Restauration
Bruno PÉLISSIER* Fabrice VERNET** Serge YEGAVIAN***
*UFR d’Odontologie de Montpellier
545, avenue du Professeur Jean-Louis-Viala
34193 Montpellier
**Pratique libérale
115, rue de la Haye – 34080 Montpellier
***Prothésiste dentaire
(meilleur ouvrier de France)
Laboratoire Prosud
264, rue Charles-Nungesser – 34130 Mauguio
Dans l’arsenal thérapeutique du praticien, la technique directe de stratification et la technique indirecte de facettes en céramique sont essentiellement fondées sur le collage. Ces deux techniques sont devenues incontournables. Les résines composites ont énormément évolué en matière de rendements tant esthétiques que fonctionnels, tout en ayant parfois des limites cliniques.
En clinique, le praticien doit choisir un plan de traitement faisant appel au modèle médical préventif reposant sur la conservation de la vitalité pulpaire et l’économie tissulaire selon le gradient thérapeutique [1]. Ce choix thérapeutique est rendu possible par l’utilisation des techniques adhésives modernes et par celle de matériaux esthétiques aux propriétés mécaniques performantes [2, 3]. D’excellents résultats peuvent être obtenus à partir d’une analyse rigoureuse de la situation clinique. C’est le projet esthétique et occluso-fonctionnel qui guidera le choix du traitement. Mais, dans certains cas de malposition ou de dyschromie marquées, ou encore de composites inadaptés, les facettes en céramique sont une alternative de choix. Associées à un protocole de collage strict, elles permettent de proposer au patient une solution thérapeutique à la fois esthétique et conservatrice. Le praticien doit, dans la mesure du possible, retarder le recouvrement total de la dent par une couronne. Il est également essentiel de maîtriser parfaitement les impératifs techniques d’un système pour que la restauration d’un sourire soit couronnée de succès.
Voici un cas clinique montrant la pérennité et l’évolution d’une restauration esthétique de deux incisives fracturées, de la technique directe de stratification guidée aux facettes céramiques collées. Il permet de constater que la rigueur opératoire et le respect du protocole clinique amènent le praticien à des résultats satisfaisants dans le temps et que le gradient thérapeutique est respecté tout en préservant au maximum les structures dentaires et les matériaux existants [4].
En 1996, un garçon de 11 ans s’est présenté à la consultation avec une fracture coronaire des incisives centrales supérieures : le préjudice esthétique et la vitalité des dents préoccupaient ses parents (fig. 1 à 3). Après un traumatisme, il est toujours nécessaire de tester les dents voisines et antagonistes pour s’assurer de leur intégrité et le pronostic endodontique des dents fracturées doit être évalué [5].
Actuellement, selon le gradient thérapeutique, le rétablissement de la morphologie des incisives centrales 11 et 21 doit se faire avec un minimum de destructions tissulaires, le patient étant jeune. Une reconstitution coronaire par un matériau inséré en phase plastique est possible grâce à la quantité de tissus dentaires résiduels et les performances des techniques de collage amélo-dentinaire [6-8]. Le choix des praticiens traitants a été orienté vers une technique de restauration directe au moyen de résines composites. Ils ont choisi le composite micro-hybride. Lors de la première séance, le traitement d’urgence a été réalisé après désinfection à la chlorhexidine, les plaies dentaires ayant été protégées par traitement amélo-dentinaire, au moyen d’un système adhésif, de manière à sceller les tubules dentinaires ouverts, protégeant temporairement la pulpe sous-jacente contre les agressions toxiques en provenance de l’extérieur [9].
Des empreintes ont été prises pour la confection de modèles d’étude (fig. 4). Sur le modèle en plâtre, le wax-up a été fait pour respecter les proportions morphologiques optimales, de façon à rétablir le guide antérieur et un sourire harmonieux. Une clé en silicone (« clé palatine ») a été réalisée ; on n’en a gardé que la moitié palatine sur laquelle ont été placés, au bistouri, des ergots triangulaires de repositionnement (fig. 5). Dans un deuxième temps, une clé en silicone transparent (« clé émail ») a été modelée sur les faces vestibulaires des dents reconstituées, pour qu’elle vienne se positionner avec précision dans les ergots de la « clé palatine ». Pour finir, a été éliminée la partie superficielle vestibulaire des maquettes en cire, correspondant à l’épaisseur de l’émail d’une dent naturelle, en créant une anatomie dentinaire, c’est-à-dire des lobes incisaux (fig. 6). La quantité de cire éliminée correspondait à une épaisseur moyenne de 0,5 à 1 mm. Une troisième clé (« clé dentine »), a été confectionnée sur les faces vestibulaires, avec un silicone translucide. Elle se repositionne, également, précisément sur la clé palatine.
Le choix de la teinte a été effectué avant la mise en place de la digue. On a ensuite isolé les quatre dents antérieures de façon à pouvoir contrôler les procédures cliniques, dégager les joues et la langue et obtenir une légère rétraction gingivale, ce qui a permis d’avoir un champ opératoire étanche. Les préparations périphériques ont été réalisées sous spray, en conservant le maximum de tissus sains. Elles n’avaient pas nécessairement besoin d’être rétentrices puisque des reconstitutions collées allaient être mises en place. Les trois clés ont alors été essayées et ajustées pour qu’elles se repositionnent parfaitement. La limite cervicale périphérique des préparations était supra-gingivale. Un long chanfrein sur l’émail a été choisi comme type de finition, réalisé à l’aide d’une fraise diamantée gros grain, selon les principes préconisés à l’époque (fig. 7 et 8).
Le traitement amélo-dentinaire a été réalisé après un mordançage acide total (acide phosphorique à 37 %), en appliquant un adhésif type MR2 (fig. 9 à 12).
Le montage du composite s’est fait par stratification, en trois couches de la face palatine vers la face vestibulaire selon le protocole de stratification calqué sur l’observation et l’analyse de la structure stratifiée de la dent naturelle [10-13]. Les deux dents ont été restaurées en même temps. La clé palatine a été placée en bouche, chargée de composite dentine opaque, de teinte fortement saturée, dans les berceaux correspondant aux dents à restaurer. Les deux masses de composites ont été photopolymérisées (fig. 13 et 14) pour former les parois palatines. Les masses de composite matérialisant le cœur de la dent, de teinte moyennement saturée et opaque, ont été placées dans la « clé dentine » [14]. Cette clé ainsi chargée a été située en bouche sur les dents préparées et s’est emboîtée très précisément sur la clé palatine. Le composite a alors été pressé entre les deux clés, l’application de la source lumineuse se faisant à travers la clé vestibulaire translucide (fig. 15 et 16). Des pigments bleu gris ont été ajoutés au pinceau de manière à reproduire la translucidité opalescente des bords incisifs.
À l’aide de la « clé émail » repositionnée en bouche, la troisième et dernière couche de composite a été montée et polymérisée, correspondant à la couche d’émail vestibulaire. Un composite incisal translucide faiblement saturé a été choisi (fig. 17 et 18). Après dépose des clés, une photopolymérisation supplémentaire a été effectuée par voie vestibulaire et palatine, précédant l’élimination des excès de composite, et le dégrossissage a été fait à l’aide d’une fraise diamantée, sous spray, et de disques diamantés de granulométrie décroissante. Une fois les éventuelles retouches occlusales effectuées, les restaurations ont été polies et lustrées. La finition du contour cervical a nécessité une attention soutenue. La précision de l’adaptation marginale a garanti une intégration naturelle et harmonieuse des restaurations (fig. 19 à 22).
Les exigences esthétiques ont évolué et les facettes en céramique sont devenues des solutions esthétiques très intéressantes pouvant être proposées.
En effet, les praticiens vont parfois être confrontés à des cas qui orienteront leur choix thérapeutique vers d’autres solutions que les techniques directes. Comment gérer une perte tissulaire, de légères malpositions, le vieillissement des matériaux et des colorations trop importantes pour être restaurées avec une simple résine composite ? Les facettes en céramique collées ont été décrites pour la première fois par Andreasen et al. dans les années 1990 dans des cas de fracture coronaire et semblent répondre à ces questions dans certaines limites cliniques [15]. Malgré une certaine réticence observée chez un grand nombre de praticiens, elles constituent une voie thérapeutique esthétique répondant aux exigences modernes. Les concepts actuels d’économie tissulaire seront notamment respectés, tout en pouvant satisfaire de nombreuses demandes cliniques esthétiques et fonctionnelles. Il faudra donc toujours privilégier ces facettes en première intention lorsque l’on établit un plan de traitement pour une restauration indirecte dans la zone esthétique, malgré l’absence de prise en charge. Elles seront très intéressantes dans les cas complexes où la forme et la couleur sont difficiles à reproduire et lorsque la fonction doit être restaurée. L’excellente qualité esthétique de la facette en céramique collée résulte non seulement d’une préparation pelliculaire qui ne va concerner en grande partie que l’émail de la dent mais aussi du matériau lui-même. Néanmoins, un protocole de collage strict et maîtrisé sera nécessaire pour une bonne réussite. Ces préparations a minima ne concernent en général que la face vestibulaire de la dent, ou s’étendent de façon limitée à la face palatine. Elles ne présentent donc pas de rétention mécanique suffisante.
Dans ce cas clinique, 14 ans plus tard, le composite s’est altéré, mais il a bien rempli son rôle esthétique et fonctionnel ; ses caractéristiques et ses propriétés ont permis d’effectuer les réparations nécessaires dans le temps directement en bouche (fig. 23 et 24). Les exigences esthétiques du patient ont évolué et c’est vers des facettes trois quarts en céramique feldspathique cuites sur réfractaire qu’il a été orienté (fig. 25 et 26). Le type de préparation comprend une réduction du bord libre jusqu’à 1,5 mm et un retour palatin. Le composite n’étant pas infiltré et le collage étant de très bonne qualité, il a été décidé de le garder et de préparer comme si la dent était intacte. Ce dernier reste dans le composite et non dans l’émail. La préparation vestibulaire est similaire à celle de la préparation fenestrée. Au niveau fonctionnel, le guidage antérieur est assuré par la céramique sur la première phase d’incision.
Les avantages sont les mêmes que pour la préparation du type butt margin, excepté l’axe d’insertion qui est ici uniquement coronaire. L’inconvénient majeur serait une fragilité du retour palatin en céramique. Une question se pose concernant la suppression ou non des contacts interproximaux lors des préparations. Le praticien devra, dans la mesure du possible, respecter le principe d’économie tissulaire. Pour des raisons esthétiques, les points de contact n’ont pas été conservés pour avoir une épaisseur suffisante et obtenir ainsi un rendu esthétique optimal au niveau des embrasures notamment. Le prothésiste aura une épaisseur de céramique plus importante pour gérer l’harmonie du sourire car la réalisation technique au laboratoire est aussi une étape importante dans le succès final des restaurations collées [16]. Contrairement à la technique de stratification de composite, la facette en céramique nécessite un matériau d’union entre elle et l’émail.
Si la surface dentaire doit être conditionnée pour permettre le collage (dent/colle), la facette en céramique doit également recevoir un traitement de surface. La préparation amélo-dentinaire, le collage et la dépose des excès de colle se feront dent par dent, facette par facette. Le mordançage de la préparation se fait à l’aide du gel d’acide phosphorique à 35 % pendant 15 secondes, puis un rinçage abondant et un séchage léger sont réalisés. Le système adhésif est alors mis en place en brossant bien les surfaces à coller, puis il est polymérisé.
La préparation de l’intrados des facettes est une étape clé dans le succès de ce type de collage : le mordançage se fait avec de l’acide fluorhydrique pour le mordançage acide des surfaces en céramique ; les intrados sont rincés et séchés ; un silane est appliqué pendant 60 secondes pour favoriser une meilleure application de l’adhésif. Le système adhésif est alors mis en place puis il est polymérisé.
Ensuite, un composite de collage est utilisé. Il se fait pas à pas car chaque facette doit être collée individuellement pour éviter des erreurs de positionnement. Dans l’intrados de la facette, du composite est déposé facilement ; la facette est positionnée, les faces proximales des autres dents étant protégées par un strip transparent ou du Téflon. Il faut commencer à enlever le maximum d’excès en maintenant la facette en place. Un flash de polymérisation de 3 secondes permet de gélifier le composite pour faciliter son élimination.
Les excès peuvent alors être facilement enlevés avec des instruments ou des curettes parodontales. Une polymérisation finale de la facette collée est réalisée pendant 20 secondes, sur la face vestibulaire et sur la face palatine [17].
Des études cliniques démontrent des taux de survie et de pérennité clinique exceptionnels, à condition que l’indication soit posée de manière correcte et que les techniques de préparation et de collage soient mises en œuvre de façon appropriée et rigoureuse.
« Ne pas adhérer par l’esprit au collage, c’est comme lever les yeux vers le ciel et croire encore que le soleil tourne autour de la terre. Si le prothésiste dentaire s’efforce de donner l’illusion de vie à ses prothèses, le chirurgien-dentiste quant à lui s’efforce de la préserver. Ainsi le voyage prothétique nous emmène au cœur de l’illusion où vie et illusion de vie se mêlent dans le but d’un sourire retrouvé » dit Serge Yégavian [18]. Dans une telle configuration clinique, un plan de traitement faisant appel au modèle médical préventif a été choisi [1], reposant sur la conservation de la vitalité pulpaire et sur l’économie tissulaire. Ces choix thérapeutiques, composite direct puis facettes en céramique collées, sont rendus possibles par l’utilisation des techniques adhésives modernes et celle de matériaux esthétiques aux propriétés mécaniques performantes [19-22]. D’excellents résultats peuvent être obtenus à partir d’une analyse rigoureuse de la situation clinique. Il est également essentiel de maîtriser parfaitement les protocoles cliniques et techniques d’un système pour que la restauration d’un sourire soit couronnée de succès.