PARODONTOLOGIE
Samir ERRAJI* Zouheir ISMAILI** Oum Keltoum ENNIBI***
*Résident en parodontologie
Faculté de médecine dentaire de Rabat Université Mohammed V Souissi, Rabat, Maroc
**Professeur d’enseignement supérieur en parodontologie
Faculté de médecine dentaire de Rabat Université Mohammed V Souissi, Rabat, Maroc
***Professeur d’enseignement supérieur en parodontologie Chef du Service de parodontologie
Faculté de médecine dentaire de Rabat Université Mohammed V Souissi, Rabat, Maroc
Après résolution de l’infection parodontale par un traitement étiologique approprié, de nombreuses options thérapeutiques chirurgicales sont possibles pour le traitement des défauts intraosseux : lambeau d’accès, chirurgie résectrice, régénération tissulaire guidée, régénération tissulaire induite et comblements osseux. Si la régénération tissulaire présente l’avantage de reconstruire ad integrum les tissus parodontaux détruits, certains critères doivent être pris en compte pour choisir l’approche thérapeutique optimale. Ces critères sont liés au patient, au défaut intraosseux et à la procédure chirurgicale.
La parodontite est caractérisée par une destruction des tissus supports de la dent. Elle entraîne la formation de défauts osseux horizontaux ou verticaux, appelés aussi défauts intraosseux, qui représentent un défi majeur pour les cliniciens. En effet, Papapanou et Wennström [1] ont montré que les sites avec des défauts intraosseux présentaient un risque plus élevé de progression de la maladie que les autres chez les sujets n’ayant pas reçu un traitement parodontal. En plus, le traitement de ces défauts nécessite le plus souvent le recours à des lambeaux de débridement seuls ou associés à des thérapeutiques résectrices ou régénératrices.
Si le but ultime des thérapeutiques parodontales est la régénération des tissus parodontaux en obtenant un néocément, un néo-os et des fibres desmodontales à orientation fonctionnelle, les données existantes n’arrivent pas encore à indiquer une approche unique pour les différentes situations cliniques. En effet, le traitement des défauts intraosseux et la prévisibilité des résultats semblent dépendre de certains facteurs liés au patient, aux défauts intraosseux eux-mêmes et à la procédure chirurgicale.
L’objectif de ce travail est d’analyser les critères qui orientent la décision thérapeutique.
Plusieurs facteurs liés au patient peuvent affecter la réussite du traitement des défauts intraosseux. Il peut s’agir du niveau de contrôle de plaque individuel, qui présente un effet « score dépendant » sur les résultats de la chirurgie parodontale. En effet, un meilleur gain d’attache clinique est observé chez les patients ayant un bon contrôle de plaque. Une étude de Tonetti et al. [2] a montré qu’avec un FMPS (full mouth plaque score) inférieur à 10 % on obtient un gain d’attache clinique supérieur de 1,89 mm à celui des patients avec un FMPS supérieur à 20 %.
Une étude de Cortellini et al. [3] sur le rôle de la maintenance parodontale après régénération tissulaire guidée des défauts intraosseux a montré une perte d’attache clinique de 2,8 ± 2,7 mm pendant une période de 3 ans chez les patients avec une maintenance irrégulière, alors que chez les patients avec une maintenance régulière (tous les 3 mois), le niveau d’attache clinique était resté stable. La composition du biofilm bactérien semble avoir également un effet sur les résultats du traitement ; ainsi, il a été montré chez les patients n’ayant pas bénéficié de séances de maintenance une augmentation significative des taux de Porphyromonas gingivalis et de Prevotella intermedia. Récemment, Bertoldi et al. [4] ont montré, dans une étude pilote menée sur 17 défauts intraosseux, que la présence initiale du virus de l’herpès type 1 était associée à de faibles résultats cliniques après régénération par les protéines de la matrice amélaire.
Le tabac, facteur de risque des maladies parodontales, représente également un facteur influençant la thérapeutique parodontale en général et celle des défauts intraosseux en particulier. En effet, l’étude rétrospective réalisée par Tonetti et al. [2] a montré que de plus faibles résultats sont obtenus chez les fumeurs (plus de 10 cigarettes par jour) que chez les non-fumeurs avec respectivement un gain d’attache clinique de 2,1 ± 1,2 mm et 5,2 ± 1,9 mm. Cela a été confirmé par une revue systématique et une méta-analyse réalisées par Patel et al. [5].
D’autres facteurs tels que l’âge, la génétique, les conditions systémiques et le stress ont aussi été associés à une faible régénération [6].
Différents travaux ont montré que la morphologie du défaut intraosseux influençait les résultats des thérapeutiques chirurgicales. Selon Tonetti et al. [8], on obtient plus de gain d’attache et de comblement osseux avec les défauts intraosseux profonds que peu profonds. Cependant, Cortellini et al. [9] ont montré que ces deux types de défauts avaient le même potentiel de régénération. En effet, dans leur étude, les défauts intraosseux profonds (> 3 mm) ont donné un meilleur gain d’attache clinique que les défauts moins profonds (3,7 ± 1,7 mm contre 2,2 ± 1,3 mm). Mais, en termes de pourcentage de gain d’attache clinique par rapport à la profondeur du défaut initial, les résultats étaient similaires (défauts intraosseux profonds : 76,7 ± 27,7 %, défauts intraosseux peu profonds : 75,8 ± 45 %).
La largeur du défaut intraosseux est représentée par l’angle radiographique (α) mesuré entre la surface radiculaire et la paroi osseuse (fig. 2 à 5). Cet angle est considéré comme un indicateur pronostique du résultat du traitement. Selon Cortellini et Tonetti [10], le gain d’attache obtenu avec les angles étroits (≤ 25°) est supérieur de 1,6 mm en moyenne que celui obtenu avec les angles larges (≥ 37°).
Le nombre de parois osseuses au niveau du défaut intraosseux est un critère de choix important. En effet, les défauts intraosseux à 3 parois, en assurant la stabilité du caillot sanguin durant les premières étapes de la cicatrisation, semblent offrir un meilleur potentiel de cicatrisation que ceux à 2 ou à 1 parois [11, 12] (fig. 6 à 8). Toutefois, le recours à des techniques chirurgicales régénératrices pouvant créer et/ou maintenir un espace cicatriciel permettrait de compenser partiellement une architecture négative du défaut osseux (en l’occurrence les défauts larges à 2 parois) et améliorerait par conséquent les résultats cliniques et radiographiques [13].
L’environnement muco-gingival autour du défaut intraosseux doit aussi être analysé. Selon Anderegg et al. [14], une épaisseur gingivale inférieure à 1 mm est à l’origine d’une augmentation de la prévalence et de la sévérité des déhiscences au niveau des lambeaux recouvrant les membranes lors de la régénération tissulaire guidée.
Parmi les facteurs influençant la réponse aux traitements parodontaux, la vitalité et la mobilité dentaire sont deux éléments qui ont été largement étudiés. Ainsi, il a été suggéré que l’état endodontique de la dent serait un facteur potentiel pouvant influencer le traitement parodontal. Toutefois, une étude clinique réalisée sur 208 patients, dont 167 présentant un défaut intraosseux associé à une dent pulpée et 41 un défaut intraosseux associé à une dent traitée endodontiquement, ne semble pas montrer une différence entre dent pulpée et dent traitée endodontiquement en termes de régénération des défauts intraosseux et de stabilité des résultats [15]. De même, Trejo et Weltman [17] ont montré que les défauts intraosseux à 2 et 3 parois sur des dents ayant une mobilité degré 1 ou 2 de Miller [16] pouvaient répondre favorablement aux thérapeutiques régénératrices. Cependant, les dents avec une mobilité degré 3 présentant une contention ou un trauma occlusal n’ont pas été incluses.
Nyman et Lang [18] recommandent de contenir les dents hypermobiles durant la cicatrisation et Burgett et al. [19] ont constaté que les dents ayant bénéficié d’une équilibration occlusale avant le traitement chirurgical présentaient plus de gain d’attache que celles qui n’en avaient pas bénéficié.
Différentes études ont montré que l’utilisation de membranes, de biomatériaux osseux ou d’agents biologiques donnait de meilleurs résultats que le lambeau de débridement seul [20-24]. Cependant, il n’existe aucune différence significative entre la combinaison membranes/substituts osseux par rapport aux membranes seules [20, 21]. Il a également été montré que les résultats cliniques obtenus avec les protéines de la matrice amélaire étaient comparables à ceux obtenus après régénération tissulaire guidée, à l’exception d’une légère réduction de profondeur de sondage (0,6 mm) pour les sites traités avec régénération tissulaire guidée, due à une augmentation de la récession (0,5 mm) [21]. La combinaison de greffes osseuses (autogènes, allogreffes) ou de substituts osseux (xénogreffes, bioverres) aux protéines de la matrice amélaire améliore les paramètres cliniques (réduction de la profondeur de poche, gain d’attache et comblement osseux) par rapport aux protéines de la matrice amélaire seules [25, 26]. Il est cependant nécessaire d’adapter la technique opératoire à la morphologie du défaut (fig. 9).
L’utilisation des lambeaux de préservation papillaire et le choix judicieux de techniques de sutures (matelassier horizontal interne + matelassier vertical interne pour le lambeau de préservation papillaire simplifié et matelassier horizontal interne croisé + matelassier vertical interne pour le lambeau de préservation papillaire modifié) peuvent améliorer les résultats par l’obtention d’une fermeture primaire du site et la protection de l’espace de régénération [27-30]. Il a également été démontré que l’utilisation d’une approche invasive a minima au moyen d’un microscope opératoire et d’instruments microchirurgicaux permettait de maintenir la fermeture primaire du site et potentialisait les résultats cliniques [31 et 32].
De nombreux critères sont proposés dans la littérature médicale pour aider le praticien à déterminer le pronostic du défaut intraosseux et le choix de la technique appropriée qui doit permettre d’avoir des résultats cliniques non seulement satisfaisants mais aussi stables dans le temps et, idéalement, d’obtenir une reconstitution ad integrum des tissus lésés.
Si les résultats les plus favorables sont obtenus avec les défauts intraosseux étroits et profonds, ils ne peuvent être maintenus dans le temps que si un programme de maintenance régulier est mis en place.