Clinic n° 09 du 01/10/2013

 

ÉQUIPEMENT

Gwion LOARER*   Laurent-Emmanuel FRANÇOIS**  


*Médecin principal
Direction centrale du Service de santé des armées Fort Neuf de Vincennes cours des Maréchaux 75614 Paris cedex 12
**Chirurgien-dentiste principal
Direction centrale du Service de santé des armées Fort Neuf de Vincennes cours des Maréchaux 75614 Paris cedex 12
***Les opinions et commentaires exprimés dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne constituent aucunement une position officielle du Service de santé des armées.

Les médecins du Service de santé des armées (SSA) qui servent sur des bâtiments de la Marine nationale exercent souvent en situation d’isolement. En mer, lorsque survient l’urgence dentaire, elle est par la force des choses traitée à bord. À cet effet, les services médicaux embarqués disposent d’un matériel spécifique adapté aux principales pathologies, conditionné dans une cantine connue sous le nom de coffre dentaire, ou coffre D. Que contient-il et quelles possibilités de soins offre-t-il ?

Intérêt du coffre D

La Marine nationale compte en permanence plus de 3 000 marins en mission. Ces missions ne peuvent, sans préjudice pour leur complet succès, être interrompues pour des motifs médicaux. Traiter les marins malades ou blessés en toute autonomie, mais également en toute sécurité, constitue donc le principal défi des équipes médicales embarquées, le déroutement vers un port disposant d’un hôpital ne devant s’imposer que pour les cas les plus graves. Le médecin servant dans la Marine nationale doit donc être polyvalent. En particulier, il doit savoir prendre en charge les urgences odontostomatologiques.

Avant chaque départ en mission, les marins bénéficient d’une visite de dépistage ainsi que de soins, si nécessaire, effectués par un chirurgien-dentiste civil ou militaire. Une radiographie panoramique dentaire est réalisée au minimum tous les 5 ans : outre les informations qu’elle apporte au dépistage, elle a aussi une valeur médico-légale. En complément, le médecin du bord effectue un contrôle lors des visites médicales périodiques [1, 2] et en profite pour délivrer une information sanitaire relative à l’hygiène bucco-dentaire (les marins de quart, en particulier la nuit, grignotent beaucoup d’aliments sucrés ou acidulés…). L’objectif est de réduire le nombre de pathologies dentaires évitables qui surviendront ultérieurement, au premier rang desquelles la pulpite et l’infection dentaire.

Malgré les actions de dépistage et de prévention, ces pathologies surviennent parfois. Précisons-en d’abord les termes. La notion d’urgence absolue et d’urgence relative ne s’applique pas stricto sensu en odontostomatologie, où nous parlerons plutôt :

• d’urgence vraie, la principale étant la cellulite de la face ;

• d’urgence ressentie, le maître symptôme se trouvant généralement être la douleur, parfois décrite comme intolérable. Les pathologies en cause dans ce cas sont essentiellement la pulpite et l’infection dentaire. L’intensité de la douleur peut nécessiter un déroutement du navire afin de permettre un traitement spécialisé (chirurgien-dentiste ou stomatologue), ce qui implique donc l’interruption de la mission ;

• d’urgence différée, lorsque l’intervention spécialisée est nécessaire mais peut attendre quelques jours, voire quelques semaines.

L’enjeu principal, pour les médecins embarqués, est de parvenir en toute autonomie à traiter les urgences ressenties pour les transformer en urgences différées, et c’est ici que le coffre D se révèle essentiel. Ensuite, toute occasion sera saisie pour faire bénéficier le patient d’un traitement spécialisé sans perturber la mission en cours (escale planifiée par exemple).

Genèse du coffre D

À partir d’ici, « coffre D » désigne à la fois le contenant et l’ensemble de son contenu.

En 1998, l’Inspection du Service de santé pour la Marine a fait procéder à une remise à niveau des anciens coffres dentaires, lourds, encombrants et obsolètes [3]. Cette remise à niveau a été rendue possible grâce aux travaux du chirurgien-dentiste de la Force d’action navale (qui regroupe les plus gros bâtiments de surface de la Marine nationale). Ce chirurgien-dentiste militaire est en effet le référent en matière de soins dentaires mais aussi d’aptitude dentaire pour l’ensemble des marins servant sur ces navires [4-6].

Le « nouveau » coffre D, actuellement toujours utilisé à bord de la plupart des bâtiments de la Force d’action navale, est léger (25 kg tout compris), robuste et peu encombrant car il tient dans une demi-cantine SSA en plastique rigide (L x l x h = 80 × 45 × 20 cm). Il est prévu pour traiter 2 patients par jour avec une autonomie de 1 mois environ. Il offre surtout la possibilité de trépaner une dent, ce que l’ancien coffre ne permettait pas.

En 2013, il a fait l’objet de quelques modifications mineures consistant essentiellement en un réajustement des quantités de matériel consommable, mais le contenant est resté identique.

Description du coffre D

Le coffre D résulte d’un assemblage judicieux, dans un même contenant, de médicaments et de dispositifs médicaux à usage unique ou non, provenant de firmes et laboratoires pharmaceutiques variés. L’agencement à l’intérieur de la demi-cantine SSA est pratique et fonctionnel (protections sur mesure, alvéoles de rangement) (fig. 1).

Voici, par type d’acte diagnostique ou thérapeutique, le matériel présent dans le coffre D :

• un tapis antidérapant (80 × 45 cm), qui permet de maintenir les instruments sur une table ou une paillasse sans que le roulis ou le tangage du bateau ne les fasse glisser et chuter au sol ;

• les instruments nécessaires à l’examen du patient : miroir non grossissant, sonde d’exploration et précelle, en sets stérilisables (2 jeux complets), spray de froid pour test de vitalité pulpaire, une paire de lunettes de protection pour l’opérateur ;

• un ensemble complet pour anesthésie (fig. 2) : solution anesthésiante Septanest® (1 boîte de 50 carpules), systèmes stériles d’injection avec fourreau protecteur Ultra Safety Plus® pour anesthésie périapicale (x 15), intraseptale (× 15) et tronculaire (× 15) ;

• un microtour dentaire Osseodoc de marque Bien Air® fonctionnant sur courant 220 V. Il est compatible avec la pièce à main droite 49 EP et les contre-angles 40 XEP et 140 XE de marque Micro-Mega® (fig. 3). La tubulure d’irrigation externe est fournie (× 10), de même qu’un jeu varié de fraises (fraises boules ou cylindriques, diamantées ou en carbure de tungstène) (fig. 4). Le coffre D contient également le nécessaire à l’entretien de ces instruments (brosse métallique pour les fraises, désinfectant et spray lubrifiant pour les instruments rotatifs) ;

• des cotons salivaires avec leur distributeur, 20 embouts d’aspiration salivaire, 3 canules de Yankauer. Le générateur d’aspiration n’est en revanche pas fourni ;

• un ensemble pour traitement endocanalaire : tire-nerfs de Maillefer, racleurs d’Hedstroem, limes d’alésage manuel, séquenceur d’endodontie, pipettes d’endodontie, pointes en papier pour assèchement des canaux, bourre-pâte, pâte d’obturation Endométhasone®, boîte de décontamination de matériel d’endodontie ;

• des solutions antiseptiques et sédatives pulpaires (1 flacon de chaque) : Eugénol®, Pulpéryl®, Rockle’s® ;

• de la pâte de protection dentino-pulpaire à l’hydroxyde de calcium en seringue préremplie Supracal®, de la poudre d’oxyde de zinc, du ciment d’obturation dentaire provisoire Cimavit® ;

• du ciment de scellement à l’oxyphosphate de zinc, avec spatule et bloc à spatuler ;

• des instruments stérilisables avec leur boîte de stockage (fig. 5) : excavateur de dentine, écarteur de Farabeuf, syndesmotome faucille, élévateur de pont fin, jeu de 9 daviers d’extraction, pince gouge, curette alvéolaire, ciseaux à gencives courbes, pince hémostatique d’Halstead à griffes, pince de Doyen sans griffes servant de porte-aiguille. Le reconditionnement de ces instruments nécessite un autoclave ;

• un tube de colle cyanoacrylate pour réparation de prothèse mobile fracturée ;

• un flacon de solution d’acide trichloracétique Septocalm® ;

• des arcs d’immobilisation maxillaire (× 2) (fig. 6), des élastiques, du fil d’acier et des ciseaux à couronnes pour couper le métal.

Un guide pratique détaillé, sous forme de CD-Rom, Abrégé d’odontologie d’urgence à l’usage des médecins embarqués sur les bâtiments de la Marine nationale, y est également inclus.

Parmi les modifications apportées en 2013, notons la suppression des films radiologiques pour clichés rétroalvéolaires. Les services médicaux embarqués, équipés récemment de systèmes de radiologie numérisée, n’ont en effet plus la possibilité d’effectuer de développement manuel. En remplacement, les services médicaux les plus importants ont été équipés d’un capteur pour radiographie dentaire numérique, mais ce dernier n’est pas un élément constitutif du coffre D.

Le coffre D en pratique

Le coffre D est destiné à prodiguer uniquement des soins urgents. Il est habituellement utilisé par les médecins embarqués mais pourrait tout à fait être mis en œuvre par un chirurgien-dentiste si l’éventualité se présentait. Il permet d’effectuer les actes diagnostiques et thérapeutiques provisoires ou définitifs dans les situations (non exhaustives) suivantes : carie, pulpite, fracture dentaire, descellement de couronne, perte d’amalgame, aphte, accident d’évolution de dent de sagesse, infection dentaire, fracture de prothèse amovible, fracture du maxillaire inférieur…

Le prix de l’ensemble des éléments est de 8 907,53 € (8 759,00 € de matériel non consommable et 148,53 € de matériel consommable ou périssable). Ce montant doit être comparé au coût du déroutement d’un navire, ou encore au tarif horaire d’un vol sanitaire en hélicoptère. En conséquence, ce matériel constitue un excellent investissement de la part du Service de santé des armées, qui en a équipé 41 bâtiments. Il peut être réapprovisionné en dispositifs à usage unique et médicaments par commande auprès de la Direction des approvisionnements en produits de santé des armées [7], qui est l’acheteur unique du Service de santé des armées auprès des divers laboratoires et firmes pharmaceutiques.

L’auteur, en près de 700 jours de mer à bord de bâtiments armés par 200 à 250 marins, l’a utilisé à titre diagnostique à 88 reprises, incluant la réalisation de 9 clichés rétroalvéolaires (avant la modification de 2013). Dans 62 cas, des soins ont été réalisés. Ces soins ont notamment permis à quatre reprises (1 pulpite et 3 infections dentaires) de transformer l’urgence « ressentie » en urgence « différée » et d’éviter ainsi, à chaque fois, l’interruption de la mission [8].

Toutefois, l’auteur rapporte également le cas d’une infection dentaire pour laquelle le traitement mis en œuvre grâce au coffre D n’a pas été efficace et complet. Le marin concerné a dû être évacué sur un autre bâtiment où se trouvait un chirurgien-dentiste, ce qui a imposé un déroutement et une interruption de l’activité en cours. Ce dernier exemple illustre parfaitement le fait que « l’art dentaire » ne s’improvise pas et que certaines situations nécessiteront toujours le savoir-faire d’un chirurgien-dentiste expérimenté.

Quelles perspectives pour ce matériel ?

Il convient d’abord de rappeler que le coffre D n’a aucunement été prévu pour empiéter sur les prérogatives des chirurgiens-dentistes. Toutefois, nous individualisons deux situations où il pourrait se révéler très utile.

Il s’agit d’abord de toutes les configurations où, à l’image des bâtiments de la Marine nationale, l’isolement rend complexe ou onéreuse l’organisation d’une consultation spécialisée. Dans ce cas, un médecin disposant d’une formation adaptée peut effectuer les soins d’urgence requis. Dans le cas du Service de santé des armées, la formation dure 2 semaines avec une partie théorique puis une mise en pratique au fauteuil [9].

Il s’agit ensuite des situations où toutes les structures de soins sont indisponibles, même si des chirurgiens-dentistes sont présents. Cela a été en particulier le cas en Haïti, après le séisme du 12 janvier 2010 qui a provisoirement laissé la capitale Port-aux-Princes orpheline de toute infrastructure médicale et dentaire. Le coffre D, éventuellement adapté (le matériel stérilisable peut être remplacé par du matériel à usage unique pour s’affranchir de l’absence d’autoclave), aurait permis aux chirurgiens-dentistes haïtiens ou aux praticiens des organisations non gouvernementales médicales présentes sur place de prendre en charge sans délai les patho­logies dentaires les plus urgentes.

Voici donc un assemblage unique et cohérent de matériel permettant de faire face à un large éventail de pathologies odontostomatologiques. Même s’il n’est pas novateur (des valises dentaires « personnalisées » ont déjà vu le jour), il est innovant par son caractère complet, sa rusticité et sa simplicité d’emploi pour un opérateur formé à son utilisation. Ce matériel mérite donc d’être connu, d’autant plus qu’il est aisé et rapide de l’adapter aux contextes variés dans lesquels il pourrait être employé.

Bibliographie

  • [1] Arrêté ministériel du 20 décembre 2012 relatif à la détermination et au contrôle de l’aptitude médicale à servir du personnel militaire.
  • [2] Fenistein B, Gunepin M, Loiseleux P, Besses R. Logique de la détermination de l’aptitude dentaire en pratique courante. Médecine et Armées 2005;33:323-328.
  • [3] Peniguel B. Nécessité et utilisation du coffre dentaire marine. Médecine et Armées 2000;28:155-158.
  • [4] Peniguel B. Chirurgien-dentiste de la Force d’action navale. Médecine et Armées 2005;33:337-341.
  • [5] Instruction ministérielle n° 3162 DEF/DCSSA/OL/OERI du 22 mai 2001 relative à l’organisation et au fonctionnement du soutien dentaire dans les armées.
  • [6] Instruction permanente n° 90 ALFAN du 24 juin 2008 relative à l’organisation et au fonctionnement du service de santé de la Force d’action navale.
  • [7] Direction des approvisionnements en produits de santé des armées. Catalogue des approvisionnements du service courant. 2013.
  • [8] Loarer G, Dejean de la Bâtie S, Sbardella F. Seul contre dents et marées : le médecin servant dans la Marine nationale face aux urgences dentaires en mer. Urgence Pratique 2012;114:35-37.
  • [9] Peniguel B. Module de formation à l’odontologie pour les médecins embarqués sur les bâtiments de la Marine nationale. Actu santé 2004;74.