ODONTOLOGIE PÉDIATRIQUE
Emmanuelle NOIRRIT -ESCLASSAN* Sébastien DOMINE** Jean-Noël VERGNES*** Frédéric VAYSSE****
*MCU-PH odontologie pédiatrique
CHU
3, chemin des Maraîchers 31062 Toulouse cedex 4
**AHU odontologie pédiatrique
CHU
3, chemin des Maraîchers 31062 Toulouse cedex 4
***MCU-PH prévention, épidémiologie, économie de la santé
CHU
3, chemin des Maraîchers 31062 Toulouse cedex 4
****MCU-PH odontologie pédiatrique
CHU
3, chemin des Maraîchers 31062 Toulouse cedex 4
L’anesthésie intraosseuse contrôlée électroniquement apporte de nombreux bénéfices qui en font une technique appropriée chez l’enfant. Plusieurs auteurs ont rapporté une augmentation transitoire de la fréquence cardiaque chez l’adulte, à la suite de l’injection directe de solution anesthésique avec vasoconstricteur dans l’os spongieux. Qu’en est-il chez l’enfant ?
L’anesthésie intraosseuse contrôlée électroniquement apporte de nombreux bénéfices. La faible latence d’action, l’absence d’anesthésie des tissus mous, la prise en main « stylo », l’absence de complément palatin ou lingual, la faible quantité d’anesthésique nécessaire en font une technique de choix pour l’anesthésie locale chez l’enfant.
La technique d’administration intra-osseuse n’est pas récente puisqu’elle a été décrite au début du XXe siècle par Masselink (en 1910). Néanmoins, la mise au point du système QuickSleeper™ (Dental Hi Tec, Cholet) par le Dr Villette a permis de codifier les séquences cliniques et de rendre le geste plus confortable et plus efficace, à la fois pour le praticien et pour le patient, en utilisant un seul appareil pour toutes les étapes de perforation et d’injection (fig. 1). Cette technique consiste en l’injection directe du liquide anesthésique au sein de l’os spongieux. Les points d’injection se situent généralement au niveau du septum interdentaire (technique de l’ostéocentrale ou transeptale) chez l’enfant (fig. 2) ou latéralement (voie vestibulaire ou linguale, technique transcorticale), après avoir traversé la corticale osseuse ou le septum par la mise en rotation discontinue de l’aiguille. L’anesthésie muqueuse et périostée préalable au franchissement de la corticale est réalisée en vitesse lente, l’aiguille à double biseau préservant la muqueuse de toute dilacération (fig. 3). L’anesthésie topique n’est donc pas nécessaire.
L’appareil autorise une injection contrôlée électroniquement, donc lente et régulière, diminuant les douleurs liées à la pression et à la vitesse d’injection. L’anesthésie est immédiate dès la fin de l’injection [1, 2]. Il n’est pas nécessaire d’attendre la diffusion du produit déposé au plus près des racines dentaires. Cela explique également la moindre quantité d’anesthésique nécessaire [3].
Sauf contre-indication absolue (phéochromocytome, tachycardie jonctionnelle réciproque, bloc atrio-ventriculaire complet, diabète au stade d’angiosclérose périphérique, hyperthyroïdie, hypertension artérielle non équilibrée), l’anesthésique est associé à un vasoconstricteur pour limiter la diffusion de la solution et diminuer la quantité de principe actif injecté. La concentration en vasoconstricteur utilisée généralement chez l’enfant varie entre 1/400 000 et 1/80 000.
Chez l’adulte, une augmentation transitoire de la fréquence cardiaque a été rapportée par de nombreux auteurs [456789101112-13]. Elle s’expliquerait par le passage de la solution anesthésique avec vasoconstricteur dans la circulation sanguine générale à la suite de l’injection directe dans l’os spongieux.
L’objectif de notre étude est de quantifier, chez l’enfant, la variation de fréquence cardiaque avec une anesthésie intradiploïque, par comparaison avec une infiltration para-apicale, le sujet étant son propre témoin.
Huit patients, âgés de 4 à 8 ans, ont bénéficié de soins dentaires sous prémédication sédative – Atarax® (hydroxyzine) et Codenfan® (codéine) – associée à l’inhalation de MEOPA (mélange équimolaire de protoxyde d’azote et d’oxygène). Ils ont été adressés au Service d’odontologie de l’hôpital des Enfants (CHU de Toulouse) en raison de leur forte anxiété vis-à-vis des soins dentaires. Leur inclusion dans l’étude impliquait la nécessité de soins sur les molaires temporaires de deux cadrans controlatéraux, la présence à 2 rendez-vous espacés de 1 semaine et une coopération suffisante pour rester immobile le temps de l’anesthésie.
Le déroulement de la séance était expliqué à l’enfant. Un tirage au sort définissait la technique d’infiltration lors de la première séance.
L’enregistrement de la fréquence cardiaque débutait dès que l’enfant était allongé sur le fauteuil (inclinaison à 45°) [14] et qu’il commençait à inhaler du MEOPA. L’anesthésie intervenait à la fin de l’induction qui durait 6 minutes. L’enregistrement se poursuivait pendant 3 minutes après la fin de l’injection, mais avant tout soin.
La fréquence cardiaque était mesurée par un oxymètre de pouls (Oxypad Sensors, Colson) durant trois périodes :
• induction : mesure toutes les minutes pendant 6 minutes ;
• injection : mesure toutes les 10 secondes durant 2 minutes ;
• postinjection : mesure toutes les 10 secondes durant 3 minutes.
L’anesthésie intraosseuse était réalisée avec le QuickSleeper™, avec 0,8 ml d’articaïne (Septanest®) à 1/100 000 d’adrénaline. L’infiltration para-apicale vestibulaire de 1,8 ml d’articaïne à 1/200 000 d’adrénaline était réalisée à l’aide du SOFIconcept® (aiguille de 0,30 mm de diamètre et 16 mm de longueur), après une anesthésie topique à base de lidocaïne (Xylonor®). Le volume d’anesthésique injecté était deux fois moindre pour l’anesthésie intraosseuse que pour la para-apicale, mais la quantité en vasoconstricteur était la même.
L’évolution au cours du temps de la fréquence cardiaque avec les deux techniques anesthésiques a été analysée à l’aide du test de corrélation de rang de Spearman (rho : coefficient de corrélation). Un test de rang a été utilisé en raison du faible nombre de patients.
L’âge moyen des enfants était de 5,8 ans (de 4 ans 5 mois à 7 ans).
Durant l’induction, il n’y avait pas de différence significative entre les fréquences cardiaques mesurées lors des deux procédures (p = 0,099). La fréquence cardiaque était significativement plus basse durant l’anesthésie intraosseuse que durant l’anesthésie par infiltration (rho =- 0,91, p < 0,01). Durant les 3 minutes suivant l’injection, les deux procédures tendaient à retrouver des niveaux équivalents. Le seul moment où la fréquence cardiaque était supérieure pour l’anesthésie intraosseuse correspondait au début de l’injection, donc au passage transcortical (fig. 4).
Notre étude sur les variations de fréquence cardiaque à la suite d’une anesthésie intraosseuse est la première à s’intéresser aux enfants, la littérature médicale faisant référence à l’adulte [456789101112-13].
Dans notre évaluation clinique, l’anesthésie intra-osseuse avec le QuickSleeper™ a provoqué une diminution significative de la fréquence cardiaque durant l’injection par rapport à l’infiltration para-apicale. Cette diminution est également observée par Augello et al. [9] chez 60 % des patients, pendant l’injection de 1,5 ml d’anesthésique à 1/100 000 d’adrénaline en utilisant le système X-tip® (Dentsply Inc., York). D’autres auteurs [15] rapportent également le même phénomène durant des infiltrations para-apicales.
Dans les 3 minutes suivant l’injection, nous n’avons pas observé de variation significative de fréquence cardiaque entre les deux techniques. Plusieurs auteurs se sont intéressés aux conséquences cardio-vasculaires des anesthésies intraosseuses, généralement après injection de 1,8 ml de lidocaïne à 2 % avec 1/100 000 d’adrénaline. L’augmentation de la fréquence cardiaque mesurée chez des adultes variait de 12 à 32 bpm (battements par minute) selon les auteurs (tableau 1). Elle restait brève et transitoire (4 minutes maximum selon Stabile et al. [8] et Guglielmo et al. [7], 1 minute selon Augello et al. [9]), sans risques cardio-vasculaires sérieux [11]. Notons que cette augmentation de fréquence cardiaque ne concernait pas tout à fait 100 % des patients (67 % pour Replogle et al. [6], 80 % pour Guglielmo et al. [7] et 90 % pour Stabile et al. [8]). Enfin, Gallatin et al. [16] et Replogle et al. [6] n’ont pas trouvé d’augmentation de la fréquence cardiaque lorsqu’ils administraient un anesthésique sans vasoconstricteur (mépivacaïne à 3 %).
L’anesthésie intraosseuse nécessite des doses moindres. Pour cette raison, nous avons choisi une concentration d’adrénaline à 1/100 000 avec le QuickSleeper™ afin d’administrer la même dose de vasoconstricteur avec une demi-carpule qu’avec une carpule en anesthésie par infiltration. Dans la pratique, un dosage en vasoconstricteur à 1/200 000, voire 1/400 000 selon le type de soin, est amplement suffisant chez l’enfant.
Les systèmes d’injection utilisés dans la majorité des études [4567-8, 10, 12, 13, 16] étaient le Stabident (Fairfax Dental Inc.) et le X-tip® [9, 11] qui nécessitent l’utilisation d’un perforateur sur contre-angle et d’un manchon guide au travers duquel est réalisée l’injection. La vitesse d’injection est contrôlée manuellement et la pression peut être élevée. Après perforation de la corticale par le système Stabident, Susi et al. [10] ont montré que l’administration d’anesthésique à vitesse lente avec un système contrôlé électroniquement (The Wand®, Milestone Scientific, Deerfield) réduisait la douleur liée à la pression et à l’injection et diminuait également la fréquence cardiaque par rapport à une injection rapide.
Différentes publications [456789101112-13] ont mesuré l’augmentation de la fréquence cardiaque en battements par minute mais pas en pourcentage de la fréquence de repos, qui peut varier en fonction de l’anxiété et de l’état de santé du patient. Dans notre étude, nous avons comparé l’évolution dans le temps de la fréquence cardiaque au cours de 2 anesthésies réalisées par 2 techniques différentes, ce qui nous a affranchi des variations individuelles.
Les variations hémodynamiques durant l’anesthésie dentaire sont grandement influencées par le vasoconstricteur mais aussi par la douleur et l’anxiété associées à l’injection. L’anxiété peut induire une sécrétion accrue de catécholamines (plus de 10 fois le taux de base) [17]. Certains auteurs attribuent l’augmentation de fréquence cardiaque lors d’un soin dentaire à la libération de ces catécholamines endogènes.
Liau et al. [18] ont évalué les effets de l’anxiété liée aux soins dentaires sur la fréquence cardiaque. Celle-ci était plus basse, durant et après l’anesthésie, chez les patients présentant une anxiété faible à modérée que chez les patients très anxieux. Après injection de 2 carpules d’anesthésique au foramen mandibulaire, la fréquence cardiaque augmentait chez tous les patients, mais de façon significativement plus importante chez les patients les plus anxieux. Ces auteurs mettaient également en évidence le lien entre augmentation de la fréquence cardiaque et douleur au moment de l’injection.
Dans notre étude, l’anxiété était atténuée par la prémédication sédative et l’inhalation de MEOPA (fig. 5). L’effet sympathomimétique produit par le protoxyde d’azote sur le système cardio-vasculaire est minime. Sur le plan cardio-vasculaire, le protoxyde d’azote induit une diminution modérée de la contractilité myocardiaque et augmente la résistance vasculaire périphérique. Le résultat de ces modifications n’engendre pas de changement clinique évident [19]. De plus, Niwa et al. [20] ne montrent pas d’influence du protoxyde d’azote sur la réponse cardio-vasculaire à l’administration d’adrénaline.
L’apparence du système d’injection joue un rôle dans le niveau d’anxiété [21]. L’aspect « stylo » du QuickSleeper™ est moins anxiogène qu’un autre, en particulier pour les enfants.
Son utilisation ne nécessite pas d’anesthésie topique : les aiguilles à double biseau (Dental Hi Tec, Cholet) éliminent le risque de lacération de la fibromuqueuse lors de la première étape de l’anesthésie et rendent la pénétration moins douloureuse (fig. 3). L’application de Xylonor® avant l’infiltration para-apicale pourrait expliquer une accentuation de la fréquence cardiaque du fait du goût mentholé et de la sensation d’engourdissement de la langue, source d’anxiété chez certains enfants.
Le seul moment où la fréquence cardiaque était supérieure pour l’anesthésie intraosseuse correspondait au début de l’injection. Un inconfort transitoire peut être lié au passage transcortical de l’aiguille, mais une seule (voire aucune) rotation est généralement nécessaire chez l’enfant. Sixou et al. [22] ont évalué la douleur chez des enfants et des adolescents lors d’une anesthésie par le système QuickSleeper™ : 81,8 % des patients décrivaient une absence de douleur et 83,9 % un léger inconfort. Les opérateurs notaient des signes mineurs d’inconfort chez 18,3 % des patients au moment de la pénétration et chez 25,3 % d’entre eux au moment de l’injection. Chez l’adulte, Beneito-Protons et al. [2] ont rapporté un inconfort chez 46,3 % des patients mais 69,7 % d’entre eux préféraient l’anesthésie avec le QuickSleeper™ à l’anesthésie au foramen mandibulaire.
Les anesthésies locales et locorégionales provoquent une anesthésie des tissus adjacents comme ceux de la joue, des lèvres et de la langue (fig. 6). Chez l’enfant, cette absence de signal douloureux des tissus mous anesthésiés conduit à l’apparition de morsures parfois sévères, engendrant des douleurs secondaires. La technique de l’anesthésie intra-osseuse évite ou diminue cette anesthésie car l’anesthésique diffuse moins vers les tissus environnants que l’anesthésie par infiltration [23]. L’enfant peut se sentir moins stressé en l’absence de cette sensation d’anesthésie, dont il ne comprend pas toujours l’intérêt ni la raison.
Le faible nombre de patients est une limitation importante de l’étude. Cependant, chez les 8 patients examinés, l’anesthésie locale intraosseuse avec le QuickSleeper™ a induit une diminution de la fréquence cardiaque durant l’injection, ce qui pourrait traduire une réduction de l’anxiété et de la douleur durant le geste. Nous devons tout mettre en œuvre pour limiter les expériences négatives durant les soins dentaires : l’anesthésie intraosseuse avec le QuickSleeper™ est un outil efficace en ce sens.