Comment faire évoluer l’exercice dans les années qui viennent ? Le Collège des économistes de la santé avait invité le 19 novembre, Gilbert Bouteille, le président de l’Ordre, Sylvie Azogui-Lévy, MCU-PH à l’université Paris-Diderot, et Jean-Pierre Gallet, praticien à Chinon, une zone « sous-dotée », pour aborder ce thème sous trois angles différents.
L’Ordre prépare activement, pour le 28 janvier, un Grenelle de la santé bucco-dentaire mobilisant toutes les parties prenantes, les organisations professionnelles, les financeurs, le ministère… L’objectif est la rédaction d’un livre blanc qui « permettra peut-être à l’ensemble des composantes d’agir dans le même sens et d’avoir les mêmes objectifs », espère le président ordinal. La réforme du financement du dentaire sera centrale et fera l’objet d’une des cinq tables rondes qui traiteront aussi de la formation, de la prévention, du cabinet du futur et de la démographie.
Gilbert Bouteille a par ailleurs évoqué plusieurs axes de travail à l’Ordre.
Il s’est donné comme objectif, d’ici à la fin de son mandat, de recenser toutes les « bonnes démarches » mais « tellement disparates » menées un peu partout pour soigner les personnes en situation de handicap et résidant dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). L’objectif est de proposer une harmonisation des démarches. Des enquêtes sont en cours auprès des référents ordinaux.
Faire entrer la dénomination « médecine bucco-dentaire » dans tous les textes du Code de la santé publique est un autre chantier. À l’avenir, cette plus grande médicalisation de la profession ira « probablement vers un allongement de la durée des études » à 8 ans, note Gilbert Bouteille. Le cursus comprendrait un tronc commun d’études de 3 ans très médicalisées avec les médecins et les sages-femmes, auquel s’ajouteraient 5 années d’études dentaires. On n’en est pas là. Cette filière longue a peu de chance d’attirer les étudiants pour le moment quand 5 ans suffisent ailleurs en Europe pour exercer.
Autre thème, celui de l’incontournable mise à jour des connaissances face aux évolutions rapides des techniques et des thérapeutiques. La formation sera non seulement une obligation déontologique mais « le chirurgien-dentiste ne pourra pas proposer tous les traitements s’il n’est pas à jour de ses connaissances », prévient le président de l’Ordre.
L’équipe dentaire devrait aussi profondément évoluer. Au risque de « chagriner certains », le statut de professionnelle de santé donné aux assistantes dentaires à peine voté, Gilbert Bouteille passe à l’étape suivante. « On ne concevra plus d’équipe dentaire sans une hygiéniste dans un cabinet », affirme-t-il, en prenant pour modèle l’équipe dentaire allemande qui est composée au minimum d’une réceptionniste et d’une ou deux assistantes dentaires ayant des compétences différentes. Cette évolution se fera à travers des décrets d’actes qui permettront aux assistantes d’acquérir un niveau de compétence supplémentaire. Le chirurgien-dentiste devra assumer, déontologiquement, civilement et pénalement, la responsabilité de l’ensemble de l’équipe.
Évoquant les difficultés croissantes auxquelles doivent faire face l’odontologie hospitalière et la formation initiale, Sylvie Azogui-Lévy, MCU-PH à l’université Paris-Diderot, demande un investissement public sur l’odontologie. À la différence de la médecine, l’odontologie n’a pas de corps de praticiens hospitaliers. Conséquence de cette particularité, les enseignants sont peu engagés dans les soins des patients puisqu’ils forment les étudiants. De leur côté, les étudiants se trouvent face à des problématiques médicales et sociales (handicap, CMU-C…) complexes qu’ils ne sont pas forcément en mesure de gérer dans les premières années de leurs études. Les délais d’exécution de leurs actes sont importants puisqu’ils sont en formation. À cela s’ajoute le fait que le nombre de fauteuils n’a pas été revu en fonction de l’augmentation du numerus clausus. Par conséquent, les étudiants ont moins de temps de fauteuil que leurs aînés. La demande de soins qui a beaucoup progressé à l’hôpital n’est pas satisfaite et les délais d’attente des patients peuvent aller jusqu’à 6 mois. « La conception d’une odontologie essentiellement privée est le problème de fond », estime Sylvie Azogui-Lévy. Pour améliorer la formation et l’offre de soins, « est-ce qu’il ne serait pas intéressant de développer un secteur public alternatif avec d’autres modes de rémunération… et avec un investissement public sur l’odontologie qui est réellement aujourd’hui le parent pauvre de la médecine ? », interroge-t-elle.
Installé à Chinon, en Indre-et-Loire, Jean-Pierre Gallet appelle à agir pour inverser la tendance de la démographie professionnelle. « Si rien ne change d’ici à 10 ans, les patients devront se faire soigner dans l’agglomération de Tours à cause de la disparition des cabinets situés en zone rurale », prévoit le praticien. Son département compte 280 chirurgiens-dentistes, soit 47,3 praticiens pour 100 000 habitants. Le solde des inscriptions à l’Ordre est toujours positif, avec une part croissante de diplômés étrangers parmi les nouveaux inscrits : 16 % en 2012, 25 % en 2013 et la moitié en 2014 et en 2015. Mais Tours attire toutes les installations. Ailleurs, les quelques cas de collaborations ne se transforment pas en reprise ou en association.
Les cabinets à la périphérie des villes soignent des patients qui ont souvent une mauvaise hygiène bucco-dentaire et qui bénéficient de la CMU-C, de contrats ACS (aide à l’acquisition d’une complémentaire santé) ou de contrats complémentaires a minima. Souvent en fin de parcours professionnel, ces praticiens n’ont pas les moyens d’investir et ne trouvent pas de successeur. Dans des zones d’exercice plus satisfaisantes, les praticiens ne peuvent bien souvent pas réaliser d’investissements importants par impossibilité de couvrir des emprunts ou crédits-bails compte tenu de leur âge et de leur état de santé. Les cabinets mutualistes implantés à Tours, Saint-Pierre-des-Corps, Loches et Chinon ont des effectifs stables pour le moment mais ils font face aux mêmes difficultés démographiques et financières que les libéraux. Enfin, si le transfert d’un chirurgien-dentiste seul dans une maison pluriprofessionnelle apporte un confort d’exercice, rares sont ces types de cabinets pérennisés lors du départ en retraite.
Pour Jean-Pierre Gallet, la solution consiste d’abord à permettre aux cabinets de vivre des actes de prévention et de soins. Ce Chinonais prône aussi la constitution de pôles dentaires regroupant au minimum 5 praticiens pour mutualiser les plateaux techniques et proposer des créneaux de soins plus étendus aux patients. Cela demande l’appui des agences régionales de santé (ARS), des collectivités, des organisations professionnelles ainsi que des moyens équivalents à ceux mis en œuvre pour créer les maisons pluriprofessionnelles.