Tel un acrobate, Claude Balaresque s’accorde à l’autre, ajuste au plus près, en quête perpétuelle d’équilibre. C’est dans cette sphère de liberté mutuelle qu’il met son habileté et sa sensibilité au service de ses chevaux, mais aussi de ses patients. Rencontre avec un cavalier-dentiste instinctif et sincère. Et un formidable conteur.
Si vous lui demandez ce qui le définit avant toute chose, Claude Balaresque vous répondra sans hésiter : « Je suis d’abord un homme de cheval. » Puis, après avoir marqué une pause, il ajoutera que c’est parce qu’il partage sa vie entre ses chevaux et la dentisterie qu’il a su trouver un juste équilibre. Deux engagements, dont l’un cependant, telle une plante invasive, a toujours eu tendance à prendre le pas sur l’autre. Qu’à cela ne tienne, le cavalier-dentiste manie l’art d’harmoniser les choses. Avec dextérité. « Il a fallu que j’accorde un espace pour chacune de mes deux activités afin que l’une comme l’autre trouve sa place. » Il glisse donc en véritable funambule sur cet enchantement dont la vie lui a fait grâce – l’amour sans limite des chevaux –, esquivant imprévus et obstacles. L’histoire de cet homme pourrait être un roman. Lorsqu’il vous la confie, avec douceur, ardeur aussi, et un phrasé chantant, vous voilà transporté dans un récit fait de joies et de larmes, l’esprit au trot sur les sentiers d’un triangle d’or que formeraient Agen, Pau et Toulouse, un trigone de forêts et de terres où notre protagoniste a grandi, fait ses études, fondé une famille, où il s’est initié à l’équitation, a ouvert son cabinet dentaire et embrassé à corps perdu sa passion des chevaux. Une vie comblée et parfois ardue, car comment dompter ce qui fut longtemps une obsession au détriment du reste sans jamais renoncer à une forme de liberté ?
Si l’enfance façonne, les souvenirs continuent à œuvrer dans l’inconscient. À quel moment, donc, et dans quel terreau la passion du futur cavalier prend-elle racine ? Cette énigme nous échappe. Car comment expliquer l’irrésistible inclination pour les chevaux qui s’empara, en une nuit, de cet enfant de 11 ans ? Il y a là quelque chose d’impalpable, qui captive. Comme dans toutes les belles histoires. « C’est un rêve très puissant et toujours aussi présent qui est peut-être à la source de la chose. J’étais dans le ciel, des milliards d’âmes jouaient, prises dans des élingues, joyeuses, et j’étais l’une d’elles. J’avais en garde une centaine de chevaux, dont quatre, extraordinaires, appartenaient au Soleil. Tous caracolaient, ruaient, je les adorais. Des clous en or éparpillés dans le ciel se sont mis à tomber comme des étoiles filantes. En les regardant tomber, je me suis mis à tomber moi aussi. Dans le vide. Là, j’ai compris que si j’arrivais à récupérer tous les clous, je pourrais alors retrouver tous les chevaux dont j’avais la garde. » Étrange et prémonitoire. Car la route du futur gardeur de chevaux sera jalonnée d’épreuves, « de clous à restituer ». À partir de ce rêve, il ne pense plus qu’aux équidés, captivé par leur beauté, leur sensibilité, leur puissance. Une « révélation immédiate et définitive » qui se matérialise 3 ans plus tard, lorsque son père décide d’acquérir des chevaux. « Ils sont arrivés un vendredi soir, je ne savais ni ce qu’était un bridon ni comment passer une sangle, mais je me suis tout de suite occupé d’une andalouse, une jument pure race espagnole, qui avait mon âge et qui s’est laissée prendre au jeu. » Commence alors pour l’adolescent une période singulière où il apprend, de façon instinctive, à s’occuper des chevaux et à les monter. « Ils me faisaient bénéficier d’initiatives, en m’offrant systématiquement quelque chose et en me montrant comment faire. Nous avions une entente extraordinaire. » Une équitation intuitive où, pour partir en balade, il laisse le cheval, rênes longues, le conduire sur le chemin de son choix. Et ça fonctionne ! Sa jument préférée, My Starlet, va même lui faire rencontrer celle qui deviendra plus tard sa femme et coéquipière, notamment dans son cabinet dentaire. C’est un temps béni des dieux. Mais ses résultats scolaires s’en ressentent cruellement : « Je m’évadais tous les jours des cours pour venir retrouver mes chevaux et être libre. » L’adolescent n’en fait qu’à sa tête et la sentence tombe, irrévocable. Ce sera le pensionnat. Curieusement, il en garde un bon souvenir, alors qu’il ne monte plus qu’une fois par semaine à cheval. Mais une nuit, un terrible incendie éclate dans les combles, au-dessus des dortoirs. Par un heureux hasard, le drame est évité de justesse grâce à la sagacité d’un copain nommé Bufel qui réveille manu militari le surveillant. Cet événement marque au fer rouge le jeune pensionnaire qui non seulement dégringole de haut en bas l’escalier en colimaçon de l’école en feu mais va bientôt vivre une seconde tragédie : son père fait faillite, tout doit être saisi. « Tu dois sauver les chevaux », lui intime alors sa mère. Du haut de ses 17 ans, il se saisit à bras-le-corps de ce moment grave et déplace, en urgence et à pied, les quatre juments et l’étalon qu’il met à l’abri à 25 km de là chez des proches. « Ma mère savait que, sans les chevaux, plus rien n’existait pour moi. » D’une vie de château, la famille bascule dans la misère. Pendant plus de 2 ans, Claude Balaresque ne monte plus à cheval, pris en étau entre le manque de désir équestre et la nécessité soudaine de réussir son bac, de fonder une famille et de travailler.
« Je me sentais en état d’urgence. » La brutalité des faits et le recul ont modifié sa perception des choses. Il se met à travailler. Beaucoup. Décroche son baccalauréat, intègre médecine à Toulouse. « Je me suis lancé un défi en me plongeant à corps perdu dans mes études. » Tout se précipite, il se marie, devient père, bifurque vers la dentisterie, écrit sa thèse sur les corps étrangers dans la cavité buccale, obtient son diplôme en 1980. Il installe son premier cabinet d’omnipratique à Baziège, dans la région toulousaine. « Ma femme m’aidait pour tout, excepté les soins : gestion, administration, assistanat. » Une collaboratrice de cœur qui l’accompagne toujours aujourd’hui. C’est elle aussi qui le pousse à remonter à cheval. « Ma chérie me trouvait taciturne. Je suis donc retourné voir mes chevaux, mais quelque chose avait changé car ils ne m’accordaient plus rien. C’était dramatique. Je me sentais handicapé. » Qu’à cela ne tienne, il s’inscrit dans des clubs hippiques, prend des cours. « En 20 ans, je suis devenu bien meilleur cavalier. Jusqu’au jour où, lors d’une séance avec mon instructeur, j’ai décidé que cette équitation ne m’intéressait plus. Je voulais renouer avec l’initiative des chevaux, en oubliant ce que j’avais appris. » C’est la quête de ce « consentement non extorqué » qui dès lors le guide. « Mon cheval pouvait dire non. » Sans user de force, c’est l’attirance qu’il suscite. Une gestuelle et une communication harmonieuses qu’il décrit dans son livre, Silences équestres*. De cette équitation faite de consentement, il crée enfin une passerelle avec la dentisterie, en imaginant l’Allégeoir®, conçu pour être glissé dans la bouche du cheval et favoriser un relâchement mandibulaire (voir encadré). Mais pour pouvoir accorder autant de temps à sa passion, il lui aura fallu, il y a une quinzaine d’années, revendre à une consœur son ancien cabinet à l’activité devenue chronophage. Installé aujourd’hui à Salles-sur-l’Hers, dans un cabinet situé à 10 km de sa maison –l’ancienne ferme familiale –, il se partage entre ses trois chevaux le matin, ses patients l’après-midi, l’écriture et la réflexion la nuit. Une vie comblée et authentique où le repos, infime mais profond, vient se glisser entre galops et soins. Une vie d’acrobate.
On s’accorde avec un cheval lorsqu’on s’abandonne complètement l’un à l’autre. Ce langage commun est extraordinaire s’il est volontaire et qu’on n’interfère pas l’un avec l’autre. Pour retrouver cet accord complice, je me suis rendu compte que le fait de favoriser le relâchement mandibulaire du cheval, cela lui procurait bien-être et rectitude. La rectitude permet la perfection des déplacements, la symétrie des allures, la légèreté. Très difficile à obtenir, elle donne le ton juste. Après de nombreux essais, j’ai créé l’Allégeoir®, un dispositif qui s’interpose, sans contraindre le cheval, entre ses incisives, et lui permet de se relaxer. Détendu et droit – ses hanches se déplaçant sur la même ligne que ses épaules –, il sculpte physiquement ce que le cavalier pense et forme ainsi avec lui un couple en parfait accord. Une étude sur l’Allégeoir® (marque et brevet déposés) a été entreprise afin qu’il soit validé par le consensus scientifique.