PROTHÈSE FIXÉE
Layla ASSILA* Rachid EL OUALI** Hicham SOUALHI*** Amal EL YAMANI****
*Chirurgien-dentiste, résidente et doctorante
au service de prothèse conjointe
Faculté de médecine dentaire,
Université Mohamed-V
Madinat Al Infare, BP 6212, Rabat, Maroc
**Professeur assistant et chirurgien-dentiste
au service de prothèse conjointe
Faculté de médecine dentaire,
Université Mohamed-V
Madinat Al Infare, BP 6212, Rabat, Maroc
***Professeur assistant et doctorant
au service de prothèse conjointe.
Chirurgien-dentiste au service de prothèse
conjointe.
Faculté de médecine dentaire,
Université Mohamed-V
Madinat Al Infare, BP 6212, Rabat, Maroc
****Professeur d’enseignement supérieur,
chef du service de prothèse conjointe
Faculté de médecine dentaire,
Université Mohamed-V
Madinat Al Infare, BP 6212, Rabat, Maroc
L’utilisation des restaurations céramo-céramiques s’est largement répandue depuis une dizaine d’années. Avec l’amélioration de ses propriétés mécaniques, la céramique est arrivée à presque défier le métal, d’abord pour les restaurations unitaires puis pour les restaurations plurales.
La réussite d’un traitement par un bridge « tout céramique » passe par la connaissance des différentes céramiques d’infrastructure, leurs points forts et leurs points faibles, ainsi que par le respect de certains paramètres cliniques et techniques qui peuvent constituer des facteurs de succès.
Malgré l’introduction de la céramique en dentisterie depuis le XVIIIe siècle, les restaurations « tout céramique » n’ont vu leur utilisation se développer qu’à partir des années 1980 qui ont marqué le début de leur évolution. Cette évolution continue, surtout sur le plan de la performance mécanique, a permis petit à petit le remplacement des restaurations céramo-métalliques aux résultats cliniques éprouvés. En effet, ce type de restauration ne se limite plus au secteur antérieur esthétique, mais s’étend au secteur postérieur, sous forme de couronne, de bridge de petite étendue, voire de bridge complet.
La réussite des restaurations céramo-céramiques plurales passe par la prise en compte et le respect d’un certain nombre de paramètres techniques et cliniques, à savoir le choix du système céramique et la sélection du cas.
Les nouvelles céramiques, améliorées pour être utilisées en infrastructure à la place du métal, présentent des compositions et des microstructures variables (tableau 1) et, par conséquent, des propriétés mécaniques et esthétiques différentes.
Les systèmes les plus utilisés font appel à trois procédés de mise en forme :
• injection sous pression de céramique chauffée (Empress® Ivoclar Vivadent par exemple) ;
• montage d’une barbotine (In-Ceram®, Vita par exemple) ;
• conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) (notamment de la zircone).
Le choix d’un système en céramique dépend de sa résistance mécanique, d’une part, et de sa capacité à imiter la nature d’un point de vue esthétique, d’autre part (tableau 2).
Sur le plan mécanique, la céramique est connue pour sa fragilité. En effet, contrairement au métal, c’est un matériau à « rupture facile », c’est-à-dire cassant avec peu ou pas de déformation préalable [2, 3]. La résistance à la fracture, appelée aussi ténacité, et la résistance à la flexion sont les propriétés qui décrivent le mieux la céramique mécaniquement et elles peuvent être plus ou moins importantes en fonction des constituants de chaque type de céramique.
Le type de la céramique conditionne aussi le degré de sa translucidité et de son opacité, ce qui permet d’adapter son choix selon les situations cliniques.
Ces propriétés mécaniques sont davantage prises en considération lorsqu’il s’agit de restaurations plurales et ont un impact sur le design et le volume de leur infrastructure. Plusieurs études concluent que le point faible de toute restauration céramique plurale est la zone des connexions, où les fractures sont fréquentes [45-6], d’où l’importance de la forme, de la position et du volume des connexions ainsi que de la longueur de l’intermédiaire.
Pour éviter les fractures de la céramique, les connexions doivent être suffisamment hautes et larges (selon le type de céramique) (tableau 3) afin de supporter les charges occlusales. De plus, l’étendue de l’intermédiaire ne doit pas dépasser une certaine longueur (celle de la première molaire inférieure généralement) [5, 6]. Toutefois, ces exigences techniques et mécaniques doivent être en phase avec les données cliniques relevées lors du diagnostic afin de poser correctement l’indication d’une restauration céramo-céramique, et ne doivent en aucun cas compromettre la santé des tissus support.
Parmi les paramètres cliniques à examiner c’est la hauteur de l’espace interocclusal disponible qui conditionne directement la décision finale.
Un tel espace est jugé suffisant lorsqu’il permet de respecter à la fois la hauteur exigée d’une connexion et l’ouverture d’embrasure nécessaire aux manœuvres d’une hygiène correcte. Le manque d’espace nécessaire pour la réalisation d’une infrastructure résistante (hauteur et largeur des connexions) peut donc contre-indiquer la prothèse céramo-céramique. Ce manque d’espace est retrouvé quand les dents piliers présentent de courtes couronnes cliniques ou à la suite d’une égression excessive d’une dent antagoniste, d’une version des dents bordant l’édentement pour le secteur postérieur, ou encore en cas de supraclusie au niveau du secteur antérieur.
D’autres paramètres cliniques sont impliqués dans la sélection du cas approprié pour une restauration « tout céramique » et peuvent constituer des contre-indications telles que :
• l’état parodontal des dents piliers (mobilité supérieure à 1 selon l’indice de Miller) ;
• la présence de parafonctions non contrôlées (bruxisme) ;
• une reconstitution de type cantilever.
Une fois l’indication d’une restauration céramo-céramique posée et le choix du système confirmé, le praticien se doit de contrôler chaque étape de son traitement et les réussir, notamment celle de la préparation périphérique. Selon la zone de l’édentement et le type de céramique choisi, l’épaisseur de décortication nécessaire pour ménager un espace aux matériaux de reconstitution diffère. Cependant, les recommandations pour les préparations périphériques préconisent [7, 8] :
• une épaisseur de décortication suffisante aux niveaux palatin et occlusal (jusqu’à 2 mm) pour assurer une bonne résistance mécanique ;
• une limite cervicale de type épaulement à angle interne arrondi ;
• l’absence d’angles vifs sur tout le pourtour de la préparation (zone d’amorce des fêlures).
Une restauration céramo-céramique réussie est celle issue d’une sélection raisonnée du cas clinique et du système céramique et qui mène à une intégration fonctionnelle, esthétique et biologique tout au long de sa durée de vie prévisible.
Une jeune patiente se présente au Service de prothèse fixée à la suite de la fracture d’un bridge céramo-céramique remplaçant la 24.
Deux traits de fracture sont mis en évidence au niveau des connexions du bridge. La fracture entre la 24 et la 25 s’est étendue jusqu’à la face mésio-vestibulaire de la 25 (fig. 1 et 2).
Après la dépose du bridge, l’examen des dents piliers montre qu’elles sont en bon état et ne présentent aucune fracture (fig. 3 et 4).
Sur le plan parodontal, elles ne présentent ni poches ni récessions et leur degré de mobilité est de 0 selon l’indice de Miller. En regard de la 24, il y a un effondrement de la crête vestibulaire.
L’examen radiologique ne révèle aucune lésion tissulaire.
L’examen occlusal montre une fonction canine sur le bridge fracturé.
Il s’agit d’une fracture de prothèse définitive, avec préservation des dents piliers et des tissus de support. La première étape thérapeutique consiste en la réalisation et la mise en place d’une prothèse provisoire (fig. 5 et 6).
Les choix thérapeutiques proposés étaient soit :
• une chirurgie correctrice de l’effondrement de crête en regard de 24 associée à une restauration implantaire remplaçant la 24 et des couronnes sur la 23 et la 25 ;
• un bridge céramo-céramique en zircone ;
• un bridge céramo-métallique.
La patiente, refusant toute intervention chirurgicale, opte pour le bridge céramo-céramique sans correction parodontale.
Une légère rectification de la préparation périphérique au niveau du bord libre de la canine est réalisée, après quoi une empreinte est prise.
Afin d’optimiser les chances d’obtenir une intégration esthétique correcte et donner un effet plus naturel à la future restauration, une teinte A2 est choisie pour l’infrastructure car elle correspond à la teinte de la dentine de la patiente.
Une fois l’infrastructure du bridge zircone reçue, il est procédé à l’essayage afin de vérifier la rétention, l’adaptation cervicale, l’absence de tout contact occlusal et la présence d’un espace suffisant pour la céramique cosmétique (fig. 7 et 8).
Une fois cette étape validée, le choix se porte sur une teinte A2 pour la céramique cosmétique (fig. 9). Afin d’obtenir un bridge définitif qui s’intègre dans le contexte occlusal et esthétique de la patiente, les données occlusales sont transférées au laboratoire avant le montage de la céramique cosmétique.
Pour cela est utilisé le bridge provisoire validé en bouche sur le plan esthétique et fonctionnel dont on a pris une empreinte et réalisé un montage sur articulateur.
Sur le plan fonctionnel, le bridge provisoire ne présente aucune surocclusion statique. En occlusion dynamique, le guidage en latéralité de fonction canine a été modifié en un guidage de groupe en latéralité gauche, avec absence d’interférence en latéralité droite (fig. 10 et 11).
Après le montage sur articulateur des modèles supérieur et inférieur issus d’empreinte à l’alginate (bridge provisoire en place), il est procédé à la programmation de la table incisive afin d’enregistrer l’enveloppe fonctionnelle en propulsion et en latéralité (fig. 12 et 13).
Le montage du modèle de travail issu de l’empreinte secondaire va permettre le montage de la céramique cosmétique selon les données occlusales de la table incisive (fig. 1415 à 16).
À l’essayage de la prothèse à l’état de biscuit, sont vérifiés d’abord l’insertion totale et les points de contact, puis l’adaptation cervicale et, enfin, l’occlusion statique et dynamique (fig. 1718 à 19).
Sur le plan esthétique, certaines modifications ont été apportées à la forme de la canine afin de s’approcher le plus possible de son homologue controlatérale (fig. 2021 à 22).
Après le glaçage, le scellement adhésif du bridge au verre ionomère hybride est réalisé (fig. 23 et 24).
En cas d’échec d’une restauration, il est nécessaire d’en déterminer l’origine afin d’éviter la récidive.
La fracture du premier bridge de cette patiente est vraisemblablement due à plusieurs étiologies dont les plus directes sont discutées ci-après.
Il s’agit d’un bridge In-Ceram® Alumina (Vita). Or, parmi les systèmes en céramique proposés, selon les recommandations des fabricants et les études menées sur les céramiques, l’In-Ceram® Zirconia et la zircone sont les mieux indiqués pour les bridges du secteur postérieur [9].
Certaines études cliniques ont rapporté l’utilisation du système In-Ceram® Alumina également pour des restaurations du secteur postérieur [9, 10].
Cependant, le taux de survie de ce système varie, selon les études, entre 73,9 % [11] et 83 % [12], et les cas d’échec présentent des fractures au niveau des connexions.
Or, cette patiente s’est présentée avec un bridge céramo-céramique fracturé justement à ce niveau.
La céramique est un matériau sensible à la fracture. Celle-ci peut être causée par une force excessive (traumatisme externe) ou par des contraintes de faible amplitude mais répétées (cycle masticatoire) entraînant la propagation d’une fissure (défauts internes) qui s’agrandit et se transforme en fracture [3].
L’examen clinique a montré qu’au niveau du bridge fracturé, la latéralité gauche était assurée par une fonction canine. Une surcharge occlusale aurait alors accéléré la propagation d’une fissure au niveau de la zone la plus fragile, à savoir la connexion entre la 23 et la 24.
Malgré cet échec, la patiente refuse tout autre type de restauration que la céramo-céramique. Il est alors impératif de mettre en avant tous les paramètres favorisant la réussite de cette restauration.
Il s’agit d’une restauration prothétique d’un secteur considéré à cheval sur le secteur antérieur (aux fortes exigences esthétiques) et le secteur postérieur (aux fortes sollicitations fonctionnelles). Elle doit donc répondre à la fois à l’esthétique et à la fonction.
Sur le plan clinique, aucune contre-indication de la restauration céramo-céramique n’a été relevée à l’examen clinique. L’espace interocclusal a été conservé par le port de l’ancien bridge. La hauteur coronaire des dents piliers est adéquate même après rectification de la préparation périphérique. Cette modification a concerné la canine pour ménager suffisamment d’espace pour la céramique d’infrastructure et celle de la cosmétique.
Du point de vue parodontal, aucune mobilité n’a été décelée.
La patiente ne présente aucune parafonction.
Les études menées sur la résistance à la fracture et à la flexion ainsi que le taux de survie des bridges céramo-céramiques [3, 9, 13] montrent des propriétés mécaniques significativement plus élevées pour les bridges en zircone (Y-TZP) que les autres systèmes conventionnels [1415-16] grâce à la capacité qu’a ce matériau de « bloquer » la propagation des fissures. Ainsi, les bridges à base de zircone présentent un bon pronostic à long terme si les connexions sont bien conçues et bien réalisées [17].
Après avoir choisi la zircone comme matériau d’infrastructure, nous avons tenu à respecter une hauteur et une largeur de connexions qui est de 3 mm pour la zircone préfrittée [5].
De plus, une programmation de l’articulateur selon des valeurs standard, avec réglage de la table incisive selon l’occlusion statique de la patiente et dynamique modifiée par une latéralité assurée par un guidage de groupe, améliore l’intégration occlusale ainsi que la distribution des forces et, donc, entraîne moins de surcharge sur le bridge et les dents piliers.
Sur le plan esthétique, la position des dents à restaurer (les 23, 24 et 25), leur degré d’exposition au sourire et l’exigence de la patiente sont des paramètres qui imposent le choix d’un système céramique imitant le naturel.
La transmission de la lumière de la zircone stabilisée à l’yttrium est inférieure aux céramiques de haute densité AL2O3, MgAl2O4 infiltrées, et à base de silicate de lithium, mais supérieure aux céramiques infiltrées Al2O3 ou Al2O3/ZrO2 [18]. Cependant, son aspect esthétique reste nettement supérieur à celui des systèmes céramo-métalliques.
Actuellement, les fabricants mettent sur le marché des blocs de zircone colorée : différents agents colorants sont introduits pour améliorer l’esthétique des armatures en zircone blanche [19].
La réussite des restaurations céramo-céramiques nécessite une bonne sélection du cas et un choix raisonné du système en céramique selon ses propriétés mécaniques et esthétiques, mais aussi selon sa durée de vie dans un milieu buccal. La zircone est une céramique qui a fait ses preuves en matière de résistance, mais d’autres études permettront de mieux connaître ce matériau prometteur.