (PIB) consacré aux dépenses de santé, la France se situait dans le peloton de tête des pays européens (4). L’allongement de la durée de vie associé au développement des maladies chroniques laisse entrevoir une augmentation de ces dépenses. Les situations de santé parfois complexes qui en découlent entraînent un nomadisme médical et la multiplication d’actes techniques onéreux. Un accès facilité à une télé-expertise pourrait réduire considérablement ces coûts et une prise en charge de ce second avis pourrait être bénéfique pour le patient et pour la collectivité.

MA SÉLECTION

(1) Site deuxiemeavis.fr : https://www.deuxiemeavis.fr/

(2) Agence régionale de santé – télémédecine : http://www.ars.sante.fr/Telemedecine.179116.0.html

(3) Télémédecine e-dent : http://www.reseau-chu.org/article/telemedecine-e-dent-une-consultation-a-distance-pour-une-egalite-de-soin/

(4) Banque mondiale – dépenses de santé : http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SH.XPD.TOTL.ZS