Clinic n° 11 du 01/12/2015

 

C’EST MON AVIS

THOMAS TRENTESAUX  

MCU-PH, CHU Lille

La dénomination « médecine bucco-dentaire » remplace aujourd’hui celle d’« art dentaire ». Cette évolution sémantique est très symbolique. Elle réaffirme l’idée qu’une prise en charge odontologique ne se résume pas à une succession d’actes techniques. Le chirurgien-dentiste soigne une personne dans tout ce qu’elle a de plus complexe. L’odontologie constitue dès lors une pratique sociale à part entière, et ce d’autant plus que le patient est vulnérable. Ces...


La dénomination « médecine bucco-dentaire » remplace aujourd’hui celle d’« art dentaire ». Cette évolution sémantique est très symbolique. Elle réaffirme l’idée qu’une prise en charge odontologique ne se résume pas à une succession d’actes techniques. Le chirurgien-dentiste soigne une personne dans tout ce qu’elle a de plus complexe. L’odontologie constitue dès lors une pratique sociale à part entière, et ce d’autant plus que le patient est vulnérable. Ces situations de vulnérabilité sont nombreuses, de la prise en charge de personnes en situation de dépendance ou d’autonomie limitée aux personnes porteuses de handicaps intellectuels ou bien encore de patients en situation de précarité… Pour ces patients, la situation de vulnérabilité impacte directement leurs rapports au corps, au temps, à l’espace ou encore à « l’Autre ».

Il convient alors de créer les conditions d’une rencontre et de dépasser la fréquente opposition entre la représentation objective de la maladie pour le praticien et la représentation subjective du patient qui hiérarchise des priorités différentes. Sans cette rencontre, il ne peut y avoir de relation de soin. La première étape de ce « prendre soin » implique ainsi la reconnaissance d’une nécessité. C’est celle d’un patient pour lequel le recours au soin et à la prévention est compliqué. De nombreux obstacles s’opposent ainsi à la construction d’une relation « normale ».

La reconnaissance de cette nécessité et l’identification des différents freins permettent ensuite de faire émerger des questionnements et, parfois, des réponses pour appréhender les notions d’information et de consentement dans un contexte d’autonomie restreinte. Quelles solutions pour permettre à une personne en situation de vulnérabilité non pas de limiter ses écarts de ressources mais de réduire ses écarts de liberté afin de gagner en autonomie ? Quelles relations avec le patient lorsque s’invite dans la relation un tiers ? Quelle « juste soin » offrir à ces patients ?

La médecine bucco-dentaire touche aux soins de la bouche et du sourire qui éclaire un visage au centre de l’identité de la personne humaine. En magnifiant le visage de « l’Autre », le chirurgien-dentiste permet ainsi à son patient de gagner en confiance, en santé et en qualité de vie. L’approche de la vulnérabilité en médecine bucco-dentaire impose de ne pas juger le manque mais de valoriser les ressources du patient et d’augmenter ses potentialités. Pour ce faire, comme la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées nous y invite, il s’agit non pas d’adapter le patient à l’environnement mais bien d’adapter l’environnement à cette situation de vulnérabilité.

  • * Intervention de Thomas Trentesaux, Christian Hervé et Olivier Hamel en ouverture du colloque de Poitiers sur « La médecine bucco-dentaire sociale, handicap-dépendance-précarité », les 2 et 3 avril 2015.

POUR EN SAVOIR PLUS

Hervé C, Tzitzis S. Altérité et vulnérabilités. Actes et séminaires. Bordeaux : Les études hospitalières, 2014.

Pirnay P (éd). L’éthique en médecine bucco-dentaire. Paris : Espace ID, 2012.

Weisstub DN, Mormont C, Hervé C. Les populations vulnérables. Paris : L’Harmattan, 2009.