Clinic n° 11 du 01/12/2015

 

Rencontres Aria CAD-CAM

REPORTAGE

MARC APAP  

Tout le monde a entendu parler de prothèses conçues et réalisées par ordinateur. Cone beam et empreintes optiques offrent des possibilités diagnostiques et thérapeutiques sans précédent. Petit à petit, le numérique envahit presque tous les champs de l’odontologie…

Les rencontres Aria CAD-CAM, qui ont lieu tous les deux ans, sont une véritable bouffée d’oxygène pour qui s’intéresse au futur de la dentisterie. Nous ne parlons pas ici de politique mais de technique et, surtout, de haute technologie. Le numérique s’est définitivement introduit dans nos pratiques. De façon marginale au début, il progresse à grands pas et promet de bouleverser radicalement nos manières de faire.

À l’origine fréquentées par 60 % de prothésistes dentaires et 40 % de chirurgiens-dentistes, ces journées attirent aujourd’hui à peu près autant de professionnels des deux branches, y compris un nombre important d’étudiants. L’originalité et la force de ces rencontres, c’est qu’elles sont organisées conjointement par des représentants de nos deux professions : une belle et bonne évolution, loin des rancœurs de certains, qui veulent nous éloigner les uns des autres, quand chacun sait que nous ne pouvons vivre et prospérer qu’ensemble.

Durant les trois jours qu’a duré ce congrès, les participants ont pu assister à des conférences de haut niveau données par des intervenants français et étrangers, à quelques séances de travaux pratiques à l’intention des chirurgiens-dentistes et à des exposés organisés par différentes sociétés industrielles. Parallèlement, plus de 60 exposants, grandes compagnies ou petites entreprises locales ou nationales, ont montré leurs réalisations et donné toutes les explications nécessaires aux visiteurs.

Le numérique au cabinet dentaire, à quoi ça sert ?

La photographie numérique, la radiographie 3D grâce au cone beam et l’empreinte optique ou à tout le moins, la reproduction virtuelle des arcades par numérisation de moulages conventionnels, constituent les 3 piliers sur lesquels s’appuient les nouvelles techniques de reconstruction dentaire. Le but final est d’obtenir une reproduction informatique la plus précise possible de la tête du patient sous tous ses aspects afin de concevoir et de planifier au mieux les traitements, puis de préparer ou de fabriquer les éléments que le praticien installera en bouche (fig. 1), l’objectif étant d’augmenter la prédictibilité de ces traitements pour les rendre plus précis, plus sûrs, plus rapides, plus confortables pour le patient et le praticien avec, à la clé, une économie de temps, de fatigue et d’argent.

Et au laboratoire de prothèses ?

L’informatique et la numérisation ont fait depuis longtemps leur entrée dans les laboratoires de prothèses. Des scanners digitalisent les modèles en plâtre, voire les empreintes elles-mêmes. Des logiciels exploitent ces modèles virtuels et permettent d’élaborer de A à Z des éléments de prothèse fixée. D’autres logiciels servent à piloter des machines qui fraisent des blocs de métal, de résine, de composite, de céramique ou de cire. Depuis peu, des prothèses amovibles partielles (stellites) ou complètes peuvent être conçues de manière entièrement virtuelle puis fabriquées par usinage des matériaux ad hoc (fig. 2). Des imprimantes 3D réalisent en matière plastique des modèles qui remplacent ceux en plâtre, des chapes pour le procédé de cire perdue, des porte-empreintes individuels, des guides chirurgicaux, des gouttières d’alignement, d’occlusion ou pour traiter l’apnée du sommeil. Le procédé employé, dénommé stéréolithographie, consiste à polymériser, couche par couche, une résine liquide au moyen d’un faisceau laser. Enfin, mais cela reste du domaine industriel, des techniques de sintérisation laser autorisent la fabrication d’implants en titane « sur-mesure » aux formes et dimensions exactement adaptées à l’anatomie du patient.

Caméras 3D

Les caméras d’empreinte optique, plus petites qu’auparavant, se branchent directement sur l’ordinateur. Les images obtenues sont avantageusement projetées sur un écran de télévision à distance du fauteuil, ou sur une tablette numérique via un relais WiFi (fig. 3). Les nouveaux systèmes sans poudrage des surfaces autorisent la prise de teinte. Leur miniaturisation ne constitue pas forcément un avantage : leur poids plume peut faire perdre en précision et la largeur réduite de la lentille exige un balayage plus important des zones à enregistrer (G. Duminil). Les systèmes actuels ont encore deux défauts : un coût élevé et quelques imprécisions dans la numérisation d’une arcade complète. Lors de l’acquisition de ces dispositifs, ne pas oublier les coûts cachés (prix de l’empreinte ou de son exploitation chez certains fournisseurs, obligation de réaliser un nombre important de prothèses pour les rentabiliser) et le type de fichiers ouverts ou propriétaires.

Quatrième dimension

Qu’ils soient obtenus par empreinte optique ou scannage des moulages en plâtre, les modèles virtuels peuvent être animés de tous les mouvements reproduisant la cinématique mandibulaire. Au cours de sa conférence, Sébastien Felenc, de l’université de Montpellier, montre les avantages de l’analyse occlusale dynamique digitalisée. Les contacts dentaires prématurés observés comme si le visage du patient était transparent, son cycle masticatoire sous tous ses angles et l’enveloppe des mouvements mandibulaires se révèlent saisissants (fig. 4). Ces données permettent de reconstruire une occlusion parfaite, provisoirement par mock-up en composite usiné, puis définitivement grâce à des onlays en céramique collés d’une précision inégalée.

Mariage à trois

Les images 3D des arcades dentaires ne sont jamais très précises avec un cone beam, en raison de la quantité limitée de rayons X utilisés, sans parler des artefacts. Aussi, des logiciels spécifiques combinent-ils les fichiers radiologiques et dentaires pour obtenir un modèle du crâne qui rassemble la totalité des informations utiles. Il est même envisageable, pour certaines applications de prothèse adjointe, d’y associer les photographies du sourire, afin de visualiser également les tissus mous et de prévoir le rendu final de l’appareil en bouche (fig. 5).

Suivez le guide

Exploitant ces informations extrêmement complètes, des logiciels de planification implantaire sont utilisés pour concevoir et réaliser des guides chirurgicaux très précis. Fabriqués en résine par stéréolithographie, ils sont équipés de cylindres métalliques pour orienter sans déport les forets à travers l’os (fig. 6). Leur fixation en bouche s’effectue par appui sur les dents voisines et/ou transfixation horizontale par de petites vis en titane. Cette chirurgie extrêmement sécurisée sans lambeau offre, selon Thomas Fortin, membre du comité Aria 2015, de nombreux avantages : simplification de la procédure, rapidité d’exécution et suites postopératoires bien meilleures qu’avec la technique conventionnelle.

Chaussons à l’os

Toujours en chirurgie, mais un peu avant la pose des implants, le numérique peut également rendre quelques services en cas de déficit osseux. Plutôt que de fraiser de manière approximative un bloc d’os allogène et de l’adapter en bouche par tâtonnements, une méthode plus fiable est proposée au cours d’une séance de travaux pratiques. Une réplique en résine du maxillaire est obtenue par impression 3D à partir des images du cone beam. Au moment de la chirurgie, le praticien fraise le bloc d’os et l’adapte précisément sur le modèle en résine avant de l’installer en bouche (fig. 7). Cette procédure est d’autant plus pertinente qu’elle est associée à une technique chirurgicale très originale : au lieu d’une incision crestale, le praticien ouvre la muqueuse latéralement à distance du défaut. Celle-ci est largement décollée pour y glisser le greffon osseux, fixé grâce à une vis en titane. Ce type d’incision supprime les risques de découverte du greffon et maximise les chances de succès. La vis est déposée quelques semaines plus tard et l’implant est installé à ce moment-là. Fiable au maxillaire, la méthode ne donne pas, pour l’instant, de bons résultats à la mandibule. Plus fort encore, une équipe italienne est en train de mettre au point des greffons usinés à base d’hydroxyapatite poreuse, disponibles le jour de l’intervention, sans que le chirurgien ait besoin de fraiser lui-même l’os allogène au fauteuil.

La fibula, c’est fabuleux

Chez des patients présentant des tumeurs cancéreuses à la mandibule, une résection osseuse de grande étendue s’avère indispensable. La reconstruction de l’os et des dents est réalisée par greffe de fibula, nouveau nom du péroné, prélevé au niveau de la jambe. L’os est sectionné en plusieurs parties, remodelées par fraisage puis rassemblées et fixées par des vis d’ostéosynthèse au reste de la mandibule. Dans un second temps, des implants peuvent être placés sur cet os afin de construire une prothèse dentaire. Les méthodes traditionnelles étant approximatives, les implants sont parfois si mal placés qu’ils ne servent à rien. À partir d’une analyse des images radiologiques en 3D, on peut prévoir exactement les formes à donner à la fibula ainsi que ses dimensions après section des différents fragments et réaliser un guide chirurgical pour scier l’os aux bons endroits. Mieux encore : grâce à ces guides, on arrive à forer les logements implantaires puis à poser la prothèse réalisée à l’avance, avant de prélever l’os de la jambe, pour que les implants soient situés de manière optimale une fois en bouche (fig. 8 et 9).

Numérique pour tous ?

On l’aura compris, le numérique en dentaire est surtout destiné à la chirurgie implantaire et à la prothèse. Si l’endodontie et la parodontie peuvent bénéficier de la radiologie 3D pour le diagnostic, ces disciplines ne sont pour l’instant pas concernées par la CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur).

Ne parlons pas de la dentisterie restauratrice de base, ni de la prophylaxie, mal rémunérées dans notre pays et pourtant si utiles à la population. On peut donc estimer qu’un nombre limité d’omnipraticiens exploitera 100 % de ces nouveaux procédés.

Le bouleversement technique qui touchera l’ensemble des chirurgiens-dentistes est la prise d’empreintes numériques. Mais à l’heure actuelle, son prix de revient reste encore élevé pour une diffusion universelle.

Olivier Landwerlin (accompagné de son assistante Tatiana) est webmaster des sites Dentisfuturis et Synergie dentaire.

« Je viens aux rencontres Aria parce que l’on y voit le fu tur de la dentisterie. Je suis intéressé par toutes les nouveautés, en particulier la réalisation de prothèses adjointes par CFAO. Je possède un CEREC depuis 5 ans, qui m’assure une très bonne rentabilité. Je réalise au cabinet toutes mes prothèses unitaires en moins de 2 heures. »

Formateur chez CAD°X, Jean-Luc Berruet est l’inventeur du système d’isolation Cap°dent.

« J’ai été l’un des premiers en France à utiliser un système ouvert pour mes empreintes numériques. Ma caméra Itero enregistre les images sans poudrage. Ce n’est pas le dernier modèle, mais le logiciel mis à jour qui pilote la machine est beaucoup plus performant qu’au début. Selon moi, l’empreinte optique deviendra universelle lorsqu’elle sera plus rapide et plus économique que l’empreinte traditionnelle. Le CondorScan (Biotech) de François Duret promet d’être l’un des systèmes les moins chers du marché. »

Thomas et Guenane sont étudiants en 6e et 5e années à la faculté dentaire de Lyon. Ils ont été sensibilisés à la CFAO dès la fin de leur 4e année :

« L’université organise des journées où les principaux fabricants viennent exposer leur production. Nous avons eu une initiation au CEREC (Sirona) et à la prise d’empreinte optique. Ivoclar est venu nous montrer ses céramiques. Pour moi, le numérique est partout en dentaire ! En chirurgie, en prothèse, en implantologie… Ah oui !, c’est vrai qu’en endodontie, à part le microscope et nos petits doigts, il n’y a pas grand-chose. »

Un groupe d’étudiants en BTS de prothèse au lycée Hector-Guimard de Lyon est venu visiter l’exposition et assister aux conférences. « Nous nous intéressons de près à la CFAO en prothèse et surtout aux nouveaux matériaux. »

David Negrel est prothésiste à Aix-en-Provence. Il utilise depuis longtemps la CFAO pour la réalisation d’armatures de couronnes et de bridges en zircone.

« Je suis consultant pour plusieurs sociétés qui commercialisent des logiciels de conception et de fabrication de prothèses par ordinateur. Les logiciels ne se valent pas tous au niveau de l’ergonomie, de la manipulation et des possibilités techniques, même s’ils sont conçus pour piloter n’importe quelle fraiseuse de laboratoire. »

Guillaume Champleboux et Jérôme Allemane, de la société 3DKreaForm fondée il y a 3 ans, proposent une procédure très simple combinant images radiologiques et empreintes dentaires pour réaliser des guides de forage implantaire. Le logiciel de planification, qui intègre les principaux systèmes du marché, est entièrement gratuit. Seul le guide réalisé par stéréolithographie reste à la charge du praticien pour un prix très raisonnable.